Si le nom de Ren� Basset est aujourd'hui quasiment tomb� dans l'oubli, les contes berb�res qu'il nous a l�gu�s suscitent toujours autant d'int�r�t. L'�diteur parisien IbisPress, dont une partie du catalogue est consacr�e � l'amazighit�, vient de r��diter les Contes berb�res publi�s en 1887 et les Nouveaux contes berb�res parus en 1897, en un seul volume pr�fac� par Guy Basset, le petit-fils du linguiste. Cette r��dition fait suite � celle de l'essai sur la litt�rature des Berb�res d'Henri Basset, fils de Ren�, en 2007, chez le m�me �diteur. En introduction, une br�ve et pr�cieuse �tude critique de l'�uvre par Mohand Lounaci �claire la d�marche de l'�diteur et situe celle de Ren� Basset dans son contexte historique. Au XIXe si�cle, la collecte des textes de la litt�rature berb�re est indissociable de la conqu�te et de l'assise du pouvoir colonial qui requi�rent l'une et l'autre une connaissance des populations soumises. Ce sont d'ailleurs les administrateurs civils qui vont, parmi les premiers, s'int�resser aux langues berb�res et cr�er des bureaux arabes charg�s, via les interpr�tes et les militaires, de recueillir donn�es linguistiques, contes et po�mes. Dans cette collecte, les religieux ne sont pas en reste et les textes du Hoggar, rassembl�s par Charles de Foucauld, illustrent l'int�r�t de l'�poque pour la pr�servation du patrimoine berb�re. Le paradoxe r�side dans la volont� de conservation d'une culture jug�e inf�rieure et � ce titre vou�e, pense-t-on, � la disparition. Autre paradoxe mis en �vidence par Mohand Lounaci dans son introduction : �Les �tudes coloniales sur les populations berb�res ont �t� le premier pas vers une affirmation identitaire qui conduira � la constitution et � la revendication des identit�s nationales, et des nationalismes dans les pays du Maghreb.� Ainsi, les travaux de Ren� Basset ont �t� l'occasion pour des chercheurs comme Ben Sedira et Boulifa de se pencher sur les �tudes berb�res. C'est au cours de diff�rentes missions scientifiques organis�es � la demande du gouverneur g�n�ral d'Alg�rie que Ren� Basset, folkloriste alors mondialement connu, sillonne tout le territoire de la colonie alg�rienne jusqu'en Tunisie, Libye, Maroc et m�me Saint-Louis du S�n�gal. Sur le terrain, il recueille les textes aupr�s d'informateurs dont la plupart sont des notables des tribus. Les communications lui sont soit dict�es, soit faites par �crit en arabe. La collecte sur le terrain est compl�t�e par une �tude de manuscrits et de diverses publications conserv�s � la Biblioth�que nationale de Paris comprenant, entre autres documents, des textes en kabyle et en chleuh. Un autre courant de pens�e imprime son caract�re sp�cifique � ces recherches. Il s'agit de la th�orie diffusionniste selon laquelle les diff�rentes cultures auraient toutes une seule et m�me origine qui se serait propag�e dans le temps et dans l'espace. Ainsi la grille de lecture des chercheurs de l'�poque renvoie-t-elle aux cultures grecque et latine. Et l'on retrouve dans les notes de Ren� Basset ces r�f�rences multiples et �rudites ainsi qu'une �tude comparative entre les diff�rentes traditions berb�res. La pr�sente r��dition rassemble 133 textes, contes, po�mes, chansons et �nigmes, dans leur traduction fran�aise, class�s par th�mes. Les notes de Ren� Basset et les bibliographies figurant dans les �ditions originales sont quant � elles disjointes de la publication et mises � la disposition des lecteurs sur le site Internet de l'�diteur. Les cat�gories trait�es sont identiques dans les deux tomes : contes d'animaux, l�gendes religieuses, l�gendes historiques, contes merveilleux, contes divers, chansons, proverbes et �nigmes. Les contes d'animaux se concentrent pour l'essentiel sur la figure du chacal, un personnage central dans la tradition orale berb�re. Ren� Basset �voque � ce propos Le Roman de renard et la tradition m�di�vale de critique sociale. Autre figure, celle du h�risson. A son sujet, Mohand Lounaci remarque : �Il est en quelque sorte assez proche de l'id�al d'humilit�, de simplicit� et de ruse que se doit d'avoir un homme pour survivre. Pour le locuteur berb�re, le h�risson est un autre soi-m�me.� Les l�gendes religieuses sont des r�cits de vie des saints locaux mais aussi celles des proph�tes A�ssa, Salomon, Mohammed ou l'ange Gabriel tandis que les l�gendes historiques sont des r�cits de fondation � Alger, Cherchell, etc.� Quant aux contes merveilleux, relatifs aux tr�sors, aux djinns et aux f�es, ils sont pour la plupart tir�s des traditions orales du Mzab, de Ouargla ou de la Kabylie. Miroir social, reflet de la psychologie d'un peuple, les contes de Ren� Basset sont un document incontournable pour tous ceux qui cherchent � d�crypter, au travers des traditions, les caract�res de notre alg�rianit�. M�riem Nour Contes Berb�res, Kabylie, Aur�s, Sous, Mzab, Ouargla, Figuig, Rif, Cherchell, Ren� Basset, IbisPress, 2008.
Bibliographie Ren� Basset est n� en 1855, � Lun�ville dans le nord-est de la France. Dipl�m� de l'Ecole des langues orientales en arabe, turc et persan, il a enseign� l'arabe et le berb�re � l'Ecole sup�rieure des lettres d'Alger dont il fut le directeur � partir de 1894, puis le doyen jusqu'� sa mort en 1924. Il a fait d'Alger une r�f�rence internationale en mati�re d'�tudes orientales. Il est l'auteur de cinq livres de contes et l�gendes, arabes, berb�res et africains et de 1001 contes, l�gendes et r�cits arabes, ces derniers ont �t� r��dit�s chez Jos� Corti en 2005. Ses deux fils, Henri Basset (1892-1926) et Andr� Basset (1895-1956) se sont �galement illustr�s dans la recherche, le premier en tant que sp�cialiste de la civilisation musulmane qu'il enseigna � Alger et � Rabat, le second pour ses �tudes sur la langue berb�re qu'il enseigna successivement � la Facult� des lettres d'Alger puis � l'Ecole des langues orientales � Paris.
INTERVIEW DE GUY BASSET �L��tude de l�Alg�rie en h�ritage� Le Soir d�Alg�rie : Comment, s'agissant de votre lign�e, l'attrait pour le monde berb�re et plus pr�cis�ment pour la terre d'Alg�rie peut-il se transmettre de g�n�ration en g�n�ration ? Guy Basset : Entre Ren� Basset et ses fils, la transmission s'est faite quasi naturellement : les fils se sont lanc�s dans des �tudes de lettres et partagent avec leur p�re un attrait certain pour la civilisation comme pour la grammaire et la litt�rature. Tous trois ont su communiquer dans leur famille l'int�r�t de leur m�tier d'enseignant et de leurs champs de recherche. Je suis moi-m�me un repr�sentant de la troisi�me g�n�ration. Je n'ai connu ni mon grand-p�re, Ren� Basset, ni mon oncle, Henri, d�c�d� peu apr�s son p�re, ni mon oncle Andr�, dont je n'ai que des souvenirs d'enfant. C'est donc indirectement par des conversations avec mes tantes et avec mon p�re que s'est faite, pour moi, la transmission. Et puis il y avait les livres �crits par des membres de la famille qui subsistent toujours dans les biblioth�ques familiales et que la curiosit� vous pousse � ouvrir. En d�cidant de faire des �tudes philosophiques, j'avais conscience de renouer un fil litt�raire sans vouloir chercher � me couler dans un moule familial. C'est en fait par Camus � Noce, comme les articles Mis�re dans la Kabylie� que l'Alg�rie a continu� � m'intriguer. Ce n'est que peu � peu que j'ai commenc� � valider et �toffer des souvenirs familiaux par des lectures ext�rieures scientifiques. Mais, dans ce domaine, je ne suis qu'un autodidacte n'ayant jamais appris ni l'arabe ni le berb�re. Mon p�re avait pass� son enfance en Alg�rie. Il en parlait peu et avait quitt� ce pays un peu apr�s 1920. J'ai moi-m�me attendu 2006 et le colloque sur �Albert Camus et les lettres alg�riennes� pour m'y rendre. La nostalgie, la nostalg�rie, selon l'expression de certains, ne m'habitait donc pas mais j'�tais plut�t anim� de la curiosit� de voir vivre un pays en marche. Quel(s) int�r�t(s) les �uvres de Ren� Basset, puis celle de ses fils Henri et Andr� ont-elles pour les lecteurs d'aujourd'hui ? Je suis mal plac� pour r�pondre � cette question. Leurs �uvres b�n�ficient de ma part � c'est normal � d'un pr�jug� favorable, je risque donc de ne pas �tre objectif. Je n'oublie pas, en outre, qu'elles appartiennent au contexte de leurs �poques marqu�es aussi par les ambigu�t�s de l'�re coloniale. Il vaudrait mieux poser cette question � leurs lecteurs ou � des sp�cialistes. Les aspects purement linguistiques de l'�uvre de Ren� Basset, comme la majeure partie de celle de son fils Andr� sont tr�s techniques et m'�chappent donc. Je suis tr�s frapp� cependant de l'aura dont les trois �uvres b�n�ficient : j'en vois la preuve dans les r�f�rences que je croise dans tel ou tel article ou livre sp�cialis� et dans les r�impressions qui ont lieu r�guli�rement � plus particuli�rement depuis une dizaine d'ann�es �. Je ne peux pas non plus croiser tel ou tel sp�cialiste de ces domaines arabes ou berb�res sans qu'on me pose rapidement la question de savoir si je fais partie de �la famille �. Quels souvenirs garde-t-on dans votre famille de vos illustres parents ? Si je compte bien, la famille Basset a enseign� le berb�re en Alg�rie, au Maroc et en France sans interruption pendant pr�s de trois quarts de si�cle, des ann�es 1880 � 1956 et certains membres de ma famille sont rest�s en Alg�rie, jusqu'apr�s l'ind�pendance. Comment voulez-vous que cela ne laisse pas des souvenirs dont on puisse parler dans les �chaumi�res� ? Il y eut ainsi des souvenirs qui se sont transmis oralement : la vie � Alger, la stature d'enseignant, le milieu culturel de l'�poque, les anciens �l�ves dont certains, en reconnaissance de ce qu'ils avaient re�u, sont rest�s en relation avec certains membres de la famille... On ne manque pas aussi d'�voquer � l'occasion dans la famille que Ren� Basset fut le mentor de l'�uvre linguistique du P�re de Foucauld, qu'il en a commenc� la publication et que son fils Andr� l'a termin�e. La g�n�ration des petits-enfants de Ren� Basset � � laquelle j'appartiens et dont les a�n�s conservent des souvenirs directs de lui � a beaucoup entendu parler par leurs parents de lui, de ses amiti�s, de ses r�seaux de relation, de son travail incessant et exigeant pour tous y compris ses enfants. Il en est de m�me avec les figures d'Henri et d'Andr� (d�c�d� maintenant il y a plus de 50 ans !), mais cela s'estompe un peu avec le temps et les g�n�rations suivantes. Cependant, il existe souvent une r�elle curiosit� � leur �gard, tout particuli�rement aupr�s des litt�raires de la famille ou de ceux qui, professionnellement, sont en contact avec les pays d'Afrique du Nord. Des rencontres extrafamiliales se chargent parfois de r�activer et d'aiguiser notre curiosit� pour cette histoire familiale. Nous sommes aussi fiers que leurs noms figurent dans le Larousse en dix volumes ! Vos �tudes sur Albert Camus sont r�put�es. Qu'est-ce qui motive votre int�r�t pour l'�crivain ? J'ai commenc� � lire l'�uvre d'Albert Camus tr�s t�t, au sortir de l'adolescence, au d�but des ann�es 60, dans l'�motion de sa disparition tragique. J'y trouvai � la fois une qualit� d'�criture � un style, dirait-on �, une conception de la litt�rature compl�te (th��tre, roman, essai) et un engagement dans la vie quotidienne � travers les combats pour la justice dans lesquels il s'engageait pleinement. Depuis, je n'ai cess� de m'impr�gner de son �uvre, d'y revenir avec une tendresse toute particuli�re pour le lyrisme qui �mane de ses textes. Noces est un des textes que je relis r�guli�rement. La rencontre un peu plus tard avec Edmond Charlot, son premier �diteur � Alger, avec qui j'ai eu la chance de travailler quasi quotidiennement pendant deux ans � Izmir (Turquie), est venue conforter cet attrait. Impossible aussi de fr�quenter Camus sans �plonger dans la M�diterran�e�, sans se confronter avec l'Alg�rie dans toutes ses composantes g�ographiques et humaines. Cela m'a incit� � m'int�resser globalement � la vie de son �poque, aux signes avant-coureurs litt�raires et politiques de l'avenir de l'Alg�rie mais aussi � revenir � des temps ant�rieurs, ceux des Ren�, Andr� et Henri Basset qui, tous les trois, ont marqu� la Facult� des lettres d'Alger. Apr�s, tout n'est qu'une question d'opportunit�s et j'ai rejoint � sa cr�ation la Soci�t� des �tudes camusiennes dont l'objectif est de contribuer � assurer sous diverses formes le rayonnement de l'�uvre d'Albert Camus. Il est bien l�gitime quand on s'int�resse et aime un auteur, en l'occurrence Camus, de vouloir partager avec d'autres sa passion, ses d�couvertes, ses interrogations, de les �crire, de les publier. Propos recueillis par M�riem Nour SIGNET De p�re en fils Les Basset sont, de p�re en fils, attach�s � l��tude de l�Alg�rie de fa�on g�n�rale et de la Kabylie en particulier. Le travail de Ren� Basset, linguiste, sur la langue, la po�sie et les contes kabyles a non seulement inspir� des vocations, y compris dans le monde berb�re luim�me, comme Boulifa, mais il a surv�cu � toutes les tornades de l�histoire et reste lisible par-dessus la patine des temps. Bernard Cesari, patron d�Ibis, vient de le r��diter. Il remet au go�t du jour des textes recueillis � l�aube des recherches berb�res. Une pr�face brillante de Mohand Lounaci, un jeune chercheur plein de mordant, contextualise le travail de Ren� Basset. L��dition est accompagn�e d�un texte de Guy Basset, petit-fils de Ren�, qui a re�u en quelque sorte en h�ritage l�Alg�rie de la recherche linguistique. Il ne sera pas linguiste, lui, mais il se reliera au pays de ses anc�tres par un autre biais : celui d�Albert Camus, dont il est un des sp�cialistes. Une histoire sous forme de trame familiale qui n�en finit pas de se poursuivre pour le plus grand bien de la recherche. Bachir Agour INTERVIEW DE BERNARD CESARI, EDITEUR : �Comprendre les paradoxes d�une �poque� Le Soir d'Alg�rie : Pourquoi r��diter aujourd'hui les contes de Ren� Basset ? Bernard Cesari : D'une part, historiquement, c'est l'un des premiers ouvrages importants sur les contes berb�res. D'autre part, il pr�sente l'avantage de proposer des contes de diff�rentes composantes du monde berb�re alors que beaucoup de travaux ne se sont int�ress�s qu'� telle ou telle r�gion. Cet aspect comparatif est d'autant plus int�ressant que Ren� Basset �tait aussi sp�cialiste de l'Afrique noire, de l'Ethiopie et du monde bantou. Ce travail est donc incomparable par rapport � la multitude de petits travaux sur les contes relev�s par-ci, par-l�, qui n'ont d'int�r�t que local. Par ailleurs, c'est beaucoup plus qu'une r��dition. Certes, nous republions les contes traduits tels qu'ils figuraient dans les deux �ditons de 1887 et 1897 (�videmment difficiles � trouver) mais nous les faisons pr�c�der par deux importantes introductions �crites sp�cialement par Guy Basset et Mohand Lounaci, et nous les faisons suivre par une bibliographie � jour sur le sujet. De plus, nous mettons sur internet, gratuitement, les notes et les textes originaux qui �taient parus dans plusieurs revues de 1885 � 1896. Parall�lement aux r��ditions d'�tudes novatrices comme celles de Ren� et Henri Basset ou celle de Martial R�mond, vous publiez des ouvrages actuels sur divers aspects de la culture berb�re. D'o� vient cette ouverture sur le monde berb�re ? C'est un peu le hasard qui m'a fait croiser Mouloud Mammeri un � deux ans avant sa mort. A travers lui, j'avais per�u qu'il y avait l� une culture riche et originale. J'avais r�alis� une police de caract�res pour la transcription en caract�res latins de l'arabe et du berb�re et cette police de caract�res avait �t� utilis�e par l'�quipe de Mouloud Mammeri pour sa revue Awal. C'est � cette occasion que j'ai rencontr� le regrett� Mouloud Mammeri. Vous publiez aussi des essais en rapport avec l'Afrique saharienne et subsaharienne. Quel est votre lien personnel avec l'Alg�rie d'une part, l'Afrique d'autre part ? J'ai �t� coop�rant pendant deux ann�es � Annaba en 1978-1980. J'avais appr�ci� ce pays et je m'�tais rendu compte que l'�dition locale �tait tr�s faible. Le rapport aux livres n'�tait pas tr�s consistant en ce sens que les livres import�s, en dehors des manuels scolaires, ne correspondaient pas � mon avis aux besoins de la population et des �tudiants. En revanche, les manuels scolaires et universitaires �taient eux tr�s bien diffus�s. D'autre part, de nombreux Fran�ais s'int�ressent � l'Alg�rie et en Alg�rie nombreux sont ceux qui s'int�ressent � la culture en langue fran�aise. Et je pense que la langue fran�aise n'est pas la moins bonne pour exprimer la culture alg�rienne. Quand j'ai quitt� l'Alg�rie, c'�tait pour l'Afrique noire. J'ai v�cu de 1980 � 1985 � Abidjan puis j'ai travaill� dans 7 � 8 pays d'Afrique pour des p�riodes de quelques semaines o� j'ai fait des installations d'unit�s d'�dition sp�cialis�es dans le d�veloppement. A cette occasion, des liens se sont tiss�s. Pourquoi ce nom, IbisPress ? Et la devise de votre maison d'�dition : Le livre est une rencontre ? L'ibis est un oiseau, ce qui n'est pas d�sagr�able. Un oiseau qui se trouve sur tous les continents et qui se dit pratiquement de la m�me fa�on dans toutes les langues sans qu'il soit n�cessaire de le traduire. Il correspond aussi � un dieu de l'Egypte ancienne. Autant de raisons pour choisir ce nom. La devise de la maison : Le livre est une rencontre, car le livre n'a de raison d'�tre que s'il est une rencontre entre les gens, c'est-�-dire entre les auteurs et les lecteurs, entre les lecteurs eux-m�mes et l'�diteur. Quels lecteurs ciblez-vous � travers vos publications ? C'est toujours un pari. Le lecteur cibl� est un lecteur cultiv� mais pas n�cessairement �rudit. Qui s'int�resse � la culture mais qui n'a pas besoin d'�tre �rudit. Il n'y a pas de p�danterie dans les �crits mais il y a quand m�me la n�cessit� d'aller au-del� des images. Donc, c'est un lecteur cultiv� mais qui peut �tre moderne et jeune. Pensez-vous que l'int�r�t pour l'amazighit� grandisse en France aujourd'hui ? J'ai �t� un peu d��u par la r�ponse des lecteurs aux ouvrages sur le monde berb�re dans la mesure o� l'amazighit� est un peu trop locale. Lorsque j'ai fait un ouvrage sur Sidi A�ch, il s'est tr�s bien vendu pour les gens de Sidi A�ch. Mais les gens de la vall�e d'� c�t� ne se sentent pas concern�s. Encore moins par un ouvrage qui concernerait le Rif ou les Chleuhs par exemple. Si quelques intellectuels essayent de r�unir difficilement les pi�ces du puzzle malheureusement le lecteur reste, lui, un peu trop dans son univers de d�part. La plupart de mes livres sont plut�t achet�s par des Fran�ais proches du monde berb�re que par des Berb�res eux-m�mes, notamment par des Fran�aises mari�es � un Berb�re qui vont le lire puis l'offrir � leur mari. Mais cela marche assez peu en sens inverse, malheureusement. Il y aurait plus de lecteurs si les Berb�res eux-m�mes achetaient les livres puis les offraient ensuite � leur femme pour montrer que leur culture est bien vivante. Les publications concernant le monde arabe trouvent-elles un �cho plus favorable ? Le monde arabe n'est pas un monde dont la litt�rature est florissante puisque la plupart des pays arabes ont un nombre de nouveaux titres extr�mement faibles. Par contre, ils ont un nombre d'exemplaires de reproductions extr�mement �lev� ; autrement dit, peu de novations et beaucoup de r�impressions. Ce qui est l'inverse de ce que souhaite l'�diteur, et de ce que souhaite l'auteur. On est dans une r�p�tition comme si cette soci�t� �tait un peu bloqu�e sur des sch�mas qui ont du mal � avancer. Il y a deux ans, vous avez cr�� la collection T�moins et acteurs. A ce jour, elle comprend deux titres, Duverrier et Serge Michel et � para�tre en 2009, Vign� d'Octon. Pourquoi cette collection, pourquoi ces personnages ? L'objectif se r�sume dans cette phrase : au travers d'une vie, un moment de l'histoire. J'ajoute sur le site internet : comment comprendre les paradoxes d'une �poque � travers les contradictions v�cues par un personnage, loin des mythes. Je pense qu'il est difficile d'�crire aujourd'hui des livres d'histoire qui ne soient pas quelque peu impr�gn�s de mythes. Il est difficile lorsque l'on parle d'une �poque de montrer � quel point ce sont les contradictions qui �clairent l'�poque. On risque dans un tel travail de ne pas faire appara�tre le sens. Par contre, si on prend un personnage qui, lui, vit des contradictions, les d�passe et qui, d'une certaine fa�on, est lui aussi d�pass� par ces contradictions, on peut montrer � quel point l'histoire est toujours incertaine. Ceux qui pr�tendent le contraire sont victimes d'une compr�hension simpliste de l'Histoire. Donc, c'est une option en ce qui concerne les biographies qui est � l'oppos� des biographies mythiques des grands personnages. Ce ne sont pas les grands personnages qui font l'Histoire. On fait l'Histoire, a posteriori autour des grands personnages, car c'est s�curisant pour le commun des mortels. En r�alit�, l'Histoire est faite d'une s�rie d'�v�nements dont beaucoup sont dus au hasard, qui sont port�s par les uns, subis par les autres. Ce n'est qu'� travers le v�cu contradictoire que l'on peut avoir un �clairage pr�cis. Ceci s'applique �galement aux p�riodes r�centes notamment concernant les rapports entre la France et l'Alg�rie. Il n'y a pas UNE ni DES v�rit�s. L'objet de l'Histoire n'est pas de chercher des v�rit�s pas plus que l'objet de la m�decine n'est de chercher la vie �ternelle. L'objet de l'Histoire est d'�clairer des contradictions. Voil� pourquoi je publie des ouvrages qui mettent l'accent sur les contradictions. Quelle strat�gie doit adopter un petit �diteur pour survivre face � un syst�me domin� par les grands groupes de presse et d'�dition ? Je ne suis pas s�r qu'il y ait une strat�gie qui permette de survivre. Pour exister, il faut d�j� avoir des id�es claires sur la ligne �ditoriale. Il faut aussi avoir un lectorat fid�le qui comprenne cette originalit�, ce qui est tr�s long, cela peut prendre parfois dix ans. Il faut que le bouche-�-oreille fonctionne et que les auteurs et les lecteurs cr�ent une sorte de communaut� qui permette de f�d�rer ces derniers. Si tout le monde s'interroge sur la survie du livre en tant que document papier, notamment dans les pays qui ont une grosse industrie de l'�dition, qu'en est-il des pays du Sud ? Les pays du Sud qui n'ont que des petits �diteurs n'ont pas les m�mes probl�mes que les pays du Nord qui ont une industrie avec de tr�s forts tirages. Deux choses vont int�resser les pays du Sud. C'est la possibilit� d'acc�der � des livres en format �lectronique via le net sans avoir � supporter les co�ts et les d�lais de transport. Reste la difficult� du paiement en ligne. Ce n'est pas une difficult� majeure car beaucoup se d�brouillent lorsqu'ils souhaitent importer un produit d'Europe : un fr�re, un cousin font souvent l'achat par carte bleue pour leur propre compte. La seconde possibilit�, ce sera celle pour des �diteurs d'Alg�rie, de mettre en ligne des ouvrages qui pourront �tre achet�s par des lecteurs europ�ens ou situ�s en Europe. Je pense qu'il y a un grand avenir dans ces deux pratiques car ce qui emp�che le commerce du livre ce sont les co�ts de transport, les frais de douane ou les blocages en douane ou le fait qu'il n'y ait pas de flux r�guliers d'import, d'export et de diffusion de livres. Il n'y a pas de circuits efficaces de diffusion de livres �trangers en Alg�rie, ni de circuits efficaces de diffusion de livres maghr�bins en France. Sans tomber dans la parano�a, on peut constater au minimum que rien n'est fait pour rem�dier � cet �tat de choses. En revanche, internet qui, en grande partie, �chappe aux pouvoirs, pourra aussi suppl�er � l'absence de ces circuits. Il est �vident aussi que dans le cadre de la mondialisation, l'Alg�rie ne restera pas �ternellement � l'�cart des circuits de convertibilit� des monnaies. Le probl�me de la chert� ne sera pas directement r�solu par l'internet encore qu'il y ait d�j� des milliers et des milliers de textes du domaine public qui sont disponibles gratuitement sur internet, ainsi que beaucoup de cours d'universit�, des encyclop�dies, des dictionnaires.