Ayant pris, au fil du temps des allures festives et de kermesse, la c�l�bration du Printemps berb�re, amorc�e depuis les �v�nements d�avril 1980, a subitement vir� au noir et pris les couleurs funestes du deuil et de la mort depuis un certain 18 avril 2001. Six ans apr�s, la Kabylie, qui a appris � comm�morer, depuis, deux printemps � la fois, semble marquer une halte et se pencher sur ses luttes pass�es. Un voyage introspectif qui interroge le pr�sent et ouvre, peut-�tre, des perspectives pour l�Alg�rie de demain. Ici, interview et commentaire. Sa�d A�t-M�barek - Tizi- Ouzou (Le Soir) - Le mouvement citoyen, la fin d�une illusion. Les �v�nements du Printemps noir ont lib�r� une mobilisation citoyenne et populaire qui promettait beaucoup. Mais, elle sera vite r�cup�r�e � son avantage par le pouvoir qui s�est toujours employ� � sortir de l�agenda politique de l�Alg�rie la Kabylie, une r�gion en insurrection tant�t latente, tant�t ouverte, mais permanente et dont le dynamisme politique la faisait passer aux yeux du pouvoir pour un mouton noir au sein d�un ensemble national soumis depuis longtemps au joug de l�id�ologie l�nifiante du parti et de la pens�e uniques. La question berb�re, bruyamment pos�e par la Kabylie depuis avril 1980, placera le pouvoir alg�rien �devant des choix cruciaux en termes, non seulement d�identit� et de culture, mais aussi de d�mocratie tandis que l�islamisme ne cesse d��tendre son influence sur la soci�t�, analysera le sociologue et journaliste Maxime A�t Kaki, pour qui la revendication berb�re, qui est all�e depuis en se radicalisant, a �t� r�cup�r�e par le pouvoir � des �fins de l�endiguement de l�islamisme�. Mais l�av�nement des �v�nements du Printemps noir n�allait pas bouleverser la donne. Accul� et d�pass� par l�ampleur des �v�nements et de la protestation citoyenne et populaire qui s�en est suivie, le pouvoir fera comme � son habitude, une concession bien contr�l�e : Bouteflika accordera le statut de langue nationale � tamazight, mais n�apportera pas de r�ponses � l�essentiel des questions pos�es par la Kabylie devenue depuis la proie de jeux d�ombre et de manipulations de toutes sortes qui feront perdre de sa lisibilit� � cet objet politique nomm� Kabylie qui finira par devenir non identifi�. La strat�gie qui s�articulait sur la promotion m�diatique et politique de certaines figures ne visait pas moins la neutralisation des �lites politiques connues pour leur capacit� � produire un contre-discours qui, on le sait, n�est pas fait pour arranger l��chafaudage politique mis en place depuis 1999. On l�a constat� et observ�, la sc�ne politique locale a �t� investie par un grand nombre de pr�tendants au r�le d�acteurs sociaux et politiques qui se sont crus investis d�une responsabilit�s messianiques. Attitude qui, on le verra, n�a servi que les desseins du pouvoir qui entendait reprendre pied dans une r�gion La pouss�e autonomiste du MAK Ferhat M�henni a �t� tour � tour internationaliste de gauche, pan-berb�riste et nationalo-alg�rianiste, revendiquant une dimension identitaire et pluriculturelle de l�Alg�rie. Des certitudes qu�il dit ne pas avoir abandonn�es et sur lesquelles il porte un regard nouveau au profit d�un choix identitaire et politique : l�autonomie r�gionale pour la Kabylie, solution pr�conis�e comme salutaire, non seulement pour cette r�gion, mais pour l�Alg�rie. Ferhat M�henni veut se faire ainsi le chantre d�une reformulation de la probl�matique identitaire amazighe. A la place du probl�me berb�re pos� depuis le milieu du XXe si�cle du temps du PPA-MTLD, le transfuge du RCD parle volontiers de probl�me kabyle. Pour lui, l�autonomie r�gionale pour la Kabylie, avec de larges pr�rogatives administratives et politiques constitue la seule issue face au cul-de-sac historique devant lequel se trouve la revendication identitaire amazighe et les blocages dress�s de fa�on r�currente par les pouvoirs successifs qui ont toujours fait preuve d�une rh�torique du soup�on � l��gard de la Kabylie. Une r�gion qui a toujours aliment� chez beaucoup des fantasmes s�paratistes et de s�dition. Eternel argument qui consiste � agiter le pi�ge de l�ethnisation devant toutes les revendications �manant des �lites politiques issues de la Kabylie acquises majoritairement aux valeurs universelles de d�mocratie et de libert�. S. A. M FERHAT M'HENNI (MAK) "J'ai toujours aim� l'Alg�rie et je l'aime toujours autant" Malgr� la permanence du fait amazigh � travers l�histoire et sur l�ensemble de toute l�Afrique du Nord, le cycle des marches et des actions revendicatives pour la reconnaissance identitaire se poursuit aujourd�hui encore, � l�or�e du XXIe si�cle. (Rappel historique et commentaire) Ferhat M�henni : L�Alg�rie a criminalis� le fait amazigh en l�excluant de la d�finition de l�identit� nationale d�s la Constitution de 1962. Du coup, elle a d�ni� tout patriotisme et tout nationalisme aux porteurs de l�identit� berb�re. Pour elle, il n�y a de vrais Alg�riens que ceux qui parlent arabe et se revendiquent de la langue arabe. Ce n�est ni plus ni moins qu�un apartheid d�Etat, un racisme constitutionnel. Cela a sem� les germes de la haine et de la division entre Alg�riens. C�est le plus grand crime de l�Alg�rie ind�pendante dont les effets se font malheureusement encore sentir. Il faut cependant remarquer que depuis 2001, il y a une double �volution. La premi�re est la reconnaissance par voie non r�f�rendaire du fait amazigh, mais toujours discriminatoire en faveur de l�arabe. La seconde est le passage de la revendication culturelle amazighe � celle plus qualitative et plus politique qu�est la revendication d�autonomie r�gionale pour la Kabylie. Par ailleurs, cela fait six ans que le fait amazigh n�est plus l�unique raison pour laquelle la Kabylie descend dans la rue le 20 avril. Ce sont les revendications issues du Printemps noir qui ont le plus mobilis� ces derni�res ann�es. Apr�s l�effritement du mouvement des arouch, nous sommes pass�s � une autre phase de notre vie, de notre combat. Vous avez constat� comme moi qu�en dehors du MAK personne n�a appel� cette ann�e � marcher. La marche du MAK qui ne fait pas r�f�rence � la revendication amazighe, mais � celle de l�autonomie de la Kabylie dont elle fait intrins�quement partie, signe la fin d�une �poque et marque le d�but d�une autre. La revendication identitaire et culturelle s�est effac�e au profit de celle, plus politique et plus globale, de l�autonomie de la Kabylie. La proclamation de tamazight langue nationale apr�s les �v�nements du Printemps noir, c�est pour vous une avanc�e ou tout simplement une concession contr�l�e de la part du r�gime alg�rien, apr�s la r�pression sanglante et meurtri�re qu�il a fait subir � la Kabylie en 2001 ? Il est pour le moins �tonnant qu�il ait fallu l�apparition de notre demande d�autonomie r�gionale kabyle pour que le pouvoir en vienne enfin � reconna�tre le statut de langue nationale, mais toujours pas officielle, � la langue amazighe. On peut l�gitimement se poser la question s�il ne faut pas de nouveau surench�rir, demander plus que l�autonomie r�gionale pour que celle-ci soit per�ue comme une solution de raison ou, tout au moins comme un moindre mal. Le pouvoir alg�rien ne sait que jouer avec le feu. La reconnaissance de tamazight comme langue nationale est arriv�e trop tard. Nos revendications avaient d�j� migr� d�un registre culturel vers un registre politique au moment o� ce statut est obtenu. Notre requ�te de �langue nationale et officielle� n��tait plus d�actualit�. C��tait donc en pure perte que le pouvoir avait fait un pas qu�il aurait d� faire au printemps 1980 ou � tout le moins en 1995 au lendemain du boycott scolaire ; pas en 2001, apr�s qu�il ait commis l�irr�parable en tirant sur nos enfants. Cela n�avait plus de sens. D�ailleurs, toute la Kabylie avait accueilli avec m�pris et indiff�rence l��v�nement. S�il en fut un ! Cinq ans apr�s sa proclamation, le MAK souffre d�un manque flagrant de visibilit� sur le terrain. Beaucoup d�observateurs ont conclu � une absence d�ancrage social et populaire du mouvement que vous dirigez. Comme toute id�e nouvelle, il faut du temps � celle de l�autonomie pour se faire une place et �vacuer les anciennes dont l�ancrage est si puissant qu�elles font encore office de pr�t-�-penser chez beaucoup de citoyens kabyles. Si vous y ajoutez le fait que notre objectif est d�amorcer chez ces derniers une prise de conscience pour s�assumer en tant que peuple, passer de la conscience en soi � la conscience pour soi, vous conviendrez qu�il n�y avait aucune urgence � occuper le terrain. Nous ne poursuivons pas des objectifs imm�diats de pouvoir, mais des objectifs de soci�t�. Nous ne sommes pas un mouvement ordinaire pour jouer aux boutefeux ou aller � des �lections. Tout processus de maturation d�une conscience, d�une id�e se fait sur la dur�e. Nous ne sommes pas press�s au point de sauter des �tapes. Chaque chose viendra en son temps. Voyez ce qui est arriv� aux arouch. La fulgurance de son �mergence n�a d��gale que la rapidit� de son extinction. � A win fi ishel w alluy, hader iman-ik di trusi�, disait Cheikh Mohand. (Toi qui montes si vite, fais gaffe � la d�gringolade). Enfin, il ne faut pas confondre l�ancrage d�une id�e avec celui du mouvement qui la porte. L� aussi, c�est une question de temps. En tout �tat de cause, des organisations politiques des ann�es pr�c�dentes sont en fin de vie au moment o� le MAK commence la sienne. C�est le cycle normal de la vie. Nul et rien n�est �ternel. Pour vous, la symbolique du 20 Avril est je vous cite �par certains aspects, autant galvaud�e que d�voy�e par ses propres artisans (�) ceux qui renient et occultent le sens du combat de la Kabylie�en le submergeant par le seul combat pour la d�mocratie et les droits de l�homme�. A vous entendre, tous ceux qui ne partagent pas vos options autonomistes n�ont pas le droit � la parole, pour paraphraser un certain Mao. Vous me faites un mauvais proc�s. Je fais juste remarquer qu�on a occult� le combat de la Kabylie pour son �mergence en tant qu�acteur politique national majeur. R�tablir une v�rit� n�enl�ve � personne son droit � la parole. Il est de mon devoir de pointer du doigt une faille ou un point noir dans l��il de l�analyste politique qui se limiterait � ne voir dans notre parcours qu�une g�n�ralit� d�mocratique ou �droit de l�hommiste�. Vous passez de l�apologiste de l�alg�rianit� que vous opposez � la kabylit� et d�un certain pan berb�risme que vous avez revendiqu� dans vos chansons et dans votre parcours de militant et d�activiste politique � la d�fense d�une dimension g�ographiquement �troite, � savoir l�autonomie de la Kabylie. On peut dire que vous avez op�r� des r�visions d�chirantes dans vos convictions pass�es. J�ai aim� l�Alg�rie et je l�aime toujours autant, sinon davantage. Comme tous mes a�n�s des nationalistes alg�riens d�origine kabyle, j�ai �t� format� id�ologiquement dans et par leur environnement. Ce nationalisme alg�rien �tait d�autant plus fort chez moi que mon p�re �tait tomb� au champ d�honneur pour l�Alg�rie. Pour autant, d�instinct, je sentais un malaise diffus qui a �t� estomp� par le d�rivatif amazigh. Ne pas avoir le droit d�exister en tant que Kabyle dans mon propre pays est une injustice insupportable. Il m�en a fallu du temps, de la maturit� intellectuelle et du courage pour revendiquer ma kabylit� en tant que telle. J�ai ce privil�ge et cet honneur d��tre parmi les premiers � en avoir perc� le secret et � avoir op�r� le changement d�attitude que cela imposait. Aujourd�hui, la Kabylie est ma priorit�, car l�Alg�rie s�ent�te toujours � vouloir la tuer par l�arabo-islamisme. L�Alg�rie n�est pas en danger, c�est la Kabylie qui l�est. Je suis toujours aux c�t�s des faibles qui sont justes. La Kabylie en fait partie. Je ne vous autorise pas � consid�rer cette �volution dans le �g�ographiquement �troit� pour une r�gression. En revendiquant l�autonomie de la Kabylie, je ne rends pas service � ma seule r�gion. Je pr�conise une solution qui �viterait au pays, si elle venait d��tre mise en �uvre, des d�rives dangereuses pour tous. La g�n�rosit� n�est pas dans la caresse dans le sens du poil mais dans �le courage de dire et la force d�agir� que j�ai fait adopter en 1990 comme leitmotiv du parti dans lequel je militais � l��poque. Je reste fid�le � ce principe aujourd�hui compl�tement reni� l� o� j�attendais qu�il soit appliqu�. Une derni�re question, l�Alg�rie accueille les festivit�s d�Alger, capitale de la culture arabe� En un mot, c�est du racisme. Du racisme anti-amazigh en g�n�ral et anti-kabyle en particulier. Par ailleurs, le fait que Bouteflika ait choisi le jour de l�an amazigh pour donner le coup d�envoi de cette blessure alg�roise est une autre agression contre l�amazighit�. Cela veut dire que Yennayer est d�sormais arabis�. L�amazighit� est assimil�e et int�gr�e � la culture arabe. On retourne � l�effarante d�claration de Bela�d Abdeslam du temps o� il �tait Premier ministre : �Je suis arabe parce que je suis kabyle !� Avec cet acte, Bouteflika nous dit : �Nous sommes arabes parce que nous sommes amazighs.� C�est d�une telle violence contre nous que je me demande sinc�rement qui, parmi nos dirigeants, a vraiment les qualit�s d�homme d�Etat. De mal en pis, certains responsables culturels locaux ont �t� jusqu�� faire du chantage aux subventions � de pauvres associations culturelles en contrepartie de leur participation � cette ann�e de la honte. Le Soir d�Alg�rie a rapport� les d�boires de l�inconsolable association �Iguerbouchene� qui s�est fait humilier � Bordj-El- Kiffan en voulant faire valoir du kabyle pour de l�arabe. En y ajoutant le festival de danse arabo-africain � Tizi-Ouzou � la m�me p�riode, le r�gime et ses suppl�tifs kabyles ont fait dans la provocation et l�humiliation de la r�gion. Comme si, pour eux, notre douleur n��tait pas trop cruelle avec ce festival, ils viennent de le reprogrammer pour l��t�. Aupr�s de qui allons-nous nous plaindre dans ce pays ? Personne. Pour autant, nous avons de la m�moire et nous enregistrons tous les faits politiquement criminels qui ne manqueront pas, un jour, de faire partie d�un dossier � soumettre aux instances internationales.