A tort ou � raison, les terres int�rieures tiennent en grande m�fiance la suzerainet� des m�tropoles. Moins par orgueil identitaire que par souci de d�noncer la vanit� des autorit�s autoproclam�es, elles cultivent une sorte d�irr�dentisme latent qui n�ob�it pas forc�ment � un quelconque d�sir d�affranchissement politique. Encore que, pour certaines d�entre elles, la tentation est r�elle, d�s lors que leur particularisme est plus marqu�. Ainsi, chaque province fourbit sa diff�rence et le fait savoir � sa mani�re aux pouvoirs centraux. Il en est ainsi de la contestation cyclique des espaces berb�res de la nation dont la revendication cardinale est linguistique, entre autres. Cependant, il n�en est pas de m�me dans les autres �ailleurs� de la r�publique o� l�indocilit� se nourrit d�autres motifs. Parmi eux, il y a s�rement la mis�re sociale qui caract�rise le quotidien des gens. Cette absence de perspectives, voire de bien-�tre, m�me si la famine et les haillons ne sont pas encore � l�origine des exils en masse. Les migrations vers les villes n�expliquent-elles pas en partie la d�tresse de nos villages et hameaux ? Et ce n�est pas faire injure � ces citadins de fra�che date et fatalement d�class�s que de leur imputer les probl�mes qu�ils apportent avec eux, bien plus que la fra�cheur des grands espaces qu�ils sont suppos�s porter �en eux�. C�est ainsi que, par surcro�t � la mauvaise intendance de l�Etat, est venue se greffer l�insoluble question du surpeuplement urbain. Constantine en est pr�cis�ment l�arch�type national que tous les pouvoirs depuis 1962 ont d�lib�r�ment ignor�. Ainsi, vouloir insister politiquement sur le fait que cette ville cultive secr�tement du ressentiment c�est sugg�rer, po�tiquement, qu�elle ne s�aime pas �galement. A l��troit dans un tissu urbain accident�, elle est, dirait-on autrement, mal dans sa �peau� bien qu�elle soit la d�positaire d�une r�putation valorisante. En effet, Constantine n�a pas psychologiquement �vacu� ce complexe de haut lieu sacralis� par des valeurs culturelles et cultuelles alors que toutes parts et dans tous les domaines elle est notoirement surclass�e par des cit�s sans profondeur historique. Ne survivant que par des r�f�rences nostalgiques, elle ne peut par cons�quent se d�cliner que par sa capacit� � d�livrer des messages de col�re. Capitale d�un beylicat condamn� � terme � la peine capitale, elle s�efforce, avant de sombrer, de t�moigner au nom des vieilles pierres contre l�imp�ritie des dirigeants de ce pays. Ainsi, au-del� des reproches dont elle charge ponctuellement la m�tropole officielle, elle tient surtout � lui contester ce primat dont elle continue � faire, d�ailleurs, un mauvais usage. Pour ce faire, elle affiche non seulement du m�pris pour le clinquant d�El-Djaza�r, mais accuse �galement celle-ci de n�avoir d�autres aptitudes qu�� tisser des conjurations contre le pays profond et � circonscrire les limes de la nation � son nombril. A ses yeux, ces deux d�fauts caract�risent �l�esprit de la r�gence� qui persiste � ce jour et qui se r�sume � une perception hautaine des devoirs � accomplir vis-�-vis du pays r�el et un app�tit immod�r� pour les fastes du diwan. La �bonification� pernicieuse de cette turquerie ancienne alt�re encore les relations du centre avec la p�riph�rie de l�Etat, m�me si le concept de r�publique s�est substitu� � celui de la r�gence et les wilayas � celui des beylicats. D�Alger � Constantine et �retour� dans le temps, c'est-�-dire de la capitale � la province, le contentieux est quasiment historique. L�une est le centre du pouvoir r�el alors que l�autre n�en est que son suppl�ment d��me. L� o� se rodent les formules, se fait l�apprentissage des futurs caciques et surtout se tissent les premi�res toiles de la fid�lit� et du compagnonnage. Ainsi, la province a pour vocation cardinale de cultiver l�ombre. Les murmures et les messes basses. Elle est l�arri�re-pays dont le devoir est de demeurer � l��coute, car elle n�est pas une �coute, une voix, un �cho en retour. Or, quand les rares fois o� le hasard la propulse au centre de l�actualit�, elle ne se sent pas � son aise et se voit rapidement agress�e dans ses codes de fonctionnement. Pour cette ville si peu dou�e pour les grands d�ballages m�diatiques, l�humeur habituellement morose s�assombrit un peu plus. Dans cette cit�-l�, l�on a en sainte horreur les scandales. Mais cette retenue n�est pas le fait d�une pudeur collective, mais plut�t un trait de caract�re d�une cit� depuis longtemps � genoux, presque vaincue et �videmment �naphtalinis�e� dans deux ou trois poncifs : Antique Cirta, Bled El ilm, Massinissa. Circonscrite dans quelques heureuses formules de litt�rateurs, elle sera d�s 1962 le �lieu-dit� de toutes les exp�rimentations et l�archipel des �laiss�s-pour-compte�. Il est de notori�t� nationale que cette ville n�a jamais eu par le pass� le traitement �conomique, social et culturel qu�elle �tait en droit d�attendre de la grande p�riode �d�veloppementiste � 1970-80 . Marginalis�e dans les projections de nos planificateurs, elle fut progressivement affect�e � une sorte de fonction �d�abc�s de fixation� politique. Sa r�putation de pi�t� et de religiosit� surfaite la destinera tr�s t�t au r�le de p�le th�ologique. L�Etat y �rigera la plus grande universit� islamique et le FLN, parti unique, r�cup�rera � son profit la figure embl�matique de Ben Badis et la pens�e des Oul�mas. Dans la foul�e, l�administration locale remod�lera le cadre de vie de la cit�, en interdisant le commerce de l�alcool et en r�glementant le fonctionnement des bars et restaurants. C��tait en 1974, Constantine se changeait d�j� en �Qom-sur-Rhumel�. Terreau de l�islamisme politique l�gal, elle conna�tra rapidement le d�clin culturel, mais �galement une r�cession �conomique au moment o�, paradoxalement, le boom p�trolier op�rait ses changements dans d�autres grandes cit�s. A partir des ann�es 80, une autre r�putation est faite � cette ville en total d�calage avec la dynamique nationale : celle de son incapacit� � assumer un r�le de plaque tournante de la croissance r�gionale. Ainsi, tous les grands projets g�n�rateurs d�emplois et de relance �conomique furent r�affect�s vers d�autres sites, accentuant la paup�risation de la ville. Au d�but de la d�cennie 90, son d�labrement �tait tel que la d�rision locale la qualifiait de �vaste d�chra�. Or, qui mieux qu�une d�chra pour abriter la rumeur et cultiver le ressentiment, les r�glements de comptes, les exclusions de l�int�rieur d�une exclusion collective, les ostracismes perfides et surtout une atmosph�re d�l�t�re faite de petites haines et de grandes l�chet�s. Cette ville de Constantine n�est en v�rit� qu�une id�e de cit�, une grande nostalgie pour les rares familles de patriciens et un immense probl�me de l�Etat. Constantine �tait depuis longtemps d�j� un �goulag�, o�, pour y vivre et prosp�rer, il fallait plus que du courage et de la rouerie mais de la vigilance et des conquis. A Constantine, l�on parle beaucoup mais toujours sous le sceau de la confidence. N�est-elle pas bizarre cette humanit� qui murmure ?