Je viens d�apprendre le d�c�s d�Abderrahmane Mahmoudi. Les articles d�amis, d�anciens amis, de coll�gues, qui le couvrent d��loges, ne sont �videmment pas anachroniques. L��motion est un puissant br�leur d�encens. Personnage entier, le d�funt m�rite le respect pour plusieurs raisons, dont celle d�avoir assum� ses contradictions jusqu�� en faire m�me un moteur. Il aura aussi, toute sa vie, conditionn� ses rapports sociaux personnels � ses options politiques. Je l�ai crois� au moins trois fois au cours de ma carri�re. La premi�re, � L�Unit�. Si mes souvenirs sont bons, avec Fouad Boughanem, Amar Belhimer, Loun�s Djabballah (assassin� en 1994) et d�autres qui me pardonneront de ne pas tous les citer, ils venaient de la Facult� de droit (Ben Aknoun) o� la �r�partition des t�ches� au sein du CVRA (Comit� de volontariat pour la R�volution agraire) leur avait confi� la publication artisanale (ron�ot�e) de �CTZ� (�Cha�bia Thaoura Zirahya�). A L�Unit�, ses premiers articles sont consacr�s � la t�l�vision. Le futur pol�miste politique commence, en effet, par �tre chroniqueur de t�l�vision � une �poque o� le genre n�existait pas encore en Alg�rie. Nous sommes en 1975. Il quittera tr�s vite le petit journal que nous confectionnions avec des bouts de ficelle pour El Moudjahid o� il continuera � s�int�resser aux questions culturelles, plus sp�cialement � la t�l�vision. A moins d�avoir tout faux, il ne me semble pas qu�il vienne, comme le rapporte une n�crologie reprise par de nombreux journaux, de la Facult� de sciences �conomiques. C�est un ancien �tudiant en droit comme ses deux amis de jeunesse, avec qui il formait, depuis l��poque du lyc�e, un trio ins�parable, Fouad Boughanem et Amar Belhimer. Le jeune �tudiant, jeans et cheveux longs, que nous avons vu arriver � L�Unit� �tait un gar�on timide et �motif. Il avait un faible pour la musique, le cin�ma, la litt�rature. Aussi paradoxal que cela paraisse a posteriori, il n�avait rien de commun avec ces �tudiants volontaires, machines politiques certes, mais machines � vapeur, bloqu�es � ce niveau z�ro de l�engagement, le sloganisme t�tu et la vulgate. Le jeune Abderrahmane Mahmoudi taquinait la muse en promettant de montrer ses po�sies sans jamais tenir parole, du moins � mon �gard. Il semblait attir� aussi, � cette �poque, par les questions th�oriques li�es au marxisme. De ce premier engagement et tout au long de sa carri�re de chroniqueur politique puis d��ditorialiste des journaux qu�il cr�e et dirige, il gardera le pathos qui lui servira de sextant pour se rep�rer dans une Alg�rie politique aussi houleuse, opaque et illisible qu�une mer de manipulations, de leurres, de faux semblants. Deux cons�quences d�coulent de cette p�riode de croyance au marxisme. La premi�re est la tentation syst�matique de l�analyse. Lorsque Abderrahmane Mahmoudi bat sa coulpe et se convertit au lib�ralisme, il le fait sciemment et consciemment, avec une profession de foi �crite � la cl�. Il assume de br�ler ce qu�il a ador�. Mais il le fait de but en blanc, non pas en empruntant ces chemins tortueux familiers � nombre de ses anciens camarades. La deuxi�me cons�quence r�side dans ce besoin de comprendre et d�expliquer la chose politique en la posant subordonn�e aux enjeux de pouvoir et aux lobbyings, ce qui pousse � aller voir la face cach�e du paravent. Cette n�cessit� de d�chiffrer ce qui circule derri�re les apparences a provoqu� une fascination pour l�univers de l�opacit�, celui du secret et du renseignement, et l�a conduit � instituer en finalit� une conception polici�re de l�histoire. Pour lui, comme pour toute une g�n�ration d�intellectuels et de journalistes grandis � la fronti�re des id�ologies progressistes de l�Alg�rie de Boumediene, l��volution politique �tait moins le fruit des articulations diverses des forces sociales entre elles et les pouvoirs que celui des manipulations et autres coups des forces de l�ombre. La deuxi�me fois que j�ai rencontr� Mahmoudi, c��tait � Alg�rie- Actualit� d�avant octobre 1988. Il avait, et depuis longtemps, cess� d��tre le jeune militant romantique dont les lectures et les fr�quentations amicales aidaient � sceller l�homog�n�it� entre culture et politique. C��tait d�sormais un journaliste politique ferme sur la subsidiarit� de toute autre rubrique, et m�me de toute autre activit�. Mais il joignait l�acte � la parole. La politique, c�est aussi le syndicalisme et Abderrahmane Mahmoudi �tait une des �mes de l�action revendicative oppos�e � la direction de l��poque, occup�e par Kamel Belkacem. Politiquement, face au lib�ralisme d�brid� de Chadli Bendjedid et son rapprochement spectaculaire avec la France, Abderrahmane Mahmoudi affichait un �boumedienisme� pur et dur, qui �tait � ses yeux l�autre nom de la fid�lit� � l�Alg�rie du 1er Novembre, symbolique pr�gnante pour lui, et � la mystique d�un Etat fort. En dehors du journal, Abderrahamne Mahmoudi met son courage physique et sa d�termination au service du Mouvement des journalistes alg�riens (MJA). Lorsque la presse est lib�ralis�e, il s�allie � Kamel Belkacem pour cr�er Le Nouvel Hebdo. Cette aventure, qui ne tiendra que peu de temps, para�t hasardeuse � ceux qui connaissent bien l�importance de la communaut� de buts politiques pour lui. Quand on lui demande d�expliquer sa d�marche, comme � son habitude, il donne des justifications politiques et seulement politiques. Je ne me souviens plus quelles �taient les raisons de la cessation de parution du Nouvel Hebdo, mais Mahmoudi a voulu la poursuivre avec L�Hebdo Lib�r�. C�est l� que je le croise pour la troisi�me fois. Il me demande d�assurer la direction de la r�daction de l�hebdomadaire, dont il �tait le directeur de publication. C�est une p�riode o� le journal marche plut�t bien et o�, j�en t�moigne, j�ai les coud�es franches. Cependant, quelque chose d�ind�finissable me d�rangeait. Mais quoi ? Cette ligne dure, qui a peu � voir avec le journalisme tel que je le con�ois, argumentatif plut�t qu�invectivant, dialectique plut�t qu��nonciateur ? La pr�sence de cette �arri�re-cour� d�voilant les petits secrets des uns et des autres, contradictoire avec l�id�e que je me fais de la chose intellectuelle ? Je vis cette p�riode un peu comme dans une bulle. Je vois tr�s peu mes amis d�avant et, quand je me suis mis � les revoir, je mesure l�odeur de soufre qu�exhale L�Hebdo Lib�r�. Abderrahmane Mahmoudi, qui gardait un self-control impressionnant sur les oscillations politiques, celles du pays comme les siennes, avait alors, du moins � cette �poque, cette force � et cette vuln�rabilit� � de croire qu�en dehors de son analyse, on �tait forc�ment dans l�erreur. Il l��crivait avec une puissance irr�ductible. Peu soucieux de garder des amiti�s, il attaquait quiconque lui paraissait sortir des rails. Pas un de ses amis, y compris d�enfance, n�a �t� �pargn� par ses fl�ches. Mais il attaquait ouvertement. La p�riode de L�Hebdo Lib�r� est celle de deux grands dossiers, toujours li�s � l�omnipr�sente symbolique du 1er Novembre. La d�nonciation des magistrats faussaires, qui lui vaudra un mois de prison, reposait sur cette h�r�sie de la trahison de la R�volution alg�rienne. L�affaire des �banquiers qui voulaient d�stabiliser l�Alg�rie� s�appuyait, elle aussi, sur ce patriotisme ombrageux. Contrairement � ce qui a �t� �crit, Abderrahmane Mahmoudi n�a jamais �t� de Ruptures. Il est ind�niable qu�il avait de fortes convictions sur la n�cessit� pour l�Alg�rie de recouvrer cette grandeur jadis incarn�e par Boumediene. C�est en rapport avec cette id�e qu�il a soutenu, je pr�sume, Abdelaziz Bouteflika. Deux choses assez impressionnantes chez Abderrahmane Mahmoudi : sa force de travail et la rapidit� avec laquelle il r�digeait ses �crits, quasiment sans documentation, ce qui �tait le signe d�une bonne m�moire et d�une grande intelligence. Salut, Dahmane !