Sans nul doute que l�exceptionnel recyclage politique d�un Kebir n�est pas fortuit. Il est porteur d�un signal fort destin� aux cercles influents qui, jusque-l�, se croyaient ind�boulonnables ou du moins incontournables. Il consiste, dans un premier temps, � leur rappeler une v�rit� premi�re du pouvoir : celle qui postule, par r�alisme, qu�� un moment ou � un autre il faut renouveler le compagnonnage afin de se perp�tuer. Et, comme seconde le�on, � les mettre en garde contre la tentation d�afficher un quelconque m�contentement et surtout de s�y opposer par la parole ou l�activit�. Ainsi, m�me les fid�lit�s les mieux �prouv�es ne sont pas dispens�es de la disgr�ce quand par �n�cessit� l�on se croit autoris� de placarder des all�geances et de promouvoir d�autres r�seaux. Le dialogue informel entam� avec l�ex FIS est justement le pr�lude � un r�am�nagement des alliances. Il est m�me envisag�, non pas sous la forme classique des chaises musicales impliquant les appareils en charge de la gouvernance, mais se veut comme une r�volution de palais, d�s lors que la perspective du r�gime doit changer de bout en bout. Un radical d�placement des lignes de convergences sur lesquelles s�appuiera le pouvoir � l�avenir. Les deux r�f�rendums (concorde et r�conciliation), ayant l�gitim� l�option la plus lourde de ces quinze derni�res ann�es, donnent par cons�quent des motifs explicites � leur auteur pour recentrer sa strat�gie personnelle. Et ce n�est certainement pas cet interlocuteur, revenu de son exil d�Allemagne, qui n�approuvera pas ce souhait encore inavou�. Son adh�sion claire au processus b�n�ficiant � sa famille politique ne l�a-t-il pas rendu �galement �ligible � tous les contacts ? Se rapprochant, en un laps de temps tr�s court, de personnalit�s susceptibles de jouer aux bons offices, il parvint � sonder la sympathie d�une association des Ul�mas en la personne du professeur Chibane, puis � d�crypter la perspicacit� politicienne d�un Mehri partisan imp�nitent d�une solution n�goci�e depuis Sant�Egidio. Lundi dernier, il r�ussira m�me � conf�rer avec le chef du gouvernement et � examiner de la mani�re la plus officielle la possibilit� de participer aux futurs scrutins ! Devant une telle habilet� � se faire valoir et se faire recevoir, il est na�f de croire qu�El Mouradia n�y soit pour rien. Autrement dit, il est difficile de ne pas voir dans cet activisme la b�n�diction du chef de l�Etat qui trouve dans ce travail exploratoire, selon la formule diplomatique, les pr�mices d�un deal prochain. Judicieusement, tous les �pouvantails du FIS que sont les Abassi, Benhadj ou Mezrag furent exclus du casting au profit d�un Kebir qui semble r�unir les qualit�s requises pour op�rer la jonction historique entre la base militante de cette mouvance et le pouvoir en place. L�int�r�t d�un tel pacte en gestation r�siderait alors dans une double l�gitimation. Pour le pouvoir, celui d�acc�der � une assise populaire et pour l�ex-Fis celui de renouer enfin avec le champ politique. Une r�ciprocit� d�int�r�ts sordides encore inimaginables il y a � peine un an. C�est-�-dire l��bauche d�un concordat en terre d�Islam qui mettrait en phase un lobby th�ocratique actif et un Etat aux institutions d�labr�es. Imagine-t-on par avance les rapports qui s�instaureront et qui sera l�otage de l�autre ? M�me si le pire n�est pas certain, rien en tout cas n�indique qu�il n�en sera pas ainsi d�ici � 2007. L�enthousiasme de Belkhadem, quand il confirmait quelques mois auparavant qu�il avait pris personnellement contact avec Kebir, recoupe parfaitement sa promptitude des jours derniers � converser du destin de la R�publique avec un amnisti� sans droits politiques attest�s. Autant admettre que les conditions actuelles se pr�tent id�alement aux tractations, sauf que le march� que conclura en d�finitive son mentor risque d��tre moins avantageux qu�il ne l�esp�re. Et pour cause, l�on ne domestique pas une mouvance mena�ante et arm�e avec les m�mes injonctions que des appareils de propagande qui ressemblent au Hamas ou au RND. Mieux que quiconque, il sait qu�il joue, avec les �d�bris fumants� du FIS, une carte dangereuse. Celle-ci constituera son second deal majeur apr�s celui pass� avec la hi�rarchie militaire en 1999 et reconduit en 2004. Pour m�moire, lorsque le choix se porta sur lui pour succ�der � un Zeroual d�barqu� � �l�insu de son plein gr�, on laissa entendre qu�il �tait le seul � avoir la capacit� de fournir le bon emballage politique et plaider la justesse du combat men� ici, aupr�s des instances internationales. A contrario, lui appara�tra en total d�calage avec les effets d�annonce de sa candidature. En effet n�a-t-il pas �voqu�, d�s ses premi�res apparitions en campagne, la �violence d�Etat� ! Sa certitude �tait �tablie d�s cette �poque et se r�sumait en une critique implacable des armes. Il estimait que m�me une victoire militaire sur le terrorisme islamiste ne constituait pas en soi une condition n�cessaire et suffisante pour aboutir � la paix. Il importe peu, a posteriori, de savoir combien de hi�rarques galonn�s il chagrina en d�valuant leurs hauts faits d�armes, mais le fait tangible est qu�il parviendra par la suite � imposer sa d�marche en se bricolant deux sauf-conduits sortis des urnes. Cinq ann�es apr�s les pr�liminaires de la concorde et six mois apr�s la promulgation de la charte amnistiante, il a fini par se retrouver en t�te-�t�te avec un FIS, recompos� certes, mais dont les nouveaux leaders n�ont pas amend� la moindre ligne de leur id�ologie. Au mieux, ils s�adaptent tactiquement en faisant de �l�arme de la critique� une �critique des armes�. Une nouvelle profession de foi est n�e qui, disent-ils, r�fute la violence et pr�ne la l�galit� ! Tout un art pour se rendre �fr�quentable� politiquement et aider le pouvoir qui les d�douana de la responsabilit� unilat�rale dans la �guerre civile�. De fait, il ne pourra pas se d�rober plus longtemps � leurs exigences, dont celle de l�amnistie politique qu�ils revendiquent avec une dialectique imparable parce qu�elle puise ses arguments dans le discours officiel. En tout cas, pas pour plusieurs ann�es, car le temps lui est compt� dans la perspective de 2009 et au moment o� la �R�conciliation�, ellem�me, s�essouffle faute de pr�dicateurs patent�s. Mieux qu�un simple �claireur de sa mouvance, Kebir est d�sormais le porteur de la bonne parole et � ce titre on le pr�pare � jouer le r�le catalyseur. Censeur des factions extr�mistes qui risquent de faire capoter le travail d�entrisme, il est en train de capitaliser un cr�dit d�estime suffisant pour qu�il soit encore possible de l��conduire sans m�nagement au premier retournement de situation. Indispensable � son clocher politique, il est d�sormais craint par le pouvoir qui s�oblige � le pr�server avant d�en faire un alli� s�r. Car enfin, si l�on n�explique pas tout par le seul entregent du personnage, c�est qu�il y a s�rement la discr�te bienveillance qui agit � des fins pr�cises. Celle d�en finir avec le tabou du FIS incarnant le populisme religieux et inf�me et dont des pans entiers de la soci�t� eurent � souffrir de son agressivit�. Mais qui justement stigmatisera aujourd�hui le pouvoir pour sa connivence avec ces repr�sentants du sectarisme et de l�intol�rance ? Plus personne sauf cette voix solitaire du CCDR qui diffuse des communiqu�s comme on jette al�atoirement une bouteille � la mer. Sait-on jamais peut�tre que ces messages de d�tresse parviendront � des esprits attentifs. Petites initiatives mais n�anmoins respectables r�sistances d�un comit� n� en opposition � Bouteflika d�s septembre 1998 et qui entretient � ce jour cet ent�tement vertueux de ne rien c�der sur l�essentiel. Le d�funt Saout El Arab, son porte flambeau, r�vait d�un d�clic identique � celui qui permit � un autre �comit� de se mettre en place dans l�urgence de d�cembre 1991 afin de conjurer la peste anti-d�mocratique qui allait confisquer le pays. Il ne souhaitait pas se substituer � la vocation des partis mais s�imaginait seulement jouer un r�le d�observatoire d�alerte. H�las, peu d�entre eux avaient saisi son utilit� dans le champ politique alors qu�il aurait pu acqu�rir, gr�ce � leur concours, l�autorit� d�un �sismographe � mesurant ponctuellement les atteintes aux libert�s et qui viendrait contredire les instruments officiels et la propagande de service. Seule, donc, cette fragile voix s�est �mue de la r�habilitation d�un dirigeant du FIS et des desseins du r�gime. Inqui�tant silence au moment o� se joue une partie de poker menteur autour de l�interpr�tation extensive de l�amnistie. Pas une instance morale et pas un parti n�ont daign� pousser leur �hol� face � un marchandage destin� � faire coucher la r�publique avec ses violeurs d�hier. �L�histoire ne repasse jamais les plats�, car si en d�cembre 1991 l�Etat, tra�n� dans la boue, a pu, miraculeusement, �tre sauv� il le devait alors � l�existence d�un consensus r�publicain tr�s fort. Il en est autrement de nos jours apr�s la disparition des p�les structur�s et la compromission de certaines chapelles. L�effondrement de la R�publique est d�j� dans les esprits avant de passer dans les faits. Alors il ne restera � ce pays qu�� refaire la �r�volution ou qu�il aille au diable�, comme le proposait avec amertume et col�re Karl Marx � nos anc�tres rong�s par le sentiment de l��chec.