BIO EXPRESS de Roland CAYROL Roland CAYROL est n� le 11 ao�t 1941 � Rab bat au Maroc, o� son p�re, fonctionnaire de l�Education, et sa m�re, professeur d�arabe, tous deux n�s en Alg�rie, se sont install�s. Apr�s des �tudes secondaires au lyc�e Gouraud � Rabat, Roland CAYROL entame le cycle d�enseignement sup�rieur aux facult�s de Droit et de Lettres de Paris puis � la Fondation Nationale des Sciences Politiques dans la m�me ville. Il est dipl�m� de l�Institut d�Etudes Politiques de Paris, licenci� es-Lettres et en Droit et titulaire des dipl�mes d�Etudes Sup�rieures de Sciences Politiques et de Droit Public des universit�s de la m�me ville, ancien du Doctorat de 3� cycle de �Sciences-Po�. Il a d�but� sa carri�re professionnelle comme secr�taire du club d�id�es Jean Moulin, puis comme Charg� de Recherches � la Radiot�l�vision fran�aise. Il exerce, successivement, en qualit� d�Assistant � l�Association Fran�aise de Science Politique, d�Attach� puis Charg� et enfin Directeur de Recherche, � la Fondation Nationale de Sciences Politiques de Paris. Au sein de cette m�me Fondation, il collabore, sans interruption au Centre d�Etudes de la Vie Politique Fran�aise (CEVIPOF), laboratoire de recherches de renomm�e internationale. Tout en continuant sa carri�re universitaire, il s�oriente, simultan�ment, vers les sondages d�opinion en assumant, tour � tour, les fonctions de Dib recteur des Etudes Politiques et d�Opinion � l�Institut Louis Harris France, de Directeur de l�Institut de sondages CSA- � la cr�ation duquel il contribue b, et, enfin de Directeur G�n�ral du groupe CSA. Roland CAYROL collabore r�guli�rement � de nombreux m�dias, dont Radio France, France 3 et France 5, LCI, I-T�l� et BFM-T�l�. Roland CAYROL qui jouit d�une grande notori�t� parmi les politologues fran�ais est un sp�cialiste du comportement �lectoral ainsi que de l��volution de l�opinion publique. Il est co-fondateur du groupe de recherches �European Electoral Studies� et participe aux travaux de plusieurs �quipes de recherche � travers le monde dont �Latinobarometro�, dont il est membre du Conseil Scientifique. Il est l�auteur de nombreux ouvrages dont certains font date : �Fran�ois Mitterrand� (Presses de Sciences-Po ,1967), �Le grand malentendu , les Fran�ais et la Politique� (Seuil, 1994), �M�dias et D�mocratie, la d�rive� (Presses de Sciences-Po 1997), �Sondages, mode d�emploi� (Presses de SciencesbPo 2000), �La nuit des politiques� (Hachette, 2006), � La revanche de l�opinion : M�dias, sondages , Internet � avec Pascal DELANNOY (Jacob-Duvernet, 2007). Il est �galement, sous le pseudonyme de Jean Duchateau, l�auteur de romans de politique fiction (�Meurtre � l�Elys�, �Meurtre � TF1�, et �Meurtre � l�Elys�e II�, tous parus chez Calmann-Levy). Il a r�alis�, par ailleurs, avec Anne Gaillard, un film documentaire sur Fran�ois Mitterrand, intitul� � Portrait d�un Pr�sident �. � Si les sondages d�opinion se d�veloppent, ils contribuent � �largir le processus d�mocratique car ils font intervenir la voix des citoyens, ceux qu�on n�entend jamais � (Entretien avec Roland CAYROL , men� par Mohamed Chafik MESBAH) Paris le 24 Mai 2006�En p�n�trant dans l�immeuble cossu qui abrite le nouveau si�ge de l�Institut de sondages d�opinion fran�ais CSA , je n�ai pas pu manquer d��voquer les recommandations que mon ami , le brillant journaliste fran�ais Dominique BROMBERGER , me signifia avant de m�introduire , il y a quelques lustres de cela , aupr�s de Roland CAYROL, Directeur G�n�ral de CSA, le troisi�me institut sp�cialis� dans la discipline , en France, par ordre d�importance� Dominique BROMBERGER me disait alors de Roland CAYROL � qu�il �tait exigeant dans ses rapports professionnels, encore plus dans ses rapports amicaux. Un homme rigoureux mais n�anmoins chaleureux. Un homme, par ailleurs, soucieux de faire partager son expertise �lorsque la sollicitation lui en est faite m avec les sp�cialistes des pays en voie de d�veloppement, le Maghreb, en particulier, o� il conserve des attaches affectives p�rennes �. Depuis lors, j�ai eu tout le loisir d�approfondir mes relations d�amiti� avec Roland CAYROL sans jamais avoir eu � d�juger Dominique BROMBERGER. Dont acte. C�est avec du plaisir, naturellement, que j�ai d�cid� de consacrer ce num�ro de � l�Entretien du Mois � � une discussion, � b�tons rompus, avec Roland CAYROL puisque nous partageons une m�me passion pour une discipline inconnue, encore inconnue, en Alg�rie. C�est bien parce que je reconnais � Roland CAYROL une expertise av�r�e , tant dans le domaine des sondages d�opinion que de la science politique , que j�ai organis� ce d�bat .Il s�agit , d�une part , d�initier les citoyens alg�riens � cette discipline qu�ils ne ma�trisent pas et que les pouvoirs publics refusent d�introduire et d�encourager de mani�re s�rieuse. Il s�agit, d�autre part, de satisfaire la soif de connaissance de ces m�mes citoyens alg�riens qui ont suivi, via la t�l�vision satellitaire, avec un engouement exceptionnel, toutes les p�rip�ties de la r�cente �lection pr�sidentielle en France. J�ai retrouv� un Roland CAYROL, �gal � lui-m�me, exigeant sur le plan professionnel, vigilant dans la pratique de l�amiti�, mais, par ailleurs, d�une disponibilit� peu commune parmi les experts europ�ens renomm�s de sondages d�opinion, pour ne pas dire � les magiciens des �tats d��me de l�opinion �, appellation que l�invit� r�cuse avec v�h�mence. Ce n�est s�rement pas Roland CAYROL qui s�avisera � donner, publiquement, des le�ons aux hommes politiques afin de se faire une renomm�e factice .Il envisage autrement sa t�che qui consiste, il n�en d�mord pas, � �clairer plut�t l�opinion publique de mani�re que ses choix soient plus r�fl�chis. De m�me, il m��conduit diplomatiquement, lorsque je tente, perfidement, de lui faire arracher un commentaire, dans le sens que je souhaite, sur ce ph�nom�ne de transfert qui a frapp� les t�l�spectateurs alg�riens, lesquels d�daignant la campagne �lectorale des l�gislatives en Alg�rie ont report� tout leur int�r�t sur l��lection pr�sidentielle en France. En un mot, il me livre sa mani�re de voir : � les r�volutions port�es par un projet d�mocratique sont conduites par des �lites d�termin�es avec l�appui de leurs peuples. L�avis des �trangers est , alors, si peu important� �. Voil�, tel qu�il est dans la dur�e, rigueur, s�r�nit� et franchise, Roland CAYROL dont l�amiti� m�honore. �coutons-le attentivement� Mohamed Chafik MESBAH [email protected] Mohamed Chafik MESBAH :Comme nous sommes li�s par des rapports d�amiti�, je vais me permettre, mon cher Rob land, un ton d�impertinence au cours de cet entretien, afin de donner � notre rencontre un ton sans complaisance. Roland CAYROL : Me voil� donc pr�t � tout, mon cher Chafik ! Ca tombe bien, j�adore la dispute intellectuelle, et avec vous, sur ce terrain, je sais que je ne crains rien ! MMC : Avant d�aller au c�ur de l�entretien, autour des sondages d�opinion et de l��volution en cours du paysage politique fran�ais, je c�de � l�interrogation rituelle dans pareil cas. Suivant quel parcours, r�pondant � quelle impulsion, en �tes vous arriv� aux sondages d�opinion ? RC : Cela fait bien longtemps, depuis ma jeunesse en Afrique du Nord et les combats de lib�ration, que je ressens avec force l�importance de l�opinion, pour faire bouger les choses. D�s lors, apr�s mes �tudes, m��tant lanc� dans la recherche en sciences sociales, quoi de plus naturel que de chercher, parall�lement � ma carri�re universitaire, � comprendre, � cerner, � mesurer l�opinion ? C�est bien � cela que servent les sondages ! MMC : Cette profession, c�est une vocation ou une carri�re ? RC : C�est une passion. Et c�est aussi un m�tier, parfois technique et aride� MMC : Vous dites: � nous aimerions que notre activit� soit d�finie par un mot ou une expression prot�g�s �. Comment appeler ceux qui pratiquent les sondages d�opinion, comment les distinguer de ceux qui effectuent des sondages hydrauliques ? RC : On dit en g�n�ral �sondeurs�. Parfois �politologues�, lorsqu�il s�agit de d�cortiquer les sondages politiques. �D�moscopes� n�a pas bien pris ! MMC : Peut-on �voquer bri�vement l��pop�e de CSA, je veux dire de l��quipe qui a fond� CSA, cet institut qui compte, d�sormais, parmi ses concurrents fran�ais ? RC : Notre approche a �t� double: d�abord, celle de la pluridisciplinarit�. Je suis politologue de formation, mon associ�e depuis le d�part, Claude Suquet, est �conomiste. Nous travaillons avec des sociologues, des s�miologues, des historiens, des statisticiens. Et puis la volont� de traiter chaque probl�me de mani�re sp�cifique, avec la volont� de r�pondre � des interrogations pr�cises. Pas de grands instruments tous terrains: chaque �tude est un cas particulier, qui doit emprunter sa m�thodologie particuli�re. MMC: A propos, la neutralit� de CSA n�est pas compromise par la pr�sence dans son capital de l�industriel Vincent BOLLORE dont les sympathies pour la droite, Nicolas SARKOZY sont notoires ? RC : Vincent Bollor� nous a fait b�n�ficier d�un apport en capital. L�autonomie morale et commerciale de CSA reste enti�re. CSA travaille d�ailleurs, en politique, avec TOUTES les formations fran�aises de l�arc-en-ciel d�mocratique. Il ne saurait y avoir de �connivence� pr�f�rentielle avec tel ou tel homme (ou femme) politique! MMC: Il y a quelque temps, l�activit� des sondages d�opinion oscillait entre 5 � 10% du chiffre d�affaires global des instituts fran�ais. Voil� qu�en un laps de temps relativement court, cette proportion a franchi la barre des 15% atteignant m�me 20%, avec un foisonnement impressionnant de sondages publi�s. Quelle est l�explication ? Une forte progression de la demande ? RC: M�me si, en p�riode �lectorale, les sondages politiques, command�s par les journaux ou les t�l�visions, sont tr�s visibles, l�activit� principale des instituts reste, de loin, celle des �tudes de march�, et toutes les �tudes au service des entreprises: attentes des consommateurs, impact des campagnes de publicit�, satisfaction des client�les, appr�ciation des produits et de leur �packaging�, climat social interne chez les salari�s, etc. MMC: Habituellement, les sondages d�opinion d�roulent � travers des �tudes qualitatives, comprendre un ph�nom�ne ou une situation donn�s, ou des �tudes quantitatives, �valuer un comportement et le quantifier. Dans quel cas pr�cis utilise-t-on ces �tudes? RC : Lorsqu�on veut mesurer des niveaux d�opinion, et qu�on veut mesurer comment se r�partit cette opinion (par �ge, par classe sociale, par sexe), sur des probl�mes, ou dans des �lections, on recourt au sondage, c�est-�-dire � la m�thode quantitative, en construisant des �chantillons repr�sentatifs, qu�on interroge � partir d�un questionnaire. Lorsqu�on veut plut�t comprendre comment se forment les opinions, quel est leur degr� de fermet�, comment �a se passe dans la t�te des gens, on r�unit de petits groupes de citoyens (7 � 10), pendant plusieurs heures, et on travaille avec eux selon des techniques projectives, sous la conduite d�un psychologue. Alors, on ne vise plus � la repr�sentativit� de l��chantillon, on cherche � cerner les m�canismes de fabrication de l�opinion. Ce sont les �tudes qualitatives. Selon les cas, nous produisons donc des chiffres (les sondages)� ou des lettres (une analyse en profondeur). MMC: Il existe, en gros, pour le recueil des questionnaires, le face � face, le t�l�phone fixe, le t�l�phone mobile et le coupon-r�ponse. Quelle est la corr�lation entre le moyen utilis� et la nature de l�enqu�te projet�e ? RC : Il faut �tre pragmatique, et adopter la technique la plus appropri�e � ce que l�on recherche ! Si l�on veut montrer des objets aux personnes interrog�es (par exemple des affiches � tester, ou des films, ou des textes longs), on optera �videmment pour le face-�-face, au domicile de l�interview�. Le t�l�phone, fixe et mobile, est plus rapide, plus souple, et moins on�reux. Il faut ajouter Internet, de plus en plus utilis�. MMC: Actuellement, quel est le plus usit� ? RC : Dans les pays d�velopp�s, o� tout le monde a le t�l�phone, la plupart des sondages d�opinion sont effectu�s par ce moyen. Dans les autres, c�est le face-�-face. MMC: Nous avons oubli� d��voquer la technique du panel. Quel est son int�r�t dans la connaissance des ph�nom�nes politiques ? RC: Le panel consiste � r�interroger chaque fois les m�mes personnes. C�est plus co�teux (il faut les retrouver), mais cela permet de travailler sur les changements individuels d�opinion. MMC: Est-il exact que, pour des consid�rations de co�t, la gestion des centres d�appels t�l�phoniques sont externalis�es par les instituts de sondage? RC : Toutes les formules existent. CSA g�re ses propres installations d�appel t�l�phonique, � Nice. Mais nous avons �galement mis en place, avec des partenaires marocains, des centres d�appel dans leur pays. A quand l�Alg�rie ? En ce qui concerne le co�t des sondages, il est, je pense, abordable pour les d�cideurs et les m�dias fran�ais: autour de 1000 Euros par question (et, pour ce prix, on dispose de la r�partition des r�ponses � la question pos�e, par sexe, �ge, profession, r�gion, sympathie politique du r�pondant). MMC: Quelles garanties pouvez-vous avancer, alors, pour attester de la rigueur m�thodologique de votre travail ? RC : Ce sont nos sp�cialistes, depuis Nice, qui encadrent, forment et contr�lent nos partenaires ext�rieurs, selon nos normes d�exigence professionnelle. Il n�y a aucune diff�rence de qualit� ou de rapidit� d�ex�cution, entre ce que nous faisons sur place et ce que nous externalisons. MMC: Pouvez-vous nous dire en quoi consiste le � focus � ? RC : J�y ai fait allusion � propos du �qualitatif�: nous r�unissons de petits groupes de citoyens, et nous en tirons, par des m�thodes d�animation projectives, la substantifique moelle ! MMC : Le grief majeur adress� aux instituts de sondages d�opinion a trait aux calculs de pond�ration qui corrigent les r�sultats bruts des enqu�tes .Ces calculs de pond�ration, ce n�est pas une part d�arbitraire ? RC : Certains �lecteurs �cachent� leur vote, par exemple pour le Front National. Nous devons les �reconstituer�. La m�thode la plus simple consiste � demander comment on a vot� la derni�re fois. Le �mensonge� des �lecteurs est toujours le m�me, mais l� � nous connaissons les vrais r�sultats des derni�res �lections! Nous avons ainsi une cl� statistique de redressement des r�sultats. C�est une simple technique empirique, qui permet d�am�liorer nos photos! MMC : Etes-vous parvenu � des progr�s tangibles dans les techniques d�enqu�tes, enqu�tes men�es par WEB et maniement des calculs de pond�ration ? RC : C�est un m�tier o� il faut progresser sans cesse. Je pense que nos r�sultats montrent tout de m�me les progr�s accomplis! Mais tout reste toujours � faire. Sur le Web, nous savons bien interroger des �chantillons d�internautes. Mais c�est encore fragile, lorsque nous voulons mesurer les r�ponses d�un �chantillon national parfaitement repr�sentatif de toute la population. MMC: Excusez-moi de para�tre scolastique, je vise le but p�dagogique d��clairer l�opinion publique de mon pays. A quel usage sont destin�s les produits obtenus par les sondages d�opinion, notamment, les enqu�tes omnibus et de M�diam�trie ainsi que les barom�tres de popularit� ou de climat interne ? RC : Les enqu�tes publi�es dans la presse sont faites pour �clairer les lecteurs: gr�ce aux sondages, chaque citoyen peut mieux mesurer le poids de sa propre opinion, de son propre vote. Et les enqu�tes faites pour les d�cideurs permettent � ceux-ci de disposer d�un tableau de bord de l�opinion. Ils savent, gr�ce � nos donn�es, ce qui, dans leur action (mesures politiques, lancement de produits, organisation de programmes de t�l�vision), marche ou pas, dans les diff�rents secteurs de l�opinion, et ce qu�il leur faut corriger pour retrouver la confiance. Cela est particuli�rement utile dans les situations de crise. Mais l�id�al est de ne pas attendre les crises pour comprendre l��tat de l�opinion � qu�il s�agisse de celle des citoyens, des salari�s d�une entreprise ou des consommateurs. MMC : Pour argumenter l�utilit� de votre profession vous �voquez la notion de � l��lecteur strat�ge � qui se d�termine gr�ce aux sondages d�opinion, � une boussole, comme vous l��crivez, qui permet de se rep�rer dans la vie politique �.Pour consolider la pratique de la d�mocratie, institutionnaliser les sondages d�opinion en imposant leur usage pour toutes les consultations �lectorales, ce n�est pas mieux ? RC : Imposer, non, je ne suis pas pour imposer. Mais dans tous les r�gimes qui pr�tendent � la d�mocratie, il me para�t en effet indispensable que les citoyens puissent profiter de ce miroir permanent de leurs pr�occupations, que constituent les sondages. Les citoyens ont besoin de savoir o� �ils mettent leur vote�, quel est le rapport de forces d�opinion r�el dans le pays. Pas de d�mocratie sans sondages! MMC : Cette responsabilit� p�se ainsi sur vos �paules ! Vous ne rendez compte qu�� votre seule conscience ou bien existe-t-il une autorit� morale de contr�le de la profession ou, � d�faut, un code de d�ontologie � respecter ? RC : Il existe un code de d�ontologie international, �tabli par notre organisme professionnel, l�ESOMAR. Et, en France, une Commission des Sondages surveille ce qui concerne les sondages �lectoraux. Mais la v�ritable �thique, qu�il faut avoir chevill�e au corps, ce sont les sondeurs eux-m�mes qui doivent s�en impr�gner, et savoir toujours la d�fendre. MMC: A propos des r�sultats de la derni�re �lection pr�sidentielle en France et je m�adresse , l�, au sp�cialiste des sondages d�opinion autant qu�au politologue qui participe aux travaux du laboratoire de suivi de la politique fran�aise � la Fondation Nationale des Sciences Politiques de Paris. L��lection de Nicolas SARKOZY � la Pr�sidence de la R�publique en France repr�sente-t-elle un point de rupture dans l��volution de la vie politique de votre pays ? RC : C�est une rupture claire de g�n�ration, et de style politique. Les Fran�ais se m�fient �norm�ment de la politique, et de ses �promesses non tenues�. L�, l�opinion a eu le sentiment qu�elle avait pu imposer ses candidats, et ses th�mes de pr�occupation pendant la campagne. Du coup, elle a jou� le jeu, en votant massivement. Mais maintenant, il s�agit de ne pas la d�cevoir! MMC : La soci�t� politique fran�aise, dans l�espace europ�en, semble accuser un retard au plan de la configuration de la soci�t� politique et de la nature de la participation des citoyens dans la consolidation des institutions d�mocratiques.. L��lection de Nicolas SARKOZY va renforcer ou corriger cet �cart ? RC : Je crois la soci�t� fran�aise plus dynamique et �changeante� que ses d�cideurs, qui h�sitent en permanence devant les r�formes, par peur du peuple. C�est peut-�tre cela qui va changer? C�est en tout cas ce qu�il faudrait changer ! MMC : L��cart de points entre les candidats respectifs de la droite et de la gauche pour le dernier scrutin pr�sidentiel n�est pas �normes Cela pr�sage-t-il d�une persistance de la bipolarisation de la vie politique fran�aise ? RC : Pour une pr�sidentielle, l��cart est important. Et ce r�sultat sera probablement encore amplifi� lors des �lections l�gislatives de Juin. Sarkozy va disposer de pouvoirs �tendus. Il est vrai que la gauche r�siste, mais elle est � reconstruire. MMC: L�extr�me droite et l�extr�me gauche vont-elles survivre ou, au contraire ,se fondre dans les partis dominants que constituent l�UMP et le PS ? RC : On a le sentiment que Sarkozy a fait au Front National le �coup� que Mitterrand avait fait au PC, en 1981. Le d�clin du FN semble probable, sauf si Sarkozy �choue sur les probl�mes de s�curit�. Quant � l�extr�me-gauche, non, elle ne sera pas tent�e par les sir�nes du PS, d�autant que celui-ci est de plus en plus conduit � accepter la logique du syst�me capitaliste. MMC : Cette r�cente �lection pr�sidentielle en France a mis en relief le succ�s de la mutation de l�UMP, au moment o� le Parti socialiste peine � se transformer � RC : C�est vrai. Sarkozy dispose d�un vrai �Parti du Pr�sident�. Le PS est en revanche largement � refaire: doctrine, positionnement politique, leadership� MMC : Cette �volution rend improbable l��mergence d�un fort parti ancr� au centre� RC : Tr�s difficile. Bayrou va payer son audace, aux l�gislatives. Mais il vise � long terme, et va essayer de se poser, m�me avec de maigres troupes, comme le vrai �chef moral de l�opposition� face � Sarkozy. MMC : Vous ne pensez pas que la cob habitation � la fran�aise att�nue les clivages id�ologiques droite-gauche ? RC : La cohabitation, oui. Mais surtout l��volution du monde, qui n�cessite des r�ponses modernes adapt�es, et pas seulement le recours aux vieilles lunes id�ologiques� MMC : Je veux �voquer, tout particuli�rement, les domaines de la politique de d�fense et de la politique �trang�re. Il est symptomatique que Nicolas SARKOZY ait song� � Hubert VEDRINE, le propre Ministre des Affaires Etrang�res de Fran�ois MITTERAND, pour diriger la diplomatie fran�aise, et ait finalement fait appel � Bernard Kouchner� RC : Il est vrai que la politique �trang�re est en France un domaine relativement consensuel. C�est donc dans ce secteur que �l�ouverture� � gauche est la plus facile. D�autant que Kouchner �tait, au sein de la gauche, l�un des plus �atlantistes�, l�un des plus admiratifs des Etats-Unis� MMC : Je pense, � ce sujet, aux rapports de la France aux Etats-Unis d�Am�rique et � l�OTAN, aux rapports avec le Proche Orient dans la logique du processus de paix et, enfin aux rapports � l�Alg�rie et au Maghreb... RC : Sans doute Nicolas Sarkozy se sent-il, plus que son pr�d�cesseur, ami des Etats-Unis ou de l�Etat d�Isra�l. Mais mon hypoth�se c�est qu�une fois au pouvoir, cela peut donner des accents un peu diff�rents (et il est vrai que, sur la sc�ne mondiale, le style, �a compte), mais que, sur le fond, face aux r�alit�s, la politique �trang�re de la France n��voluera pas sensiblement. MMC : Pensez-vous que le Parti socialiste fran�ais a un avenir s�il ne se transforme pas en un v�ritable parti social d�mocrate ? RC : Non, bien s�r. Mais m�me la social d�mocratie est en crise, dans les pays du Nord de l�Europe. C�est donc plut�t d�une v�ritable refondation du PS qu�il devrait s�agir, avec des r�ponses adapt�es, sans �ill�re, sans a priori, aux probl�mes de la soci�t� fran�aise d�aujourd�hui. Comme, dans un contexte diff�rent, et sans doute avec des r�ponses diff�rentes, Blair avait su le faire, face � Thatcher. Il y a du pain sur la planche! MMC : Justement, si vous deviez �valuer, de mani�re objective la capacit� des dirigeants actuels du Parti socialiste � conduire la transformation de leur parti dans le sens indiqu�, le plus apte pour cette t�che serait Dominique STRAUSSKAHN ou S�gol�ne ROYAL ? RC : Les militants en d�cideront � sous le contr�le vigilant des sondages d�opinion! L�id�al serait s�rement un saut de g�n�ration, mais on ne distingue pas encore bien qui pourrait en profiter. MMC : Peut-on affirmer, par exemple, que les �lections qui se sont d�roul�es en France depuis, disons une d�cennie, ont mis en �vidence l�existence d�un vote � beur � ? RC : Difficile � dire, puisque la loi interdit de recueillir des donn�es sur les origines des �lecteurs. Si l�on se fonde sur le fait d�avoir des parents ou des grands-parents d�une nationalit� nord-africaine, ces �lecteurs ont nettement pench� pour S�gol�ne Royal � d�abord par �anti-sarkozysme�. MMC : Un vote � beur � est-il souhaitable ? RC : Il est s�rement bon qu�on connaisse les pr�occupations de chacun. Mais il ne faut pas risquer de tomber dans le �communautarisme�. Oui � la �discrimination positive� � la fran�aise, non aux ghettos culturels! MMC : Les r�sultats de l��lection pr�sidentielle fran�aise vont-ils peser, m�caniquement, sur les prochaines l�gislatives? Les �lecteurs fran�ais sont-ils condamn�s � procurer au Pr�sident qu�ils viennent d��lire une majorit� pour gouverner ? RC : C�est probable. Les Fran�ais souhaitent donner une majorit� au Pr�sident qu�ils ont �lu � quitte � faire le bilan dans cinq ans. MMC : Dans un forum sur le WEB, un internaute vous a interpell� comme suit : � Les yeux dans les yeux, pouvez-vous affirmer n�avoir jamais publi� de sondages erron�s pour circonvenir les �lecteurs de mani�re subliminale ? �Pour les lecteurs alg�riens, me permettez-vous la m�me question ? RC : Absurde, et franchement insultant! Je rappelle que je travaille d�ailleurs avec toutes les formations politiques fran�aises� MMC : Existe-t-il une �cole fran�aise sp�cifique en mati�re de sondages d�opinion ,je veux dire par rapport � la th�orie et � la pratique en usage dans le monde anglo-saxon ? RC : Les techniques de base sont les m�mes partout. Mais aux Etats-Unis, on r�alise les sondages d�opinion sur des �chantillons construits selon une m�thode al�atoire (c�est-�-dire fond�e sur le pur hasard), alors qu�en France, nous utilisons la m�thode des quotas (nous reproduisons en petit, dans nos �chantillons, les caract�ristiques connues de la soci�t� fran�aise). Nous avons eu la satisfaction, il y a quelques ann�es, d��tre rejoints par nos confr�res britanniques, jusque l� �pratiquants religieux� de l�al�atoire, mais qui avaient connu beaucoup de d�boires, et dont les sondages se sont nettement am�lior�s depuis qu�ils ont emprunt� nos techniques! Le d�bat continue! MMC : Vous dites : � c�est bien connu, les hommes politiques ne critiquent les sondages que lorsqu�ils les pr�sentent en baisse de popularit�. Ils ne sont pas d�accord avec le thermom�tre, alors ils le jettent plut�t que de lutter contre la fi�vre ! �. Vous n��tes, d�cid�ment, pas tendre pour les hommes politiques� RC : C�est pourtant l�exacte v�rit�. C�t� cour, les m�mes hommes politiques nous commandent des �tudes et se nourrissent de nos donn�es. C�t� jardin, ils font la moue, et vont jusqu�� dire �ne pas croire aux sondages�! MMC : Vous pr�conisez une judicieuse r�partition des t�ches avec les journalistes. Pour vous le travail ingrat, organiser les sondages d�opinion, aux journalistes, la t�che noble des analyses� RC : Les sondeurs n�ont pas � avoir la pr�tention d�interpr�ter leurs propres r�sultats. Il faut respecter la libert� de la presse. C�est aux journalistes de d�gager les le�ons qu�ils tirent de nos sondages. Mais �videmment, en retour, cela r�clame de la part de cette noble profession, beaucoup de rigueur et d�honn�tet�. Des qualit�s que les journalistes ont souvent. Mais enfin, il y a toujours des progr�s � faire! MMC : Avec votre comp�re St�phane ROZES, vous affirmez, dans une plaidoirie remarqu�e en faveur de la profession : � nous ne sommes pas des magiciens, nous sommes de simples chercheurs �.Vous voulez � d�diaboliser � votre profession ? RC : Mais oui! Nous ne sommes pas des sorciers! Nous sommes de simples manieurs de thermom�tres! C�est un travail technique, un peu obscur, important parce qu�il fait conna�tre les rapports de forces, mais qui n�a certes rien de magique! MMC : Toujours avec St�phane ROZES, vous clamez : � Le sondage fait partie de la panoplie de la d�mocratie (�) l�interdiction des sondages est l�un des signes des dictatures �. Dans la Russie actuelle aussi bien que dans certains pays arabes autoritaristes, les sondages d�opinion sont, pourtant, tol�r�s. Ne faut-il pas plut�t �voquer les conditions d�exercice de la profession ? RC : Dans les r�gimes proprement auto-cratiques, les sondages sont interdits. Dans les r�gimes d�mocratiques, les sondages sont banalis�s. Entre les deux, dans les r�gimes qui aspirent � la d�mocratie, ou dans les r�gimes pseudo-d�mocratiques, il peut exister de pseuo-sondages, �manant de pseudo-instituts. Il peut aussi, dans certains cas, exister des efforts courageux, de sondeurs authentiques, qui tentent de braver les conditions impossibles de travail que le r�gime leur r�serve. MMC : � Professionnellement, 2007 sera ma derni�re �lection pr�sidentielle �, dites-vous dans la presse. Vous annoncez votre retraite ? RC : J�ai d� dire cela un jour de fatigue! L��lection qui vient de se passer m�a plut�t donn� envie d��tre l� pour la prochaine � ou les deux ou trois prochaines! MMC : Comment �voqueriez vous votre exp�rience au Maroc o� CSA dispose d�une filiale ? RC : Le Maroc pr�sente cette double caract�ristique, qui permet l��mergence des instituts d��tude de march� et de sondages: en �conomie, l�apparition d�un v�ritable march� concurrentiel, et en politique le d�veloppement d�un processus de d�mocratisation. Tout peut �tre consid�r� comme fragile, mais, du point de vue du sondeur, l�exp�rience est positive. Avec nos partenaires de M�diam�trie, nous venons d�ailleurs de gagner un appel d�offres international, pour la mesure automatique des cha�nes de t�l�vision regard�es par les Marocains. MMC : Vous avez, � votre palmar�s, une prestation brillante, le sondage dit � sortie d�urnes � qui avait disqualifi� Augusto Pinochet lequel voulait se maintenir au pouvoir au Chili .Pouvez-vous �voquer cet �pisode ? RC : J�ai fait partie des gens qui, � partir de 1990, ont aid�, modestement, � relancer la pratique des sondages au Chili (alors interdits par la dictature). Songez que, pendant des ann�es, les Chiliens qui �coutaient une radio (Cooperativa) ont ainsi connu gr�ce aux sondages les r�sultats r�els potentiels d��lections � � un mob ment o� il n�y avait pas d��lections libres! MMC : Consid�rez vous que l�Alg�rie r�unit les conditions requises pour une pratique r�guli�re des sondages d�opinion ? RC : C�est aux Alg�riens d�en d�cider. Si des espaces d�mocratiques s��largissent, les sondages deviennent possibles, et franchement, ils deviennent alors indispensables. Et si les sondages se d�veloppent, ils contribuent � leur tour � �largir le processus d�mocratique, puisqu�ils font intervenir la voix des citoyens, ceux qu�on n�entend jamais. J�attends donc ardemment que l�Alg�rie se lance dans une pratique r�guli�re et pluraliste des sondages. Si par hasard, on a ici besoin d�un coup de main, vous le savez, mon cher Chafik, j�y suis pour ma part tout � fait pr�t !