Il y a quelques jours, un ami me rappelait que je rentrais dans ma 36e ann�e de journalisme et me demandait quelle le�on je tirais de cette longue pratique et si j��tais toujours motiv� en �crivant mes articles. Il me disait aussi que mes derniers �crits �taient ceux d�un �d�sabus� �� Je ne lui ai donn� aucune r�ponse, parce que je n�en avais pas tout simplement � ce moment pr�cis. Puis, en rentrant chez moi par cette belle corniche qui longe la Grande Bleue, je me suis arr�t� pour admirer le spectacle f�erique d�une mer � peine frip�e par une douce brise et l�, j�ai r�fl�chi : qui sommes-nous ? D�o� venons-nous ? O� en sommes-nous exactement ? O� allons-nous ? Questions cruciales, fondamentales, que nous ne nous posons pas souvent, pris que nous sommes par le tourbillon de la vie. Vite, vite ! Il faut toujours faire vite ! La vie moderne nous impose un rythme terriblement fou qui nous met toujours en situation de d�part. Et la distance parcourue la veille ou il y a dix ans ? Elle n�existe d�j� plus ! Qui s�en souvient ? Ce parcours, proche ou lointain, est englouti par la brume du pass�. Et nous sommes tellement press�s, trop pr�occup�s par l�acquisition de biens de toutes sortes, trop int�ress�s par les sous, trop tendus vers des objectifs bassement mat�riels que nous oublions de vivre l�instant pr�sent ! Peut-�tre que cet instant est porteur du vrai bonheur ? Sachons donc en jouir pleinement ! Mais non, nous sommes un boulet qui vient d�hier et qui va vers demain, incapable de s�arr�ter au pr�sent ! Car la vie n�est pas seulement exister pour disposer du maximum de richesses �ph�m�res ! La vie, c�est cette sensation de bonheur qui vient parfois d�un simple regard, du sourire matinal d�un soleil printanier, d�un geste qui fait rena�tre l�espoir, d�une fraternit� sinc�re, d�une amiti� � toute �preuve, d�un amour vrai. Chaque matin, lorsqu�il faut refaire le monde dans 24 pages, vous avez la certitude que vous �tes l�homme le plus riche du monde. En entamant une journ�e de travail dans un quotidien, vous allez tout simplement vivre une aventure palpitante qui va vous �loigner des pr�tentions humaines, des petites et grandes l�chet�s de vos semblables, de leurs arrogances et vilenies. Vous allez p�n�trer un monde � part o� les chefs d�Etat, aussi puissants soient-ils, deviennent de simples humains. Parce qu�il vous suffit de penser � la couverture de la mort de Boumediene ou de Boudiaf, de vous rappeler la page sp�ciale sur les obs�ques de Jamal Abdenacer ou de Mao Ts� Toung et tant d�autres leaders que l�on pensait immortels, pour relativiser votre vision du monde. Les hommes riches, les armateurs grecs, les grands patrons du p�trole, les acteurs d�Hollywood, les chefs de l�industrie spatiale, les �mirs � la t�te de fortunes colossales et m�me Bush, p�re et fils, ne r�sisteront pas au temps, cet oc�an sans fin qui emporte tous les hommes, sans s�attarder sur leur statut social ou leur compte en banque. C�est la premi�re grande le�on de ce m�tier : nul n�est �ternel. Cette certitude vous lib�re totalement, car elle vous donne � r�fl�chir sur l�attitude de vos semblables. Pourquoi ont-ils peur des chefs d�Etat et des puissants ? Pourquoi ont-ils peur de simples mortels ? Pourquoi se courbent-ils devant un roi ? Pourquoi sont-ils enclins � se baisser devant les signes de l�autorit� ou de la richesse ? Le citoyen, quelle que soit sa position, est tenu de respecter les lois du pays o� il vit ; il a des droits et des devoirs, pas plus ! Tout le reste est un h�ritage des tyrannies balay�es pourtant par le combat des hommes libres ! Et quand ce sont des peuples entiers qui perdent la boussole, devenant de simples esclaves d�un syst�me impos� par la force, quand les gens deviennent na�fs au point de penser qu�ils peuvent �tre sauv�s par un seul homme, cela conduit n�cessairement � toute sorte de d�rives� Le journalisme m�a appris � respecter ceux qui n�acceptent pas l�ordre �tabli s�ils pensent qu�il est injuste. La pratique de ce m�tier m�a appris � �tre toujours du c�t� de ceux qui luttent inlassablement pour que le monde soit plus juste, plus fraternel, plus libre. Les l�cheurs de bottes, les imb�ciles heureux qui vendent leurs �mes pour un bon compte en Suisse, les membres de l�association des malfaiteurs qui ne dorment pas bien depuis quelques semaines, les voleurs de parcelles de terrain, de logements et d�usines, ceux qui, pensant qu�ils sont intouchables, accomplissent des forfaits que l�on s�empresse d��touffer (o� en est l�affaire de la tentative d�assassinat d�un jeune au Clubs-des-Pins ? O� est l�affaire des corrompus par Khalifa ?), tout ce beau monde ne nous int�resse pas. Ce sont des d�chets qui finiront dans la poubelle de l�histoire et, � ce titre, ils ne sont cit�s que pour rappeler � ceux qui nous lisent que le crime ne paie pas, que les bandits finissent toujours derri�re les barreaux et qu�il ne faut jamais avoir peur de leur dire les quatre v�rit�s en face ! L�histoire finit toujours par nous rattraper, car ce m�tier a le m�rite de mettre les visages � nu, tous les visages ! Les masques ne servent � rien ! O� sont les petits rats qui tiraient � boulets rouges sur les arouch, d�nonc�s � longueur de colonnes par des plumitifs accroch�s aux jupes de leurs sponsors ? O� sont-ils ceux qui ont os� souiller un mouvement citoyen sorti des entrailles de ce peuple pour crier fort et d�noncer les d�rives d�un syst�me injuste ! Ils se terrent dans leurs trous ! Tant pis, cela ne changera rien � la roue de l�histoire qui avance toujours dans le bon sens. Nous n�avons pas attendu l�accord avec le gouvernement et la b�n�diction du pouvoir pour dire que les arouch avaient raison, qu�ils symbolisaient l�espoir de tout un peuple et qu�ils devaient �tre soutenus par tous les patriotes de ce pays ! Et s�ils en viennent aujourd�hui � juger qu�il faut arr�ter les hostilit�s et aller aux n�gociations pour faire aboutir leurs revendications, nul n�a le droit de douter de leur sinc�rit�, et surtout pas les fut�s de l�arri�re-boutique de la politique ! D�s le premier jour, au dernier souffle de Massinissa Guermah � cet h�ros que nous ne glorifions pas assez ! � nous avons �t� avec ces arouch ; et ce n�est pas aujourd�hui que nous allons changer de veste ! Allez-y mes amis, allez-y pour le bonheur et la prosp�rit� de notre ch�re Kabylie ! Cet �pisode m�am�ne tout naturellement � �voquer l�une des marques maison de pas mal de journalistes et de journaux. C�est cette tendance qu�ont beaucoup de changer de veste, pour un oui, pour un non ! Incroyable, mais vrai ! D�anciens marxistes-l�ninistes qui nous traitaient de petits bourgeois sont devenus des adeptes de ce capitalisme qu�ils tra�naient dans la boue dans leurs �crits ! Pire, ils attendent avec impatience l��mergence de ce n�olib�ralisme qui va enterrer les derniers acquis du boumedi�nisme, pour placer leurs pions et chaparder quelques biens� L�argent a pourri la presse, il l�a �loign�e de ses nobles objectifs en la transformant en machine � gagner des sous ! Vite, vite ! Plus de pages publicitaires ! Vite, il faut gonfler � l�infini les tarifs des placards ! Plus d�argent, c�est bien. Mais quand cela vous �loigne de la majorit� de ce peuple qui croupit dans la mis�re et vous rapproche des milieux ais�s � pas tous exempts de reproches �, il y a risque de changer m�me votre mani�re de penser et d��crire� 35 ann�es de journalisme m�ont appris � conna�tre les gens. Rares sont ceux qui valent le coup d��tre fr�quent�s, car rares sont ceux qui resteront � vos c�t�s dans les moments durs ! Comme au premier jour, je suis pour le socialisme, m�me si cette id�e est d�mod�e. Parce que, dans ce syst�me, les pauvres, les ouvriers sans grade, les malades issus de milieux d�munis, n�ont besoin de la piti� de personne ! L�Etat doit leur garantir le minimum vital, un travail digne, un logement d�cent et des soins gratuits, �bla mzya !�. Et ce n�est pas une id�e politique ou partisane, c�est ce que doit faire l�Alg�rie issue de la R�volution de Novembre, la vraie, l�authentique, n�e du r�ve de millions de martyrs ! L�Alg�rie des capitalistes n��tait pas pr�vue au programme parce que, risquant de ressembler � celle des colons et de l�exploitation de l�homme, elle n�aurait pas m�rit� tous ces sacrifices ! Mais je sais que t�t ou tard, lorsque la cohorte des milliards d�exclus sera bien longue, grossie par l�injustice, l�in�galit� et le m�pris, un nouveau vent lib�rateur fera lever les t�tes� Quelque part au-dessus des buildings et des usines, plus haut que les petits projets cupides des nouveaux riches, au-dessus des nuages qui s�accumulent, un soleil jeune fera na�tre l�espoir dans le c�ur de ces milliards d�individus. Le socialisme, en tant que tel, est peut-�tre p�rim�, mais ce r�ve tout nouveau n�en sera pas tellement diff�rent puisqu�il dira aux hommes : le bonheur individuel n�a aucun sens s�il s�isole au milieu des malheurs collectifs ! Et �a red�marrera, au nez et � la barbe de Bush, des multinationales et de ses consuls r�gionaux ! Voil� la principale le�on de ces 35 ann�es de journalisme. Nul ne pourra emp�cher le r�ve de red�marrer. Il n�a besoin de rien. Son moteur est l�injustice� Et ce n�est pas ce qui manque�