De Hambourg où il vit, l'écrivain Hamid Skif revient sur le festival de littérature pour enfants d'Alger. Espoirs et idées…Nous sommes aux portes du prochain Salon international du Livre qui a retenu cette année le thème de la littérature enfantine et, le temps d'honorer ici quelques échéances personnelles, je tenais à exprimer ma joie d'avoir participé, à Alger, au premier festival de littérature pour enfants*. L´initiative est tellement louable qu´il ne faut pas bouder son plaisir. En dépit des faiblesses d´organisation imputables à toute première édition, la manifestation a été un succès pour avoir offert aux auteurs invités et aux éditeurs l´occasion de mettre en avant une littérature qui reste le parent pauvre d´un champ éditorial en développement. Au delà du témoignage, il s'agit donc surtout de tirer tous les enseignements possibles. L´idée de mixer spectacles, lectures, débats académiques, jeux et expositions ventes fut très bonne. Elle mérite d´être améliorée et démultipliée à travers les régions du pays. J´ai été interrogé sur le développement de la production de la littérature pour enfants. N´étant ni éditeur ni spécialiste de la question, je me garderais de formuler des thèses à ce propos. Je puis formuler cependant quelques pistes en précisant qu´elles ne réclament pas de grands moyens. Pour se dispenser de toute action, on a souvent tendance, chez nous et ailleurs, à mettre en avant la question des facilités. J´ai pour ma part toujours usé du slogan : « Nous sommes trop pauvres pour manquer d´imagination » Cela signifie que nous devons absolument mettre en œuvre nos neurones pour trouver des solutions simples et rattraper nos retards. De quoi s´agit-il ? Devant l´impératif de développer chez les petits le goût de la lecture et leur esprit de créativité, il faut nécessairement des livres et des bibliothèques scolaires. Mais pas seulement. Le rôle des parents dans l´acquisition de livres est capital. Un enfant élevé dans une maison sans livres ne pourra, sauf exception, bénéficier du goût de la lecture. Chez nous, seuls les manuels scolaires ont droit de cité. Les magazines pour enfants n´existent pas, alors que nous disposons d´une presse pour le moins florissante. Une première idée consisterait donc à stimuler, à côté de la création de bibliothèques scolaires (il suffit parfois d´une armoire et d´un coin lecture dans l'école), la publication de suppléments dans les journaux et magazines. La seconde idée nous en avons parlé au cours du festival est d´inviter les auteurs dans les lycées et collèges. J'ai souvent l´opportunité de faire des lectures devant des adolescents de différents pays et je le fais avec un réel plaisir (et toujours, la frustration de ne pas en faire autant pour mes petits compatriotes). C´est aussi l´occasion de faire découvrir l´Algérie et sa littérature. Parfois, c´est moi-même qui demande à mes hôtes s´il n´y a pas la possibilité de faire, d'un côté la lecture pour les adultes, et d'un autre pour les lycéens. Ayant un contact relativement facile avec les enfants et les adolescents, je me prête volontiers au jeu. Il faut évidemment aimer le faire et être un bon lecteur ou s´entraîner à l´être. Il n´y a rien de plus assommant qu´un écrivain qui massacre son propre texte ! Ce moyen devrait donc être encouragé pour promouvoir la lecture mais aussi la confrontation d´idées dépassant les contingences de l´enseignement et ses carcans. Lors de ces prestations, je demande systématiquement aux enseignants de se mettre au fond de la classe pour éviter qu´ils n´interfèrent dans le dialogue et les jeux que je propose aux adolescents. Des commentaires du genre « Ça, c´est une question intelligente ! » ou les mimiques désappointées d´un enseignant sont à éviter, d´autant que les élèves sont généralement intimidés devant un auteur. C´est pourquoi je demande aux chefs d´établissement de remiser leurs discours d´accueil ou de les réduire à leur plus simple expression. L´essentiel pour l´auditoire est d´avoir un contact direct avec l´auteur. Je commence d'ailleurs à raconter comment, enfant, je suis venu à la littérature, à décrire Oran ma ville natale, et à la situer sur la carte de l´Algérie. Je le fais pour désacraliser le fait d´écrire et montrer que le chemin n´est pas aussi ardu que cela. Ce sont habituellement les filles qui avouent qu´elles tiennent un journal, écrivent des poèmes ou des nouvelles. Les garçons sont plus réticents. La plupart considèrent qu´écrire, confier ses sentiments à un cahier, n´est pas une occupation masculine. C´est une fois l´atmosphère détendue, la complicité avec la salle établie, qu´ils se livrent. Pour y parvenir, je raconte de plaisantes anecdotes, les provoque un peu et surtout leur propose d´élire le ou la meilleur(e)lectreur(rice). Je donne à lire un poème ou un texte très court à ceux d´entre eux qui le souhaitent et demande à la salle de désigner un jury pour départager les candidats sous les applaudissements. Le gagnant remporte un de mes livres ou un CD de musique algérienne. Une fois cette ambiance ludique installée, la lecture débute. Pour certains de mes pairs, cela ne fait pas partie du travail de l´auteur. Mon opinion est tout autre. A moins de refuser le contact, l´écrivain qui va à la rencontre de ses lecteurs ne peut ignorer la condition de son public. Je sais que ces adolescents n´auront que peu d´occasions de croiser des écrivains et encore moins des écrivains algériens. Aussi, j´essaie de faire en sorte qu´ils gardent de notre rencontre un bon souvenir et qu´elle les aide à découvrir d´autres horizons. Si j´ai fait ce petit détour, c´est pour souligner qu´il s´agit d´un travail à ne pas prendre à la légère, qu´il réclame de l´engagement et la volonté de partager une expérience et une vision de la vie. Reste maintenant la question des honoraires. Il faut trouver une solution pour que cette intervention soit rétribuée même à minima. Que cette solution vienne de l´établissement scolaire, des œuvres scolaires, de la direction de l´éducation de wilaya ou de celle de la culture, peu importe ! L´essentiel est que l´auteur soit rétribué, même de façon symbolique. On ne peut demander décemment à quelqu´un de faire un travail sans salaire. Une anecdote pour clore ce chapitre. Dans les années 80, une délégation de représentants d´un comité d´entreprise m´offrit de faire un récital de poésie devant leurs collègues. Une fois les détails de la manifestation précisés, je leur demandai le montant des honoraires. Stupéfaction et haussement de broussailleux sourcils : « Quoi ? Vous réclamez de l´argent ? Mais nous voulions vous faire de la publicité ! » Je leur signalai que c´est parce que ma publicité était faite qu´ils étaient venus me voir et leur posai la question suivante : « Lorsque vous invitez un expert à faire une conférence devant vos cadres, non seulement vous lui payez le voyage, vous le logez, mais en plus, vous le rétribuez. S´il a fait le voyage avec son épouse, vous mettez une voiture à sa disposition pour faire une virée touristique et, en plus, ils ont droit à un petit cadeau en guise de souvenir de votre sens de l´hospitalité. C´est bien ça ? » Ils opinèrent du chef. « Alors, leur dis-je encore, pourquoi considérez-vous qu´un auteur est moins important qu´un expert ? » Ils partirent déçus et je ne crois pas qu´ils aient révisé leur point de vue depuis. Trop souvent on estime que l´écrivain devrait se suffire du plaisir d´avoir un auditoire, ce qui oblige à penser que l´écriture est un hobby pratiqué de temps à autre. C´est cette idée que je voudrais corriger, mais revenons au sujet du jour. Les ecrivains en herbe La troisième idée que je voudrais proposer, c´est d´inviter des conteurs dans les écoles. De nos jours, peu de parents racontent des contes à leurs enfants. Il est plus facile d´inviter un conteur ou une conteuse dans une école que d´inviter une troupe de théâtre ou de marionnettistes dont les spectacles réclament beaucoup plus de moyens. Des conteurs populaires ou des comédiens sélectionnés sur la base d´un répertoire peuvent faire l´affaire. Là aussi se pose le problème des émoluments, mais faisons confiance aux enseignants pour trouver les plages horaires et les solutions idoines pour cela. Dans ces propositions, j´inclus bien entendu les établissements pour enfants handicapés qui ont autant sinon plus que les autres enfants besoin d´élargir leur horizon. D'où l´importance de l´édition de CD et de livres en braille pour enfants. Il y a quelques années, en Algérie, des bénévoles faisaient des lectures pour les handicapés. Cette belle action mériterait d´être reprise et développée. En Allemagne, des dizaines de maisons d´édition éditent des romans enregistrés et pas seulement des contes. Cette branche de l´industrie du livre met sur le marché les grands et petits succès de librairie en CD. Les gens les écoutent tout en vaquant à leurs occupations. Ma quatrième proposition concerne les ateliers d´écriture. On peut imaginer, comme cela se pratique ailleurs, y compris chez nos voisins maghrébins, que des écrivains animent des ateliers de lycéens. La publication des meilleurs travaux constituera la consécration que tous les écrivains en herbe attendent. Enfin, la multiplication de prix littéraires, qui demeurent une rareté sous nos cieux, devrait permettre de promouvoir leurs ambitions à condition que ces prix soient octroyés par des jurys attachés à la qualité de l´écriture. D´aucuns pourraient voir ces propositions comme un catalogue d´idées difficiles à mettre en œuvre dans les conditions connues de nos établissements scolaires. Pourquoi ne pas associer les centres culturels, les maisons de jeunes et autres établissements ou associations ? C´est une manière d´élargir le cercle des intervenants si nous estimons que notre seul avenir est celui que nous offrons à nos enfants ? L´exiguïté des logements, les conditions de vie difficiles de nombreuses familles ne permettent pas aux enfants de faire leurs devoirs ou de lire dans des conditions satisfaisantes. A la fin des années 80, mon épouse avait eu l´idée de créer à Tipaza une petite bibliothèque qui recevrait les écoliers après les heures de classe pour leur permettre de faire leurs devoirs et lire. J´avais soutenu l´initiative qui reposait sur la mobilisation des femmes de la localité qui pouvaient offrir quelques heures de leur temps pour gérer l´établissement. Je m´étais engagé à mobiliser des fonds pour la construction de la bâtisse et l´équiper. Il fallait trouver un terrain de 150 mètres carrés tout au plus. Le maire me répondit qu´il ne disposait pas de terrain pour cela. Enfin, pour revenir au festival, certains ont jugé inopportune sa programmation en été. Je suis d´un avis tout à fait contraire. Je trouve formidable que cette manifestation ait eu lieu en cette saison « morte ». Elle a offert aux privés de vacances, à ceux qui restent en plan, une ouverture, même si ce n´est qu´une petite fenêtre, c´est déjà beaucoup. C´est pour cette raison que je milite pour le maintien de la période avec l'ouverture de scènes dans tous les quartiers. Avec d´autres auteurs, j´ai pu mesurer le talent de nos conteurs en herbe. Nous leur avons offert de nous suppléer ; ils nous ont montré un savoir-faire de conteurs virtuoses. Il suffit donc d´ouvrir les portes, de donner de l´espace aux initiatives pour que s´épanouissent les talents.