Ces derni�res semaines en France, le conflit autour des r�gimes sp�ciaux a relanc� le d�bat sur l'avenir des retraites. Pr�sent�es au nom de l'�quit�, les mesures du gouvernement fran�ais visent � appliquer aux salari�s des r�gimes sp�ciaux celles prises contre les salari�s du priv� et contre les fonctionnaires, comme si une injustice pouvait �tre supprim�e en la g�n�ralisant. Ces mesures ont d'abord aggrav� les in�galit�s pour toutes les personnes aux carri�res heurt�es. Les femmes, qui ont d�j� des pensions en moyenne inf�rieures de 40% aux hommes, sont particuli�rement touch�es par l'allongement de la dur�e de cotisation et par les effets tr�s p�nalisants de la d�cote. En effet, � ce jour, seulement 39% des femmes retrait�es ont pu valider 37,5 ans contre 85% des hommes. Sont touch�s d'une mani�re g�n�rale les ch�meurs, pr�caires, petits boulots, temps partiels et les jeunes g�n�rations qui d�butent plus tard dans la vie active. Depuis 1994, pour les salari�s du secteur priv�, ces mesures entra�nent, selon le Conseil de l'emploi, des revenus et de la coh�sion sociale (CERC), une baisse du pouvoir d'achat de la retraite du r�gime g�n�ral de 0,3 % par an et de 0,6 % par an de la retraite compl�mentaire, celui de la retraite des fonctionnaires baissant de 0,5% par an. Ces baisses devraient se poursuivre dans le futur et le d�crochage par rapport aux salaires s'accentuer. Ainsi, entre 2003 et 2030, le salaire r�el moyen devrait progresser de 56% contre 9% pour les retraites du secteur priv�. Devons-nous consid�rer ces �volutions comme in�vitables face aux �volutions d�mographiques ? Il est ind�niable que le nombre de retrait�s va augmenter de fa�on importante ces prochaines ann�es. La question pr�alable, que le gouvernement se garde bien de poser, est la suivante : s'il doit y avoir plus de retrait�s, ce que personne ne conteste, faut-il, oui ou non, leur consacrer une part plus importante du revenu national ? Le catastrophisme n'est pas de rigueur La part des retraites est aujourd'hui de 12,5 % du PIB. Si nous voulons maintenir le niveau des pensions par rapport aux salaires, elle devrait passer, selon le rapport du Conseil d'orientation des retraites (COR) de 2001, � 18,5 %. Doit-on partir du postulat qu'une telle augmentation n'est pas supportable par l'�conomie fran�aise ? Pourtant la part des retraites a augment� de plus de 7 points de PIB depuis 1950, sans provoquer de cataclysme. Il s'agit donc de poursuivre dans l'avenir un effort similaire � ce qui a �t� fait ces derni�res d�cennies. Le COR note d'ailleurs le faible impact financier, estim� � 0,3 point de PIB, d'un retour aux 37,5 annuit�s pour le secteur priv�. Pour couvrir cette �volution, il faudrait, toujours selon le m�me rapport, dans le pire des cas, une augmentation de 15 points du taux de cotisation � l'horizon 2040, soit 0,37 point par an. Il est difficile de croire qu'une telle augmentation pourrait mettre toute l'�conomie � terre. De plus, comme le note le rapport de janvier 2007 du COR, qui s'appuie sur les derni�res projections de l'INSEE, les perspectives d�mographiques se sont notablement am�lior�es depuis les pr�c�dentes estimations. Les besoins de financement en seront donc diminu�s d'autant. On le voit, le catastrophisme n'est pas de rigueur. En tout �tat de cause, aucun nouvel allongement de la dur�e de cotisation ne peut se justifier. Le r�cent rapport du COR de novembre 2007 indique que le besoin de financement suppl�mentaire des retraites, avec la r�glementation actuelle, ne serait que de 1 point de PIB en 2020, c'est-�-dire moins que la marge d'erreur des projections �conomiques sur la p�riode, et seulement de 1,7 point � l'horizon 2050 ! Pourtant le gouvernement a annonc� son intention d'augmenter encore en 2008 la dur�e de cotisation pour tous les salari�s, du priv� comme du public, le Medef proposant carr�ment de la porter � 45 ans. Une vision catastrophique est d'autant moins fond�e qu'un r��quilibrage du partage de la valeur ajout�e, la richesse cr��e dans les entreprises, est tout � fait envisageable. Il n'est pas acceptable de consid�rer comme p�renne la baisse tr�s importante de la part des salaires ayant eu lieu ces derni�res ann�es (pr�s de huit points), alors que, dans le m�me temps, la productivit� du travail a continu� de cro�tre fortement (plus de 50 % en vingt ans). Un tel r��quilibrage de la part des salaires, qu'une augmentation des cotisations patronales peut amorcer, aurait d'ailleurs des effets neutres sur la comp�titivit� des entreprises s'il �tait compens� par une baisse des dividendes vers�s aux actionnaires. Risque de rupture du contrat entre g�n�rations On le voit, des solutions existent, mais le gouvernement refuse m�me de les envisager. Ne restent plus alors que des mesures hypocrites et dangereuses, comme l'augmentation de la dur�e de cotisation. Hypocrite, car, au vu de l'�tat du march� du travail, il sera de plus en plus difficile de cumuler les annuit�s requises pour avoir une pension � taux plein. Les entreprises se d�barrassent de leurs salari�s bien avant 60 ans (6 salari�s sur 10 sont hors emploi au moment de liquider leur retraite), les jeunes entrent de plus en plus tard dans la vie active et de nombreux salari�s, dont une majorit� de femmes, ont des carri�res discontinues et n'arrivent d�j� pas � r�unir le nombre d'annuit�s demand�. L'augmentation de la dur�e de cotisation se traduira donc en pratique par une retraite r�duite pour le plus grand nombre. Seuls ceux qui en auront les moyens pourront, � leurs risques et p�rils, se tourner, avec des assurances priv�es, vers la capitalisation, augmentant ainsi l'iniquit� au lieu de la r�duire. Dangereuse, car elle reviendrait � rompre le contrat entre g�n�rations. Si les actifs paient les pensions des retrait�s, en contrepartie, les salari�s �g�s laissent leur place sur le march� du travail aux nouvelles g�n�rations. Cette exigence est d'autant plus forte que le ch�mage de masse perdure. D�caler l'�ge de d�part � la retraite revient � pr�f�rer entretenir le ch�mage des jeunes plut�t que de payer des retraites. C'est dire que la lutte des salari�s des r�gimes sp�ciaux renvoie � des probl�mes fondamentaux. Ils refusent la perspective d'un alignement sans fin vers le bas de la protection sociale. Butte t�moin d'une �poque o� le mot r�forme �tait synonyme de progr�s social, ils sont vou�s � la vindicte et � la hargne de ceux qui consid�rent que hors du CAC 40, point de salut. Ils refusent la logique en trompe-l'oeil du �travailler plus� alors m�me que les conditions de travail dans les entreprises se d�t�riorent sans cesse et que la souffrance au travail se d�veloppe avec l'apparition de nouvelles pathologies. Bref, ils portent un combat porteur d'avenir qui pose la question de la place du salariat dans son rapport au capital et � la logique du profit.