Par Ahmed Halli [email protected] Idée reçue : «Le Ramadan est le mois de la piété et du travail. » C'est ce qu'on nous enseigne, depuis la plus tendre enfance, sur toutes les ondes et sur toutes les lucarnes. C'est une idée reçue en mains propres, comme un colis précieux à sauvegarder jalousement. Un coup d'œil autour de vous ! Mieux encore : placezvous en face de votre miroir aux alentours de midi ! Vous y lirez le plus cinglant démenti à la seconde partie de cette formule, un rien péremptoire. Si, toutefois, vous avez eu à cœur de valider le premier terme, ce dont vous me permettrez de douter. Le Ramadan, c'est en réalité le mois de tous les excès, de tous les dangers ; le mois où tous les religieux, en mal de reconnaissance, se mêlent de tout et de rien. Avec la prolifération des chaînes satellitaires religieuses ou assimilées, la fetwa est devenue aussi courue que la datte ou la zlabia de Boufarik. Alors que le marché de la finance se délite, celui de la fetwa connaît de hausses spectaculaires, au point de faire appréhender ce krach qui ne viendra, hélas, jamais. En matière de fetwas, il n'y a pas de dépôts de bilan, en effet, ni de faillites frauduleuses et encore moins d'interdictions d'entreprendre. Lorsqu'un banquier commet une faute professionnelle, la sanction immédiate est la disparition ou le rachat de sa banque, avec la perspective d'un saut, sans parachute, du haut d'une tour. Les auteurs de fetwas erronées ou ridicules ne se suicident jamais. Ils sont là pour fournir des viatiques spirituels aux futurs kamikazes. Même s'ils émettent des édits qui font se tordre de rire la moitié de la plainte et font monter la rougeur au front de l'autre moitié, les «fetwistes» regrettent rarement leurs édits. Et lorsqu'ils se «repentent», selon la formule consacrée, c'est pour mieux revenir à la charge au Ramadan suivant. Nous avons donc vu, au début de ce Ramadan 1429, le cheikh saoudien Al-Louhaidane, président du tribunal de grande instance du royaume, sonner la charge contre les propriétaires de chaînes satellitaires, jugées licencieuses. Il les a donc condamnés à mort sans comparution, à l'exception des patrons de la chaîne du Hezbollah Al- Manar, injoignables et ceux de la chaîne Iqra, intouchables. Devant la levée de boucliers observée à l'intérieur et à l'extérieur de l'Arabie saoudite, Salah Al-Louhaidane s'est expliqué sans se rétracter pour autant. Ces patrons de télé doivent être tués mais de façon légale, c'est à dire après avoir été condamnés à mort par un tribunal dûment qualifié. Un tribunal qui pourrait être présidé par le grand magistrat. Le résultat serait le même mais la procédure aurait le mérite de donner un sursis, et une chance de se pourvoir, au condamné. C'est ainsi qu'un président de tribunal de grande instance conçoit le fonctionnement de la justice en monarchie wahhabite. Avec un aussi bon début, il fallait une suite de la même veine, voire une conclusion logique à une saison hors normes cartésiennes. C'est un prédicateur saoudien, Mohamed Al-Moundjid qui s'en est chargé, en plein milieu du Ramadan. Le théologien, qui a apparemment toute sa raison, a lancé, en effet, une fetwa de mort contre Mickey Mouse. Vous savez, la célèbre souris de Walt Disney à laquelle d'aucuns ont fait l'affront de comparer son monde au nôtre. Al-Moundjid est parti d'un constat aussi simpliste qu'hors de propos : les souris sont considérées comme des animaux répugnants et haïssables en Islam et il faut les exterminer. Ce sont des «soldats d'Ibliss» qui doivent être éliminés, selon lui, et il faut donc tuer Mickey Mouse. Comme d'habitude, les propos ont eu pour résultat de soulever un immense éclat de rire en Occident. Inutile de vous dire la volée de bois vert distribuée par l'honorable collège des théologiens arabes auxquels il ne faut pas en remontrer en la matière. Dans le groupe de ceux qui ont perdu une belle occasion de se taire, il faut citer la «Douktoura» Souad Salah, professeur de théologie enseignée aux filles à Al-Azhar. Dans une déclaration rapportée par un journal égyptien, elle a qualifié de «stupide» la fetwa sur Mickey Mouse. Ce qui a fait dire à l'écrivain égyptien Adel Hozeïn que la fetwa de mort lancée par ladite Souad Salah contre un converti au christianisme était tout aussi «stupide». Quant à notre ami Sammy Al-Buhaïri qui vit aux Etats-Unis et qui sait ce que «Bled-Mickey» veut dire, il a décidé de traiter le sujet par la dérision. «Je déteste toutes les souris du monde, dit-il, à l'exception de quatre d'entre elles : la souris de l'ordinateur, la souris Jerry, le rat Mickey Mouse et le rat mexicain Speedy Gonzalès. Aussi, je soutiens la fetwa de cheikh Mohamed Al-Moundjid qui a lancé la chasse aux souris. Mais je ne suis pas d'accord avec ses attaques contre Jerry et Mickey Mouse. Pour tout vous dire : Al-Moundjid fait partie de cette caste de cheikhs qui s'attaquent à tout ce qui est beau. Ils ont peur du moindre sentiment de bonheur et ils sont plongés dans l'affliction à la simple vue de gens heureux.» Des idées reçues, on en à engrangées à profusion dans nos boîtes postales, je pense surtout à celles qui nous sont parvenues en contre-remboursement et que nous payons encore. Tenez : cette idée de l'Oumma islamique qui transcende tout, de la parenté religieuse qui fait de vous un fratricide, voire un parricide. Depuis des décennies, des générations entières ont été mobilisées pour la cause de la «Communauté des croyants», choisie comme modèle pour l'humanité. Au nom de l'Oumma, nous avons brisé les liens du sang et du sol et nous avons définitivement tourné nos regards vers la pointe la plus effilée, et la plus aiguisée, du croissant. Les partisans de l'Algérie avant tout ont été vite submergés par les tenants du tout religieux, une fois la parenthèse Boudiaf hâtivement refermée. Assurément, l'Iran et l'Arabie saoudite offraient plus de séductions que Boudiaf aux adeptes du culte des opportunités. L'un était une puissance nucléaire et l'autre possédait l'arme absolue : les lieux saints de l'Islam. On ne peut que prier, et dans la bonne direction, lorsque la providence a mis tous les atouts de ce côté-là. Jusqu'ici tout semblait fonctionner normalement à la grande satisfaction de nos démocrates en gandoura blanche. Les chemins de la rédemption étaient désormais aplanis, damés et pouvaient mener jusqu'au tombeau de Khomeyni. Seulement, ceux qui pensent et agissent à notre place, sans se faire prier, ont décidé de changer les choses. Karadhaoui a déterré une nouvelle fois la hache de guerre contre ce qu'il appelle l'expansionnisme chiite. Selon lui, l'Egypte est déjà investie par les légions iraniennes ainsi que la Jordanie et le Maroc à l'ouest. Il y a du vrai dans ce que dit Karadhaoui mais pourquoi soulever cette question, précisément en ce moment, alors que l'Algérie est engagée dans une nouvelle idylle avec l'Iran. En quoi le chiisme, à l'iranienne, serait-il plus nocif que le sunnisme d'observance wahhabite ? Autre idée reçue toute fraîche et par courrier anonyme : le troisième mandat et ceux qui s'ensuivront ne sont là que pour permettre au président, à vie ou au long cours, de postuler au prix Nobel. Dans l'immédiat, le projet semble compromis puisque l'Egyptien Moubarak paraît bien placé pour être Nobel au bénéfice de l'âge. Mais tout vient à point à qui sait attendre. Et dire que pendant des années, on nous a rebattu les oreilles avec ce «Nobel», soumis au diktat américano-sioniste. Qu'est-ce qui a changé pour que des nationalistes arabes, mortellement patriotes, courent à perdre haleine pour que leurs chefs obtiennent cette distinction ? Une idée à recevoir ? A. H.