Le d�bat a tourn� court. Le Dr Ezzat Attia s'est r�tract� devant la temp�te de protestations qu'a soulev�e sa �fetwa du biberon�. En se risquant � reprendre � son compte des plaisanteries qui courent depuis des si�cles, le th�ologien azhari risque de perdre et son poste et sa libert�. Car, si on veut bien y faire attention, sa fetwa sur l'allaitement des adultes n'est pas n�e de sa simple imagination. Pas plus loin que dans ces colonnes, j'avais �voqu� l'ann�e derni�re une d�marche similaire. Il s'agissait pour les ma�tresses de maison d'allaiter leur personnel m�le, et donc de jouer les m�res nourrici�res, afin de gagner leur estime et leur respect. J'avais �voqu�, dans cette optique, la d�lirante perspective d'une longue cha�ne de demandeurs d'emplois m�les piaffant d'impatience devant le domicile de la plantureuse Ha�fa Wahby. C'est que ce genre de fetwas, et leur assortiment de hadiths plus ou moins douteux, encombrent encore le Net, sans remuer les foules. Seulement le Dr Attia n'est pas le premier venu, c'est une r�f�rence d'Al-Azhar dont il dirige le d�partement des hadiths. En d�pit de son d�clin et de l'atmosph�re poussi�reuse qui y r�gne, Al-Azhar a encore de l'audience. Les canulars et les plaisanteries n'y sont jamais de mise, comme dans toutes les v�n�rables institutions du genre. Et puis, le monde entier sait aujourd'hui que les Arabes ont perdu leur sens de l'humour (1). Vous me direz : il y a de quoi, surtout en cette p�riode, mais tout de m�me. Cette histoire aurait pu nous valoir, � tous, des moments de franche rigolade. Souriez, M. Karadhaoui ! Vous �tes film� ! Il y a une trentaine d'ann�es, l'id�e de la gougoutte, dans un bureau clos, ne vous avait pas laiss� de marbre (2). Pourtant, le Dr Attia semblait tenir � son id�e, aussi folle et aussi d�cal�e qu'elle ait pu para�tre. Il donnait l'impression d'�tre d�termin� � aller jusqu'au bout de sa logique quasi suicidaire, en rajoutant m�me un peu trop. Dans une interview � un journal kowe�tien, il est all� jusqu'� dire que si Monica Lewinsky avait donn� le sein � Bill Clinton, rien ne serait arriv�. On a tout de suite une id�e de l'�moi et des errements de l'esprit que peuvent provoquer de tels rappels. En tout cas, le moment n'est pas encore venu de d�sesp�rer de l'homme arabe, m�me � la veille du 6 juin (3). En t�moigne cette r�action de l'Egyptien Sami Al-Buha�ri qui a pris l'objet de la querelle par le bon bout, si j'ose dire. Le fait de vivre en exil aux Etats-Unis doit jouer sans doute dans son approche, mais ce n'est pas toujours �vident. Sami Al-Buha�ri est donc ing�nieur dans un bureau d'�tudes dans le sud des Etats-Unis. Il pr�cise qu'il est le seul musulman parmi les dizaines d'employ�s qui travaillent dans cette firme. Dans ce texte publi� par �Elaph�, parce qu'impubliable ailleurs, il commence par crier au fou, � l'�vocation de la fetwa du Dr Attia. Ce devoir �tant accompli, il avoue avoir �t� s�duit par les possibilit�s que sugg�rait cette initiative. En bon Egyptien, d�sireux de suivre les prescriptions d'Al- Azhar, il s'est rendu � son travail en r�fl�chissant sur l'identit� de sa prochaine nourrice. �Elles sont nombreuses dans ma compagnie et aucune d'elles ne porte le hidjab. J'h�sitais entre Kim, la comptable, Suzanne, le chef de projet urbanisme et Linda, des relations humaines. J'ai finalement jet� mon d�volu sur Kim avec qui je travaille souvent sur les projets de budget et dont j'avais remarqu� les avantages en la mati�re. Je sollicite donc sa coop�ration afin qu'elle devienne comme une m�re pour moi apr�s cinq allaitements cons�cutifs. Ma coll�gue, de religion juive, est d'abord surprise par une telle demande, mais elle finit par en admettre le bien-fond�. �Vous savez que je suis mari�e, me dit-elle, et je dois donc en parler d'abord � mon mari (avec qui j'avais nou� des relations amicales). Venez donc � la maison prendre un caf� et nous en discuterons avec lui�. Le soir m�me, je me rends � leur domicile o� le mari, David, m'accueille chaleureusement dans son salon. J'avais d�j� remarqu� une immense vitrine dans laquelle �taient expos�s divers mod�les d'armes � feu. �Alors que puis-je faire pour vous cher ami ?, me demande-t-il. Sans plus tarder, je lui expose le contenu de la fetwa et mon d�sir de la mettre en application avec l'aide de sa femme. Soudain, je le vois se pr�cipiter vers le r�telier d'armes et tenter de l'ouvrir. Je comprends vite ce qu'il cherche � faire et je prends mes jambes � mon coup. Alors que je cours � toute vitesse vers ma voiture, je l'entends crier : �Cinq t�t�es, hein ! Fils de� !� Qu'il soit trait� par la d�rision ou avec s�rieux, le sujet n'en r�v�le pas moins les graves d�rives th�ologiques dont se rendent coupables les fondamentalistes. On observera, au passage, que le d�bat et la pol�mique n'ont mis en jeu que la population m�le, comme d'habitude. Les femmes, principales concern�es et pourvoyeuses de mati�re premi�re en l'occurrence, sont totalement exclues lorsqu'il s'agit de leur sort. Ce que r�v�le, en fait, la folle initiative du Dr Attia, c'est l'incapacit� des th�ologiens actuels � s'opposer � la ru�e de l'obscurantisme wahhabite. Ce dernier exploite � fond le vivier in�puisable des 600 000 hadiths qui seraient en circulation. Face � eux, les th�ologiens du cru se taisent quand ils ne se rallient pas. Pour une fetwa incroyable comme celle du Dr Attia, combien de fetwas absurdes pleuvent nuit et jour sur les Arabes musulmans ? Combien de fetwas de mort et de violence se propagent insidieusement dans nos villes et dans nos cit�s ? Il ya deux semaines, tout pr�s de nous � Beni-Mered, pr�cis�ment, une fillette de treize ans a �t� asperg�e de Javel et lapid�e au pr�texte qu'elle ne portait pas de hidjab. Les jeunes l�ches islamo- hittistes qui ont planifi� l'agression n'ont pas �t� recrut�s par Ben Laden. Ils ont �t� intoxiqu�s par le discours qu'ils entendent au sein et autour de l'�cole. C'est dans les �coles que des enseignants inconscients et criminels d�signent du doigt l'ennemi principal : encore et toujours la femme, encore et toujours la jeune fille qui ne se couvre pas les cheveux. C'est dans cette atmosph�re de violence que la petite Lilia a �t� litt�ralement scalp�e la semaine derni�re dans une �cole de Birtouta. Son institutrice, m�contente du coloriage de la petite �l�ve, l'a tir�e si violemment par les cheveux qu'une touffe lui est rest�e dans la main. L'apprentie apache n'a pas fait l'Afghanistan ou l'Irak. Ce n'est pas dans ces pays qu'il faut chercher les raisons de la d�confiture de notre �cole et de la d�shumanisation de nos enseignants. C'est en vain que les d�fenseurs de la tradition monteront au cr�neau pour d�fendre une �cole sinistr�e. De ce naufrage, jailliront toujours des �scalpeurs� et des �javelliseurs �, s'ils veulent bien s'arr�ter l�. A. H. (1) J'en veux pour preuve la d�confiture de l'acteur syrien Doreid Laham, accablant Bachar Al Assad de ses superlatifs. O� as-tu perdu ton sac � sarcasmes Doreid ? Ou bien, le destin des comiques est-il de vieillir dans la peau de trag�diens ? (2) Il n'avait pas dit express�ment oui, mais il avait conseill� d'�tudier la question sous tous ses aspects. What's on a man's mind ? (3) Encore un casse-t�te pour moi : les Arabes c�l�brent la victoire de Hittine, sur les crois�s, tous les mille ans et ils comm�morent la d�faite de juin 1967 tous les ans.