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LETTRE DE PROVINCE
Auteur en qu�te d��diteur Par Boubakeur Hamidechi
Publié dans Le Soir d'Algérie le 22 - 07 - 2006

Qu�ils soient �diteurs institutionnels ou suppos�s ind�pendants, qu�ils aient le souci de diffuser la bonne litt�rature ou de rentabiliser leur entreprise � travers les manuels de l�estomac que sont les livres de cuisine, tous sans exception aucune, sont � l�amende. C�est que leur pr�tendue vocation de d�nicheurs de talents est � nouveau prise en faute. En effet, comment se fait-il qu�ils soient en train de passer � c�t� d�une originale �criture et d�un authentique auteur eux qui pr�tendent que leurs maisons sont habit�es par de subtils lecteurs professionnels ?
Abdelhamid Ali Bouacida est le dernier laur�at du prix Mohammed Dib 2006. Un jury autrement plus d�sint�ress� par les calculs d�apothicaires en vigueur chez les artisans du livre a d�cid� de consacrer un auteur novateur qui leur proposa un recueil de nouvelles � l��criture scintillante. Or, trois mois apr�s cette reconnaissance, pass�e inaper�ue dans la presse, le graphomane �blouissant attend toujours qu�on vienne le d�livrer de son manuscrit. C�est-�-dire extraire celui-ci du tiroir o� il dort et le faire vivre en tant que �chose� imprim�e et publique. Fabricants de notori�t� litt�raires, les �diteurs auraient-ils le flair plus s�r que ces lecteurs occasionnels de la province tlemc�nienne qui ont eu � comparer une somme impressionnante de manuscrits ? Il y a assur�ment de la pr�somption dans ce vaniteux m�pris vis-�-vis des jugements hors chapelle. L��crivain en qu�te d��diteurs n�est pourtant pas un illustrissime prosateur inconnu. Sa province natale � Constantine �, o� il entama une carri�re de journaliste en 1986, eut, � une certaine �poque, le loisir d�appr�cier son ironie de chroniqueur et ses traits ac�r�s qui enchant�rent les quelques rares lecteurs d�une fameuse feuille satirique. Mais qui se souvient encore de ce p�riodique plein de mordant dont il fut le ma�tre d��uvre et qu�il baptisa, comme il sied � cette cit� des ponts : El- Gantra? La tonalit� d�capante, selon les r�gles du genre, lui avait valu un succ�s d�estime. Destin�s � traquer les outrances de l��poque et les outrages � la ville, il sugg�rait par l�humour vitriol� et la caricature que le temps des monstres de la chute et de la mort �tait inscrit dans le devenir de cette cit�. Terrible fortin aux avant-postes de l�intol�rance et de la d�sertification de la raison. Un repaire pour pr�dateurs. Le talentueux amuseur � sans connotation p�jorative � qui anima ce journal ne se doutait pas que ses calembours � excessifs uniquement pour les biens-pensants � allaient se r�v�ler d�une mortelle r�alit�. Car Constantine, bien apr�s la disparition de cette feuille, se porte encore plus mal que ne le proph�tisa ce Cassandre dont la clairvoyance rendait bien plus de v�rit�s que les doctes diagnostics des ma�tres �s optimisme. En compagnie de quelques collaborateurs, il forgea � partir des verbes ��crire� et �rire� le n�ologisme contract� : �ec-rire�. Il signalait ainsi qu�il y avait d�autres motifs et de bonnes raisons pour fusionner les mots afin de se garder des standards du journalisme classique. Pour s��viter le tract imprim� et justifier son existence m�diatique, Bouacida revendiquera la libert� de mettre en symbiose toutes les cat�gories d��criture. A savoir l�humour et ses calembours, la satire et le trait f�roce et pourquoi pas le loufoque et ses �diagonales�. Parce que �ec-rire� consistait pour lui � r�habiliter la vocation du scribe sans concessions, il se voulut alors le notaire autoproclam� de sa ville. Non pas son procureur mais son t�moin lib�r� de toutes r�serves, celui qui entre en dissidence contre les magouilles souterraines. Revenu des tromperies politiques et vaccin� contre les chol�ras id�ologiques et la peste de la religiosit�, cet auteur-l� �tait d�j� un affranchi pr�coce. En somme, un enfant perdu pour l�embrigadement, mais gagn� par l�hygi�ne intellectuelle de la d�rision. D�s la premi�re parution de la �feuille�, il �non�a, comme un credo, qu�il a fait le choix de l�humour grin�ant, car, estimait-il, il ne faut pas ajouter au marasme et au d�cervelage ambiant une louche de solennit�. �Ecrire�, en ce temps-l�, n��tait pas une coquetterie, mais un substitut de th�rapie. La m�thode Cou� pour �chapper � la folie. Une motivation suffisante pour assumer l��tat lamentable du pays, mais en en parlant avec d�tachement. T�moin de toutes les h�r�sies des pouvoirs locaux, il les d�noncera � sa fa�on. Ainsi, pour donner le ton, il anticipera sur le pourquoi de l�exercice... �(...) Parce que, �crivait-il, les boulevards de ma ville sont devenus de longs corridors que traversent ces passants pareils aux figurants de quelque sombre m�lodrame. Avenue de la tristesse. Rue du stress. Place de l�inqui�tude. Passage � vide. Impasse de l�impasse... Parce que (�galement) devant les �tals des commer�ants d�ambulent tous les jours ces mines d�confites qui font leur march� de la mort. Epicerie-guillotine . Boucherie-abattoir. Quatre saisons en enfer.� Telle est la marque de fabrique du g�niteur d� El- Gantra aujourd�hui auteur sans �diteur. N�avait-il pas en son temps brocard� les tartuffes de la politique et envoy� au b�cher les vanit�s des faiseurs d�opinion ? Apr�s l��ph�m�re d�rision d�un journal qui paraissait quand il pouvait, le voil� quinze ans plus tard, en train de coltiner une notori�t� litt�rature �mascul�e par l�indiff�rence coupable d�une faune de �lecteurs� attitr�s, convaincus qu�il sont les d�positaires exclusifs de la cons�cration. Il est vrai qu�en mati�re d�humilit�, seuls les amuseurs solitaires savent d�avance qu�ils ne combattent pas � armes �gales. Abdelhamid Bouacida est un homme de lettres qui ne d�sesp�re pas encore de recevoir un courrier de ces �diteurs absents.

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