«Avec le recul, je constate qu'en 1962 nous avons acquis une nationalité, mais pas le droit à l'exercice de la citoyenneté». M'hammed Yazid (Ancien ministre du Gouvernement provisoire de la République algérienne) Dans ce monde de plus en plus crisique, il vient que l'individu éprouve le besoin d'un retour à des «valeurs sûres» qui lui font retrouver une identité religieuse que la modernité avait réduite. Il est courant d'admettre que les millénarismes ont pour ambition de créer l'homme nouveau capable de répondre aux défis de son époque. De plus, en Occident, l'individu est devenu un SDF de la religion. La fameuse «perte de repères chez les jeunes», induite par la précarité de la vie temporelle et spirituelle, n'a alors rien d'étonnant. De plus, nous vivions une époque où le plaisir est devenu une priorité, où les carrières autrefois toutes tracées, se brisent sur l'écueil de la précarité, la vie à deux ressemble de plus en plus à un contrat à durée déterminée (CDD). Il est illusoire de croire que quelques leçons de morale à «l'ancienne», même dans les pays où la tradition et la religion tentent encore de maintenir la structure sociale, pourraient suffire à enrayer les dommages. Dans cet univers de plus en plus changeant, la morale ne marche plus, car la morale doit être faite «au nom de». Or, justement, on ne sait plus au nom de qui ou de quoi leur parler. Dany-Robert Dufour: Les désarrois de l'individu-sujet, Le Monde diplomatique Février 2001. Le passage de la modernité à l'époque postmoderne se traduit par une multitude de phénomènes de déstabilisation de la personnalité de l'individu, d'autant que sa perte de repères est due aussi entre autres, qu'il n'a pas d'adversaire visible. Par ailleurs, on peut citer comme autre perturbation inédite, le développement de l'individualisme, la diminution du rôle de l'Etat, la prééminence progressive de la marchandise sur tout autre considération, le règne de l'argent, la massification des modes de vie allant de pair avec l'individualisation et l'exhibition, des paraître, l'importante place prise par des technologies très puissantes et souvent incontrôlées, sont en définitive, autant d'éléments qui contribuent à l'errance de l'individu-sujet qui devient, de ce fait, une proie et partant une victime du néolibéralisme. Dany Robert-Dufour: Le Monde diplomatique Octobre 2003. Toute figure transcendante qui venait fonder la valeur est désormais récusée, il n'y a plus que des marchandises qui s'échangent à leur stricte valeur marchande. La valeur symbolique est ainsi démantelée au profit de la simple et neutre valeur monétaire de la marchandise de sorte que plus rien d'autre, aucune autre considération (morale, traditionnelle, transcendante...), ne puisse faire entrave à sa libre circulation. Il en résulte une désymbolisation du monde. Que vaut encore ce sujet critique dès lors qu'il ne s'agit plus que de vendre et d'acheter de la marchandise? Pour Kant, tout n'est pas monnayable: «Tout a ou bien un prix, ou bien une dignité. On peut remplacer ce qui a un prix par son équivalent; en revanche, ce qui n'a pas de prix, et donc pas d'équivalent, c'est ce qui possède une dignité» Emmanuel Kant, Fondements de la métaphysique des moeurs [1785], Garnier-Flammarion, Paris, p.116. Conclusion Devant la multitude des défis qui attendent le pays, l'idéologie a de moins en moins de prise sur les évènements planétaires. La jeunesse a besoin pour être convaincue d'une vision globale de société qui ne doit abdiquer aucune des composantes de sa personnalité. Il faut qu'on lui parle de ses repères identitaires, sans en faire un fonds de commerce. Il faut enfin et par-dessus tout lui parler vrai. En évitant la langue de bois. On pense, à tort qu'en distribuant la rente aux fidèles d'entre les fidèles, et à défaut de régler les problèmes réels de ce pays, on pourrait assurer la paix sociale, le temps d'une mandature. On se trompe. Nous n'avons pas su prendre à temps les virages que l'évolution mondiale nous impose, nous sommes souvent en retard d'une décision ou souvent aussi quand nous prenons une décision, elle n'est pas bonne et notre orgueil «mal placé» nous interdit de nous réarticuler, de nous redéployer dans un environnement qui a le tournis. Paradoxalement, quand on a commencé à changer, c'est la débandade: nous avons tellement changé de cap que l'on ne sait plus actuellement où nous en sommes. Après le socialisme de la «mamelle» ce fut la décennie de «pour une vie meilleure», celle du P.a.p (programme anti-pénurie), on donna alors l'illusion à l'Algérien qu'il pouvait se comparer au citoyen européen ou américain puisque comme eux il disposait, éphémèrement, cependant, d'une certaine qualité de la vie. Ce leurre donnait l'impression factice que l'Algérien pouvait se comparer à l'Européen alors que celui-ci n'a eu droit à un confort durable qu'après un parcours initiatique où son effort dans le travail acharné a été déterminant. Naturellement, la conjonction internationale «aidant», 1986 a été un tournant, les recettes algériennes ont chuté à moins de 5 milliards de dollars. Une politique pétrolière erratique, un désengagement de l'aval pétrolier et un début de réforme amenèrent 1988. Le gouvernement ayant été obligé de s'endetter pour assurer le Smic de fonctionnement. L'Algérien prenait conscience qu'on l'avait leurré, plus de fromage suisse maintenant que la rente n'est plus au rendez-vous. Naturellement, les ingrédients de l'insurrection étaient dans l'air. Le catalyseur a été la «rentrée sociale». Après 1988, il y eut plusieurs médecins au chevet d'une Algérie moribonde, certains voulurent lui faire retrouver sa pureté originelle en s'arrimant à une métropole moyen-orientale au nom d'une «acabya mythique» à laquelle seuls les Algériens dans leur grande naïveté y croient, d'autres pensèrent que le salut viendrait de l'Occident et continuent à penser benoîtement qu'ils veulent notre bien. Personne dans chacun des camps n'a essayé d'expliquer au peuple quels sont les réels enjeux de leur conviction. Ballottés entre deux projets de société «prêt-à-porter», ils n'étaient pas, par conséquent à la taille de l'Algérie. Après la décennie dite noire, ce fut la décennie rouge et depuis quelques années, l'ère des temps morts représentée par l'avènement d'une décennie blanche,- l'Algérie semble être soustraite au mouvement technologique fiévreux qui touche les pays développés- les réels problèmes étant masqués par la rente pétrolière distribuée sans qu'elle ne crée de la richesse. «On parle aujourd'hui, écrit M'hammed Yazid, des grands échecs de l'Algérie, économique, politique, etc., mais on oublie l'échec culturel. Tout ce qui s'est produit en Algérie sur le plan culturel s'est produit contre le pouvoir. Cela est dû sans doute à une certaine mentalité ou idéologie qui, sous prétexte d'égalitarisme, était opposée à toutes les élites, intellectuelles, bourgeoises, paysannes, etc. Il y avait cela, mais parfois c'était plus simple que cela. La cause de ce comportement est que, dès le début, nous avons eu des responsables du pays incultes mais avec un vernis. Ils rejetaient donc tout ce qui était cultivé, original, innovateur. C'est ça le comportement de clique. Pour eux, ce qui compte, ce n'est pas la compétence, la capacité d'innovation ni même le patriotisme, mais l'allégeance en échange de privilèges et de faveurs. Notre système n'est pas bâti sur une adhésion de masse ni sur des forces politiques organisées». M'hammed Yazid On a falsifié l'Histoire propos recueillis par Baya Gacemi L'Express du 31/10/2002 Violences sur le socle identitaire et religieux constituent depuis quinze ans le quotidien de notre pays, qui ne se résigne pas à mourir. «Mazal l'espoir» clamait à qui voulait l'entendre le regretté Hasni. La jeunesse est devenue indifférente à son pays, par contre, dans son errance, elle attend un projet pouvant constituer une alternative à la panne actuelle. L'heure n'est plus à l'invective. Après quarante ans d'errance multidimensionnelle, le moment est venu pour que l'Algérie renonce définitivement à ses ambivalences. Dans plusieurs articles et écrits, j'ai insisté particulièrement sur le désarroi identitaire entretenu savamment par les stratèges occidentaux pour entretenir la tétanisation des peuples fragilisés par des interférences de toutes sortes .C.E.Chitour Mazal L'espoir. Le Quotidien d'Oran Juillet 2002 La fragmentation est tellement importante qu'il suffit d'interroger les jeunes, d'où ils viennent, chacun s'identifie à son quartier, sa ville, sa région. Je suis de Bab El-Oued, je suis de Soustara, je suis de l'Est, de l'Ouest. Personne n'a été instruit à penser qu'il est avant tout Algérien. La même errance poursuit ceux qui se prétendent Berbères, et ceux qui se disent Arabes. Nous sommes d'ailleurs les seuls à incanter que nous sommes Arabes au lieu de nous sentir bien dans notre peau d'Algériens. Quand on interroge un habitant d'Egypte; il est avant tout de «Misr Oum Eddounia». Il est, éventuellement, arabe après son appartenance première à l'Egypte et même à la civilisation pharaonienne. Ainsi, les Egyptiens proclament à la face du monde qu'ils n'ont pas fêté le passage au troisième millénaire ancrant, on l'aura compris, leur histoire à l'épopée pharaonique. Plus inquiétant encore pour le pays, la fuite des diplômés qui s'apparente à une véritable hémorragie. Les pays industrialisés mettent en oeuvre des stratégies diaboliques d'attraction des meilleurs diplômés (on parle de plus de 100.000 diplômés depuis le début des années 90). Ainsi après avoir rendu exsangue les PVD comme l'Algérie, en pillant leur matière première par un système des prix inique fixé à Londres, Paris ou New York, voilà que la convoitise jette son dévolu sur la matière grise constituée au prix de sacrifice par les PVD. Ce mal ronge insidieusement l'Algérie. A titre d'exemple, la France nous demande de garder nos «immigrés bas de gamme» ou nous les renvoie dans des charters nocturnes, mais n'a naturellement pas l'intention de dédommager le pays formateur pour les diplômés «aspirés» pour quelques euros et surtout pour le fait qu'elle a de la considération pour les compétences. C.E. Chitour: La nouvelle immigration entre errance et body shopping. Editions Enag. 2004. Il est naïf de croire que l'Occident nous aidera à nous émanciper. Il souhaite nous détacher de nos valeurs et de nos repères identitaires et religieux pour faire de nous des zombies tout justes bons à consommer, tant que nous avons des euros ou des dollars ou des yens. L'Occident nous force à rentrer dans le monde de la sécularisation, tout en l'entravant par tous les moyens, il n'est que de voir comment le monde occidental est le plus sûr allié des régimes arabes réactionnaires. Ne dit-on pas de Ben Ali qu'il est éclairé, que les talibans étaient - en 1997 - les seuls capables à mettre de l'ordre en Afghanistan... Cet 42e anniversaire est plus que jamais celui du changement de dépendance - Maintenant nous sommes plus que jamais dépendants des autres, du FMI, des Européens, des Américains. Nous sommes plus que jamais une chasse gardée pour un prédateur qui nous exploite à distance par ses multinationales interposées. Le mot indépendance appartient plus que jamais au passé. A titre d'exemple, l'OMC nous fait injonction -si on veut être un bon élève et prétendre par notre entrée à l'OMC à d'hypothétiques miettes- de réintroduire l'autorisation de l'importation d'alcool. Au-delà de l'insignifiance de cet acte en termes financiers, du point de vue culturel et cultuel, cette injonction n'aura pas fini d'avoir des effets ravageurs au vu de la charge symbolique et émotionnelle qu'elle sous-tend. Comment alors, l'Algérie devra-t-elle se frayer un chemin et définir un cap. Toute l'intelligence de nos dirigeants est de permettre aux Algériennes et aux Algériens de ne pas subir une dépendance trop pesante L'un des chantiers les plus nobles et prioritaires est celui de la reconstruction de l'école en acceptant un vrai débat pour enfin savoir quels sont les enjeux à proposer au peuple en lui disant la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Une société apaisée pourra alors se protéger culturellement, pourra aller vers le progrès avec l'assentiment de tous ses fils. Alors, alors seulement le peuple se remettra au travail, réhabilitant ainsi les valeurs, inculquant la valeur du travail bien fait, des traditions. Tout le secret de la réussite consistera dans l'invention d'une symbiose entre les «vraies valeurs», les repères religieux et identitaires sur la fierté d'être par-dessus tout, Algériens, qu'il faudra débarrasser, naturellement de la gangue «fonds de commerce» et les conquêtes positives de la modernité. A la jeunesse seule vraie rente de ce pays, et qui a perdu ses illusions, nous devons redonner l'espoir.