�Plut�t que de vous raconter des histoires insens�es toute la journ�e, ne pensez-vous pas que vous seriez plus utiles en travaillant ? N�avez-vous donc pas honte de soutirer l�argent de vos cigarettes � vos parents ? Moi, � votre �ge...� Hocine posa sur la table les deux dominos qu�il avait dans la main et interrompit sans m�nagement le patron du caf�. �Ammi Ali, nous vous respectons en raison de votre �ge, mais de gr�ce, ne nous donnez aucune le�on ! Lorsque je vous ai demand� de m�embaucher comme serveur ou plongeur, vous m�avez r�pondu : �OK, mais tu travailleras au noir et ta paie d�pendra de la recette�. Je n�ai pas de qualification. Je suis trop vieux pour l�apprentissage et sans exp�rience pour travailler. Est-ce ma faute ? Reconnaissez au moins que nous ne faisons de mal � personne�. � C�est s�r que chez moi vous �tes mieux qu�en face !� (allusion � la prison). Il s��loigna en riant � gorge d�ploy�e sans m�me attendre l�appr�ciation des jeunes gens sur son �humour� au rabais. Hocine proposa alors � ses quatre copains un jeu : � Celui parmi nous qui racontera la meilleure histoire sur le renard se verra offrir un repas par les autres. � Un repas ? Serais-tu s�rieux ? Nous nous partageons � cinq, un paquet de cigarettes et tu nous parles de festin ? dit Mohamed qui ajouta : �De toutes les fa�ons, moi je ne connais pas d�histoires d�animaux et je ne comprends rien � celles que vous dites tenir de vos grands-parents. Ma grand-m�re � moi est morte avant ma naissance et je me souviens � peine du visage de mon grand-p�re�. Eternel rabat-joie ce Mohamed ! Les trois autres se dirent enchant�s par l�offre de Hocine sans savoir comment ils feraient pour payer le gueuleton dont ils r�vaient depuis si longtemps. Apr�s Hocine et Mouloud, ce fut au tour de Mahmoud de prendre la parole : � Lorsque j��tais enfant, mon p�re ne se lassait jamais de nous raconter, ma s�ur et moi, l�histoire du chien et du lynx. Je suis certain qu�elle vous plaira. � On a dit le renard ! rappelle Hocine. � Ecoute-moi plut�t et montre-toi patient : Il y a longtemps de cela, un chien errant trouva refuge dans la for�t, o� vivait le renard lequel n��tait � cette �poque-l� qu�un subalterne. Mais le lion l�aimait bien et le prot�geait sans que l�on sache pourquoi. C�est alors que le renard prit en sympathie le nouveau arriv� et insista fortement aupr�s de son roi pour qu�il soit recrut� comme gardien de la for�t : �Ses morsures sont mortelles et votre territoire sera s�curis�. Lorsqu�il obtint satisfaction, les deux compagnons ne se quitt�rent plus. Les autres animaux disaient que le renard et le chien �taient amis parce qu�ils �taient l�un et l�autre sans pedigree, sans famille connue, sans attaches, m�me si leurs proches se comportaient d�une mani�re insolente et arrogante. On parlait surtout de la compagne du chien que le l�opard et le gu�pard avaient surnomm� �slouguia� en raison de la maigreur de ses pattes. Ses aboiements �taient pires que ceux de son compagnon. Gare aux animaux qui la contrariaient, et lorsqu�une tani�re, une prairie, une parcelle de for�t lui plaisaient, elle en expulsait ses occupants et s�en emparait sur-lechamp. De taille plut�t moyenne, le chien aux poils noirs et drus n��tait pas de la race des slouguis ni des chiens bergers ou des labradors. Il ne ressemblait � aucun autre chien. Ce n��tait pas non plus un pit-bull. Cependant, ses morsures laissaient des cicatrices si profondes et ind�l�biles aux animaux qui y survivaient, que toute la for�t l�avait surnomm� �pit-bull�. C��tait toujours la nuit qu�il venait chercher les r�calcitrants et les fortes t�tes. A son ami le renard il disait : �Ce soir, la prise sera bonne, je m�en l�che d�j� les babines.� Il ne se passait pas un jour, une nuit o� une famille d�animaux n��tait pas endeuill�e. M�me la pauvre fourmi connue pourtant pour �tre une travailleuse sans histoires, n��chappa pas � ses crocs. Il lui reprocha de creuser trop de fourmili�res dans le but de faire �vader des prisonniers. Les ann�es pass�rent, devenu trop vieux, le lion se fit remplacer par son cousin paternel. Celui-ci renvoya le chien dans la rue. Il n�avait pas confiance en lui et voulait nommer lui-m�me les animaux charg�s de veiller � la s�curit� de la for�t. Le renard perdit lui aussi de sa superbe et tous deux s�en all�rent loin, tr�s loin. On ne savait pas trop o� et les animaux les auraient oubli�s n��tait la d�signation du renard par un autre cousin lion comme chef de la for�t. La premi�re chose que fit ce dernier, fut le rappel de �pitbull� aupr�s de lui. �Tu es mon ami et je ne peux pas faire confiance � un autre que toi�. �Pit-bull� avait trop err� dans les rues avec �slouguia� et leurs rejetons pour refuser cette aubaine qui lui tombait du ciel. Il commen�a par �tablir la liste de tous les animaux qu�il �liminerait d�un coup de crocs dont il savait qu�ils ne se rel�veraient pas. C�est alors que le lynx dont la lign�e noble �tait connue de toute la for�t d�cida de son regard bleu et per�ant de le combattre. Aux animaux qui n�avaient pas connu �pit-bull� il raconta, preuves � l�appui, tout le mal qu�il avait commis avec sa compagne. Aux anciens, il rappela qui �tait �pit-bull�. C�est alors que �pitbull� en eut assez d�entendre les animaux de la for�t r�p�ter de bouche � oreille ce que le lynx leur avait dit. Il d�cida d�en finir avec celui qu�il aurait voulu d�pecer en mille morceaux, n��tait l��cho favorable qu�avait trouv� le lynx aupr�s des animaux du monde entier en raison de sa cr�dibilit� et de son courage. �Je me vengerai�, disait-il au renard. � Il est � toi mon ami, moi aussi je veux en finir avec lui car il ne cesse de me critiquer. Alors qu�il voulut se d�placer dans une for�t voisine pour rendre visite � ses cousins, le lynx fut interdit de franchir la fronti�re. Il fut conduit devant �pit-bull� qui l�enferma dans une cage, convaincu qu�il ne s�en remettrait pas. Il jubilait pit-bull ! Apr�s un long s�jour dans sa prison, le lynx fut lib�r�. Il r�unit les animaux de la for�t pour leur annoncer son intention de continuer de son regard bleu, de son regard de lynx de combattre �pit-bull� Mon p�re terminait toujours son histoire de la m�me fa�on : �Un chien errant peut �tre m�chant un temps, il n�en demeure pas moins petit car un chien errant c�est un chien sans ma�tre et sans pedigree. Le lynx demeure toujours grand parce qu�il est n� grand�. � Ton histoire est insens�e. Comment un chien peut-il attaquer un lynx ? dit Mohamed. � Elle est purement imaginaire et signifie seulement que les morsures de chiens m�me enrag�s ne tuent jamais les animaux de la race des lynx. L. A. * Voir �Dans la grisaille d�Alger� du �30 novembre 2006� (Le renard) suite : 7 d�cembre 2006 (II)