A en croire la Gen�se, Dieu, qui l'avait pr�venu, a inflig� � Adam le risque insens� de devenir mortel, d'�tre astreint au travail et de voir Eve souffrir en accouchant, soit parce qu'il �tait masochiste, soit parce que, plus vraisemblablement, il n'�tait pas rationnel. Dans ce cas, le courant dominant de la th�orie �conomique est fond� sur une hypoth�se fausse car il ne serait pas toujours judicieux de laisser l'individu choisir en toute libert�. Adh�rent � ce postulat d'�minents intellectuels. En 1978, Herbert Simon a obtenu le prix Nobel d'�conomie pour avoir pos� le principe de la �rationalit� limit�e� qui �nonce que l'homme ne peut pas tout conna�tre et que son moteur intime n'est pas seulement la maximisation de son bien-�tre. En 1982, le psychologue Daniel Kahneman a �t� distingu� du m�me prix pour �avoir int�gr� les apports de la recherche psychologique dans la science �conomique, notamment concernant le jugement humain et la prise de d�cision en incertitude�. Demain, la �neuro�conomie� permettra peut-�tre d'en dire plus sur les m�canismes c�r�braux de nos choix parfois �tranges. La plus grande arnaque intellectuelle du si�cle est donc de faire accroire qu'il suffit de laisser libre cours aux lois du march� pour acc�der � une concurrence pure et parfaite. Jamais pareille assertion n'a �t� si cruellement d�mentie que de nos jours, chez nous comme partout ailleurs. Affirmer un tel dogme permet aux �conomistes n�olib�raux qui forment une minorit� � souvent dissimul�e sous le vocable d'�experts�, par ailleurs politiquement irresponsable � d'�carter tout d�bat, et aux entreprises d'imposer leurs choix hors de tout protectionnisme, en l'absence des entreprises publiques, de toute intervention de l'Etat et de toute r�gulation normative. Aujourd'hui, la pens�e �conomique n�olib�rale s'est affranchie de toutes anciennes contraintes, li�es � la comp�tition entre les deux blocs, pour asseoir le r�le fondateur de la concurrence et, au del�, justifier le primat du libre-�change en macro�conomie, et celui de la flexibilit� en micro�conomie. Fort heureusement, les Etats, m�me les plus lib�raux, � des degr�s divers, ne l'entendent pas de cette oreille et il n'y a que les derniers parvenus du lib�ralisme � ce qui est fortement notre cas � pour y croire. Coop�ration, �change d'informations et de bonnes pratiques, �mulation � en un mot les r�gulateurs � encadrent les m�gafusions, sanctionnent les pratiques commerciales douteuses, brisent les ententes sur les prix. Des m�canismes de r�gulation qui sanctionnent, de plus en plus s�v�rement, les atteintes � la concurrence qui se pr�sentent essentiellement sous trois formes : les fusions-acquisitions, les abus de position dominante et les cartels. Prenons, pour commencer, le r�gime des fusions-acquisitions, �galement appel�es fusacq ou M&A (Merger and Acquisition) pour les plus initi�s. Ce sont probablement les vocables les plus doux que les banques d'affaires ne se lassent pas d'�couter. Loin de l�. D'apr�s une �tude r�cente, les banques d'affaires auraient, � elles seules, touch� pas loin de 20 milliards de dollars pour les six premiers mois de l'ann�e, soit une hausse de 31% par rapport � la m�me p�riode l'an dernier. La part du g�teau revenant aux banques d'affaires dans la mise en �uvre des fusions/acquisitions ne pr�sente d'int�r�t que parce qu'elle t�moigne de leur importance croissante comme facteur structurant du capitalisme monopoliste. Fort heureusement, les autorit�s de r�gulation s'appliquent partout � l'encadrer lorsqu'elles ne peuvent pas le contenir. Un grand nombre de pays �mergents, en Am�rique latine et en Asie, se sont dot�s d'autorit�s de contr�le. Apr�s les fusions/acquisitions, la concurrence souffre des abus de position dominante. Les accords de distribution, les contrats d'exclusivit� ou la conception m�me des produits passent par un imbroglio juridique d'autant plus inextricable qu'ils ne peuvent �tre circonscrits � une seule juridiction. Restent les cartels. Dans le monde de la concurrence, c'est, de loin, le p�ch� le mieux sanctionn�. Les r�gulateurs collaborent de plus en plus �troitement, organisant par exemple des perquisitions simultan�es. Ils mettent en place progressivement des politiques dites de �cl�mence �, d�vastatrices, qui garantissent l'impunit� � ceux qui d�noncent en premier l'entente � laquelle ils ont pris part. H�las, cette impunit� ne vaut pas dans le monde entier. Un �d�lateur� qui livre un dossier � la Commission europ�enne peut �tre soumis � une proc�dure dite de �discovery� aux Etats-Unis, o� un juge peut lui r�clamer, dans le cadre d'une action au civil, tous les documents remis � Bruxelles... Et le voil� pris dans une spirale incontr�lable. L'UE se veut elle aussi plus que jamais impitoyable envers les cartels. Neelie Kroes, la commissaire � la Concurrence, en fait m�me sa priorit� absolue pour les mois � venir. Pour cela, la Commission vient de renforcer son arsenal l�gislatif. Outre son dispositif fond� sur la d�lation � l'am�ricaine, o� l'entreprise qui d�nonce le cartel est relax�e, l'ex�cutif europ�en vient de r�former son bar�me de calcul des infractions au d�triment des grands groupes et des cartels de longue dur�e. A terme, l'antitrust pourrait aussi autoriser des �arrangements � � l'anglo-saxonne o� les firmes n�gocient des remises sous peine de versements imm�diats. Sur cinq ans, entre 2000 et 2005, Bruxelles a d�mantel� 38 ententes illicites et inflig� pour 4,4 milliards d'euros d'amendes au total. Mais, depuis le d�but de l'ann�e 2006, les amendes se montent d�j� � pr�s de 1 milliard. Les nouvelles r�gles adopt�es par la Commission europ�enne pour sanctionner les entreprises convaincues d'abus de position dominante ou d'ententes ill�gales pr�voient un alourdissement significatif des amendes qui leur seront inflig�es, et qui sont pour le moment limit�es � 10% du chiffre d'affaires total annuel. Leur montant pourra d�sormais atteindre jusqu'� 30% des ventes annuelles concern�es par l'infraction, un chiffre ensuite multipli� par le nombre d'ann�es de la dur�e de cette derni�re. Sans compter une amende forfaitaire, appel�e "droit d'entr�e", et qui repr�sentera entre 15 et 25% des ventes annuelles. La r�cidive sera quant � elle passible d'une majoration de 100%. Selon Neelie Kroes, commissaire europ�enne � la Concurrence, ces nouvelles r�gles envoient des �signaux clairs aux entreprises�, qui devront payer un prix �tr�s �lev� en cas de fraude. Par ailleurs, on observe une tendance � la p�nalisation. A l'heure actuelle, en pratique, les chefs d'entreprises voraces risquent la prison pour avoir cartellis� un march� aux Etats-Unis, au Royaume-Uni et en Irlande, trois pays r�put�s. Un ancien patron de Sotheby's a �t� condamn� � passer derri�re les verrous � presque 80 ans. L'an dernier, le ministre de l'Int�rieur britannique a ordonn� l'extradition vers les Etats-Unis de l'ancien dirigeant de Morgan Crucible, � peine plus jeune. Certains de leurs homologues europ�ens ne peuvent plus poser le pied aux Etats-Unis, de crainte de s'y faire arr�ter. Des cadres fran�ais de haut niveau se sont m�me vu conseiller d'aller purger une peine de quelques mois outre-Atlantique, dans l'int�r�t de leur carri�re, qu'un mandat Interpol ob�rerait singuli�rement. Sous le ciel d'une Alg�rie class�e parmi les 10 pays les plus corrompus du monde, la concurrence souffre d'autres maladies internes, comme la r�gle du �premier venu, premier et dernier servi� qui conf�re des abus des positions � caract�re mafieux. Principal moteur de r�gulation �conomique, elle menace y compris la s�curit� nationale.