La semaine derni�re, j�ai fugu�. Juste apr�s le fr�ne qui fait le guet au-dessus de la morne plaine, j�ai bifurqu�. Ni vu ni connu. O� ? Ah, si au moins, je le savais moi-m�me ! J�ai pris mes cliques et mes claques, mon b�ton de p�lerin, mon trousseau de cl�s, mon chewing-gum, mon chapelet d�ambre, mon flash d�Orangina (pas de pub gratuite, me dit-on), puis la tangente. J�ai m�me � quasiment � pris un virage. Tu n�as pas remarqu� ? Normal, c��tait le 1er avril. Une bonne blague, voil� tout ! Dans l�oc�an d�indiff�rence qui nous ceint, heureusement que ma tata de Tataouine m�a bigophon�, craignant que je me sois port� p�le pour de bon. Un coup de froid comme une balle perdue, c�est vite attrap�. Je reviens, mais je reviens sans voix. Incroyable, ce que j�ai pu lire, entendre, voir pendant cette �chapp�e. Si j�avais le c�ur �, �aurait �t� un r�gal ! Mais personne n�a le c�ur �. Surtout en ce moment. Pour une raison qui me d�passe, je me suis trouv� bezef dans les milieux causant des �lections l�gislatives. J�en ai tir� la conclusion partag�e, en toute probabilit�, avec ce sociologue de la construction (y en a qui sont de la d�construction) qui dirait que nous sommes une soci�t� � deux �tages. Au moins. Un autre, de la r�sistance des mat�riaux, ajouterait, lui, que les deux �tages sont port�s l�un par l�autre dans cette configuration atypique : un en haut et l�autre en bas. Le premier est en l�vitation, tandis que le second s��crase nez contre terre. Le rez-de-chauss�e, immense, incommensurable, se tape des �lections comme un noceur espagnol se tape des tapas. �a commence et �a finit o�, le peuple ? Vaste question cadastrale ! Pour faire simple, faut dire que c�est comme les fronti�res h�rit�es de la colonisation : �a bouge tout le temps. Et puis l�autre �tage, mince comme une pellicule, est celui des �concern�s � (les autres, ceux de l��tage en dessous, sont seulement cern�s) par les �lections. Ils sont quoi, dans le pays ? Allez, � la louche, disons quelques milliers, voire quelques centaines de milliers ? M�me pas, pardi ! Le fait est que �a barde dans la pellicule ! L��tage est secou� de coups fourr�s, de trahisons, de recomposition, de n�gociations serr�es comme du caf� fort. Il est le th��tre de m�lodrames dignes de l� �arrivage �, dans les Souks-el-Fellah, des denr�es de premi�re n�cessit�, comme le gruy�re ou les moteurs de hors-bord, dont le prix �tait soutenu, souviens t�en, par l�Etat p�nuriste. A peu de choses pr�s, nous y revenons. Peu de si�ges et beaucoup d�aspirants d�put�s : faut bien que quelqu�un mette de l�ordre dans tout �a comme autrefois des cerb�res class�s dans la Fonction publique mettaient de l�ordre dans les �cha�nes� pour le rayon viande ou �ufs des supermarch�s de la �vie meilleure�. Pas besoin de te faire un dessin : les Souks-el- Fellah d�avant et les l�gislatives d�aujourd�hui ont en commun le �quota�. Dans la pellicule, on le sait. Le seul �lecteur cr�dible et d�cisif, c�est le �quota�. La seule urne viable, c�est le �quota�. Le seul scrutateur indiscutable, c�est le �quota�. La seule garantie d�une �lection d�mocratique, proprette et honn�te et tout et tout, c�est encore et toujours le �quota�. On a tout essay� et on n�a pas trouv� mieux. Du coup, cet �tre g�latineux ou cette entit� indistincte, nul ne le sait avec certitude, qui a pour nom �quota� titille la curiosit� polici�re qui est en chaque citoyen, f�t-il abstentionniste r�cidivant. Qu�est-ce que le �quota� ? Qui est ce �quota�. Un homme ? Un disque dur ? On ne sait. Eh bien, elle restera enti�re, l��nigme. Vaut mieux, par ailleurs ! Ne serait-ce que pour �viter les d�senchantements. Regarde, par exemple, ce sacr� carbone 14 qui vient de d�mentir ce qu�on avait envie de croire depuis des lustres : les restes de Jeanne d�Arc provenaient d�une momie �gyptienne ! J�aurais, pour ma part, continu� � prendre les vessies pour des lanternes, c�est plus reposant. Ce qui me laisse sans voix, � sans cette voix que je ne sais plus � qui donner �, ce n�est pas tant ce charivari insonoris� qui r�sonne dans le p�rim�tre �triqu� de la pellicule et dont l��tage d�en bas se tamponne, mais c�est d�j� dit. Ce qui me laisse sans voix, c�est le s�rieux et l�application � enfin, oui, on peut dire ! � que mettent les aspirants parlementaires � pr�parer des �lections comme si c��taient des �lections tout en sachant que ce n�est pas l��lecteur qui les portera � l�h�micycle mais bien le myst�rieux et puissant �quota�. Parce qu�il est aussi invisible que le votant dans l�isoloir, le �quota� qui veille au bon d�roulement de la d�mocratie en donnant � chacun son d�, demeure un myst�re mais un de ces myst�res piquants qui savent surprendre. Jamais tu ne sauras avec certitude combien de pattes aura le lapin qu�il te sortira de son chapeau ni quel parti �mergera de sa manche. Mais faut pas charrier, le myst�re a ses limites, elles sont prosa�ques. Des indiscr�tions tendent � faire accroire que le �quota� n�est ni un homme ni un disque dur mais une sorte d�institut de sondage qui travaille le r�el. Il y a des chances pour qu�il ait d�j� d�cid� que le FLN soit le premier parti du pays et le RND, le deuxi�me. A. M. P. S. d�ici : Effar� par la mise sur le march� par Bounedjma, pr�sident de la Coordination des enfants de chouhada, des 3 millions de voix des adh�rents de son organisation. Ce march� gagnant-gagnant, comme on dit, profitera, � l�en croire, autant au parti qui deale qu�� lui et aux siens. Jusque-l�, rien � redire, sauf que la politique n�est pas une marchandise � placer comme enjeu dans ce nouveau trabendo �lectoral et que le �sang des martyrs�, capital symbolique qui l�gitime cette organisation, n�est pas une vulgaire monnaie d��change. On croyait avoir tout vu !