C'est quand ils le veulent le moins qu'il arrive � la v�rit� de sortir, par miracle, de la bouche des avocats. C'est, dit-on, le syndrome bienheureux de l'inadvertance : le virtuose du verbe, emport� par une tenace obsession politicienne, rate son num�ro et se surprend � plaider pour une bonne cause dont il est g�n�ralement le premier �tonn�. C'est ainsi que les quatre avocats qui ont fait l'actualit� en Alg�rie cette semaine � Nicolas Sarkozy, l'Am�ricaine Frances Frago Townsend, le professeur Issad et la s�natrice Zohra Drif � ont tous convenu, sans trop le vouloir, de donner raison aux opposants alg�riens en dressant un implacable jugement commun : la faillite de la politique du r�gime de Bouteflika. Le diagnostic est pour le moins malvenu pour un homme qui compte sur son bilan pour remporter un troisi�me mandat, ce qui prouve bien que le revers en politique, comme les ennuis de sant�, ne s'annoncent qu'aux plus mauvais moments. Aucun de ces quatre juristes promus � l'exercice d�licat de la politique n'avait pourtant nourri le dessein de d�signer les banqueroutes alg�riennes. Les deux premiers par �gard � cette incontournable r�gle �thique de la diplomatie qui dicte de ne jamais incommoder son h�te, voulaient juste d�fendre les int�r�ts de leurs pays respectifs, la France et l'Am�rique. Mais ils l'ont fait avec une telle passion et une si franche r�solution, que leur plaidoyer s'est transform� en un inattendu r�quisitoire contre les inerties alg�riennes. Ainsi, en refusant, sur un ton cavalier, la repentance de la France pour ses crimes coloniaux et en rejetant de fa�on d�sinvolte le trait� d'amiti� caress� par le pouvoir alg�rien, Nicolas Sarkozy a signifi� � Bouteflika son plus frappant insucc�s apr�s huit ans de r�gne : l'Alg�rie reste un pays sans grand cr�dit international. Un pays qu'on peut �conduire publiquement, un pays qui a cru � tort �tre �ligible au rang des grands interlocuteurs mondiaux et que le pr�sident fran�ais, avec un curieux accent pied-noir dont il serait int�ressant de savoir s'il n'est que fortuit, a renvoy� � ses obligations de nation sous-d�velopp�e qui a plus besoin d'une assistance �conomique que d'un trait� d'amiti�. On se f�licitera un jour peut-�tre de ce que la pugnacit� verbale d'un avocat fran�ais devenu chef de l'Etat ait si salutairement d�mystifi� les sortil�ges ravageurs de la mythomanie bouteflikienne. Un pays qui se r�sout au r�gne de Tartarin finira, t�t ou tard, par r�aliser qu'il n'a gu�re d�pass� l'envergure de Tarascon. Quant au mauvais point am�ricain ass�n� placidement � l'Alg�rie par Mme Frances Frago Townsend, conseill�re r�put�e de George W. Bush pour la s�curit� int�rieure et la lutte antiterroriste, il se r�sume en un double d�saveu am�ricain qui devrait faire rougir nos dirigeants : Washington porte un jugement n�gatif sur l'action antiterroriste en Alg�rie et reste sceptique sur la capacit� alg�rienne � contrer Al-Qaida ; Washington n'accorde aucun cr�dit � la politique de � r�conciliation nationale � du pr�sident Bouteflika. Tout cela est bien s�r dit dans un style tr�s british, mais le message est limpide : tr�s attach�s aux pr�cautions essentielles pour leur s�curit� et celle de leurs alli�s, les Etats-Unis sont pr�occup�s par l�implantation d�Al-Qa�da dans la r�gion du Sahel dont ils pensent qu'elle a �t� favoris�e, entre autres, par l'incomp�tence alg�rienne et dont ils disent qu'elle d�passe les potentialit�s militaires alg�riennes, voire r�gionales. Au point de vouloir �faire le boulot� euxm�mes dans le cadre du fameux Africom (Centre de commandement militaire pour l�Afrique). Et lorsque Washington conditionne l'extradition de sept des 25 Alg�riens d�tenus � Guantanamo � la garantie qu�ils ne retourneront pas � l�action terroriste, c'est une fa�on tr�s diplomatique de vilipender le laxisme alg�rien dict� par la �r�conciliation nationale� et de sousentendre qu'une bonne partie des islamistes lib�r�s en f�vrier 2006 sont �retourn�s � l�action terroriste�. A par �a, vous reprendrez bien un biscuit, n'est-il pas ? Deux autres avocats, du cru ceux-l�, ont particip� cette semaine � l'inventaire peu glorieux du patrimoine politique bouteflikien. On apprend avec Mohand Issad que le r�gime alg�rien a besoin de mentir pour exister et de museler la justice pour se reproduire. Le professeur, qui parle de blocage politique du rapport sur la �r�forme de la justice� et qui accuse le chef de l'Etat d'en �tre en partie responsable, en para�t cependant assez d�pit�. Je vois deux raisons � cette grande amertume. La premi�re rel�ve de la morale de l'histoire : l'�m�rite juriste r�alise, un peu tard, que les r�formes d�mocratiques ne sont pas une question de rapport �crit, mais de volont� politique, donc de nature du r�gime. La seconde me semble plus forte, car plus intime : le professeur s'en veut d'avoir aid� Tartarin � s�duire Tarascon. Que notre avocat se rassure : le travers est plut�t fr�quent et fait partie de ce que les philosophes appellent la praxis en construction d�mocratique. Le tout est d'en tirer une forte conclusion. Ce que, professeur, vous avez dit si bien formul�, � votre fa�on... Zohra Drif ? Elle va plus loin dans le r�quisitoire contre le pouvoir : �Le peuple ne croit plus en vos institutions, en votre politique�En plus des difficult�s de la vie quotidienne, il fait face � la violence, au gaspillage flagrant des deniers publics, � l�absence de gestion, au vol et � la corruption...�. Ce qui m'avait frapp� c'est que ces mots venaient de la vice-pr�sidente du S�nat ! Personne n'a cru pourtant � la sinc�rit� de ces propos foudroyants comme si, pour une moudjahida plus que pour une citoyenne sans titre de gloire, la moindre faiblesse envers le r�gime devient un p�ch� d�finitivement impardonnable. La chose est tellement �tablie dans l'esprit populaire que ma chronique �La derni�re bombe de Zohra Drif� m'a valu d'�tre condamn� par tous, y compris par mes amis, pour d�lit d'ing�nuit�. La s�natrice s'adonnerait � une parodie au profit de Bouteflika et mise en sc�ne � partir d'El- Mouradia. Est-ce si s�r ? Je reste pour ma part persuad� d'un �seuil de l'all�geance � comme on parlerait d'un seuil d'incomp�tence, une limite au-del� de laquelle la raison finit par l'emporter, la raison ou l'histoire, la m�moire ou le regard de l'absent... Tout homme a droit � son aggiornamento moral. Ce n'est pas le cas de Mme Drif ? Attendons pour voir... L'Union m�diterran�enne : union des dictatures ? L'id�e m'est venue d'une phrase de Nicolas Sarkozy : �En Tunisie, je ne m'interdirai pas de parler de droits de l'homme et de libert�s� Pourquoi seulement en Tunisie ? L'Alg�rie o� les manifestations sont interdites et o� la presse et les syndicalistes sont harcel�s chaque jour par une justice aux ordres serait-elle un mod�le de d�mocratie ? Voil� du grain � moudre pour les tenants de la th�se �P�trole contre d�mocratie�. La question des libert�s au Maghreb souffre d'un manque de lucidit� de la part de la France officielle. Je n'utiliserai pas les mots sans appel de la Tunisienne Souhayd Belhassen, pr�sidente de la F�d�ration internationale des droits de l'homme (FIDH), qui disait hier que �la France, comme d'autres pays europ�ens, est sur ce point d'une l�chet� au-dessus de la moyenne internationale �. Je me contenterai de noter que l'analyse chiraquienne qui consiste � relativiser le d�sastre totalitaire maghr�bin sur les populations au motif que ces derni�res ont �davantage besoin de pain que de libert�s�, si elle venait � �tre reprise par Sarkozy, serait le plus s�r moyen de saborder le projet d'Union m�diterran�enne et d'en faire une �union des dictateurs.� Cela voudrait dire, en effet, que le d�bat sur Union m�diterran�enne, men� dans le raccourci, ignorerait l'�volution totalitaire des r�gimes arabes m�diterran�ens. Il reposerait alors sur un malentendu historique : le monde tend vers plus de libert�s, les r�gimes arabes m�diterran�ens vers des �joumloukias�, ces �r�publiques-monarchies� qui reposent sur le pouvoir absolu et l'�limination de tout contre-pouvoir. �Cela vous regarde, c'est de vos libert�s qu'il s'agit, cela n'emp�che pas de travailler avec des r�gimes autoritaires� nous r�pliquera-t-on. Pourtant non. Cela ne regarde plus que nous. Cela regarde d'abord la France et l'Europe : une Union m�diterran�enne qui se confondrait avec une �union des dictateurs� signifierait que les deux buts de Union m�diterran�enne � stabiliser les populations et r�gler le cas de la Turquie � seraient rat�s. On �migre en Europe, au Canada ou en Am�rique en qu�te de libert�, pas seulement, ou pas du tout, �de pain�. Il y a une vraie demande d�mocratique dans nos soci�t�s. Tant qu'elle persiste et ne sera pas satisfaite localement, l'�migration se poursuivra. Que cherchent les jeunes ? S'exprimer en toute libert�, jouir du monde moderne. Chim�res interdites en Tunisie, en Egypte, en Syrie, en Libye o� internet est sous surveillance, les manifestations et la presse libre interdites, et o� les emprisonnements d'intellectuels sont monnaie courante. En Alg�rie, les regroupements et les manifestations restent interdits, la cr�ation des associations est impossible, le monopole s'exerce sur les m�dias, l'islamisation de la soci�t� voulue par les pouvoirs est en marche (chasse aux couples...), les initiatives et la libert� d'entreprise sont bloqu�es par la corruption des administrations... C'est en Europe que l'Alg�rien ira chercher la libert� qui lui manque chez lui. Quant � la Turquie, ce qu'elle cherche dans l'Union europ�enne, c'est un espace de libert� pour asseoir les acquis de la�cit� et de libert� d'entreprise. Une Union m�diterran�enne qui se confondrait avec une �union des dictateurs� serait pour elle, plut�t qu'un substitut acceptable, une structure qui la ferait reculer dans le temps. Que faire ? Placer la question d�mocratique au c�ur du d�bat sur l'immigration et sur l�Union m�diterran�enne. Envisager le d�bat sur l'immigration et sur l�Union m�diterran�enne en relation avec l'�volution totalitaire des r�gimes arabes m�diterran�ens pourvoyeurs d'immigration. Aider les soci�t�s du Maghreb et du monde arabe � se d�mocratiser. En finir avec les raccourcis. M. B.