D'un village à l'autre, la Kabylie ne laisse jamais un printemps passer sans en célébrer les précédents et préparer le suivant. La Kabylie célèbre demain les deux anniversaires majeurs qui ont émaillé son histoire contempor-aine. Et ce n'est ni une coïncidence ni un fait du hasard si ces deux événements se sont produits au milieu de deux printemps séparés par 21 ans mais liés par la justesse de la principale revendication qui est, faut-il le dire, si haute que les «troubleurs» n'en font plus sujet à spéculation et surenchère identitaires. Le Printemps noir de 2001 est le plus douloureux que la Kabylie ait jamais vécu et qui a, coûté la vie à 126 citoyens handicapé et laissé des séquelles à des milliers d'autres. Le Printemps berbère qui vient de boucler ses 29 ans, âge de toutes les maturités, est venu nous rappeler encore une fois que «le bastion de la démocratie» n'est pas prêt à se plier ni à oublier. Bien au contraire, les citoyens de cette région, meurtris mais porteurs d'espoir, se préparent à célébrer dans la dignité les deux printemps qui les ont réveillés du cauchemar de l'inconscience qui a tant duré. Que s'est-il passé exactement? En 1980, l'écrivain Mouloud Mammeri éditait en France l'ouvrage Poèmes kabyles anciens. Suite à la parution de cet ouvrage, les étudiants de l'université de Tizi Ouzou ont invité l'auteur à animer une conférence sur la poésie kabyle et la date a été arrêtée pour le 10 mars. La conférence a été annulée par les autorités locales sous prétexte qu'«elle porte atteinte à l'ordre public» et Mouloud Mammeri a été intercepté à Draâ Ben Khedda, conduit chez le wali et invité à quitter la Kabylie et ne pas tenir sa conférence. C'est alors la goutte qui fait déborder le vase, ouvrant la voie à des échauffourées entre les étudiants et les autorités puis entre la Kabylie et le pouvoir en place. Ces manifestations ont abouti à la nuit infernale du 20 avril et à l'opération Mizrana. L'affaire des 24 détenus est née. C'est donc suite à l'interdiction de manifestation que la revendication identitaire renaît, une bonne fois pour toutes, de ses cendres pour être adoptée et portée par la société tout entière. 21 ans après ce printemps, un autre, plus tragique, est venu. Le 18 avril 2001, dans l'enceinte de la brigade de la Gendarmerie nationale à Beni Douala, un jeune adolescent, lycéen, a été assassiné. Cet événement tragique a mis le feu aux poudres et toute la Kabylie s'est embrasée. Le drame a conduit à la mort 126 citoyens et des milliers d'autres ont été blessés, certains sont handicapés à vie et les commanditaires ne sont pas encore jugés. Après la libération des 24 détenus du Printemps d'avril 1980, et le retour au calme, un nombre important de militants de la cause berbère et de la démocratie se sont réunis durant un mois à Yakouren (Azazga) dans un séminaire organisé par le Mouvement culturel berbère (MCB). Du séminaire de Yakouren à la plate-forme d'El Kseur Cette rencontre, appelée depuis, le séminaire de Yakouren, a été clôturée le 31 août avec l'adoption de plusieurs propositions et revendications présentées à la discussion au sein du comité central du FLN, qui préparait alors un débat général concernant le dossier culturel. Le séminaire de Yakouren avait, en outre, posé le problème de la culture en Algérie en l'orientant autour de trois axes principaux: le problème de l'identité culturelle du peuple algérien, le problème de la liberté d'expression culturelle et le problème de la culture dans la politique de développement. Quelques jours plus tard, le processus de l'arabisation des sciences sociales à l'université est entamé et il ne s'est jamais arrêté depuis. Si le séminaire de Yakouren a été tenu à la fin des événements du Printemps berbère, la plate-forme d'El Kseur, elle, a été adoptée au cours du Printemps noir. Le document adopté le 11 juin 2001 par les représentants de la coordination interwilayas des archs contient 15 revendications. La plus importante est sans aucun doute le 8e point qui est ainsi transcrit: «Satisfaction de la revendication amazighe dans toutes ses dimensions (identitaire, civilisationnelle, linguistique et culturelle) sans référendum et sans conditions, et la consécration de tamazight en tant que langue nationale et officielle». Le folklore a pris le pas Contrairement aux années précédentes, la Kabylie célèbre cette fois «ses printemps d'insoumission» sous le signe du tout-folklorique. Ainsi, plusieurs festivités sont organisées à travers différentes régions du pays pour fêter le 29e anniversaire du Printemps berbère et le 8e anniversaire du Printemps noir. Projection de films amazighs, récitals poétiques, pièces théâtrales et rencontres-débats, caractériseront les festivités de commémoration de ces deux événements.