Jugurtha, n� vers 155 avant J.-C., mort le 1er janvier 104, �tait le petit-fils de Massinissa, le fils du prince Mastanabal. Sa m�re �tant une concubine, femme libre ou esclave, il n'avait aucun droit � la succession. A la mort de son p�re (il avait une dizaine d'ann�es), il fut recueilli par son oncle Micipsa, qui le fit venir � sa cour (� Cirta) et le traita comme ses propres enfants, Adherbal et Hiempsal. A l'adolescence, il laissait pressentir ses talents de guerrier et de meneur d'hommes. Il �tait tr�s aim� des Numides, qui voyaient en lui la r�incarnation de Massinissa. Ce qui ne manqua pas d'inqui�ter Micipsa. Il redoutait qu'apr�s sa mort, son brillant neveu n'�limine ses cousins pour s'emparer du pouvoir. Pour se d�barrasser de lui, il l'envoya � la guerre de Numance (en Espagne), esp�rant fermement qu'il s'y ferait tuer. Jugurtha rejoignit l'arm�e romaine avec un contingent de cavaliers et d'�l�phants. Il rendit d'immenses services au g�n�ral Scipion Emilien, qui, pour le r�compenser, intervint en sa faveur aupr�s de Micipsa. Celui-ci adopta imm�diatement son neveu et avant sa mort, l'institua h�ritier au m�me titre que ses deux fils. D�sormais, la route du pouvoir s'ouvrait pour Jugurtha, alors que sa naissance l'en avait �cart�. Apr�s la mort de Micipsa (118 av. J.-C.), un conflit opposa les trois rois : il s'ensuivit des guerres, des assassinats, des appels au S�nat romain. Apr�s bien des p�rip�ties, Rome fut oblig�e d'intervenir militairement. Gr�ce � ses qualit�s de strat�ge, de guerrier et de diplomate, Jugurtha r�sista pendant sept ans � la puissante arm�e romaine. Malgr� plusieurs d�faites et l'�puisement de ses forces, il refusa de capituler (raison pour laquelle il est devenu une grande figure de r�sistance). Pour mettre fin � la guerre, ses adversaires eurent recours � la trahison. Pour votre premier essai biographique, pourquoi avoir choisi ce personnage ? Difficile de r�pondre car les v�ritables raisons d'un choix nous �chappent en g�n�ral. Je vais essayer. Premi�re explication : mon go�t pour l'histoire en g�n�ral et plus particuli�rement celle de l'Afrique du Nord. Pourquoi ? Parce qu'elle ne nous a jamais �t� enseign�e (� l'�cole fran�aise). J'ai d� combler une partie de cette �norme lacune par moi-m�me, chose facile pour la p�riode r�cente, car il existe de nombreux livres de qualit�, mais pour les �poques recul�es (des d�buts de l'histoire jusqu'� la conqu�te arabe), il n'y a pas d'ouvrages de vulgarisation. Deuxi�me explication : outre la curiosit� intellectuelle, j'ai toujours ressenti un profond besoin de conna�tre mes origines : j'ai pass� des ann�es � �tablir l'arbre g�n�alogique et l'histoire de mes ascendants paternels (pour mes anc�tres maternels, j'ai abandonn� mes recherches pour des questions de s�curit�). Qu�te passionnante qui s'est �largie aux dimensions d'un pays ou plut�t des pays du Maghreb. Ma recherche a port� (et continue � porter) sur les d�buts de l'histoire, mais ce projet s'est impos� � moi au terme d'un cheminement obscur et long. Je suivais, dans une universit� parisienne, des cours d'histoire et de litt�rature grecque et romaine. Une ann�e, �La Guerre de Jugurtha� de Salluste fut mise au programme. Je l'ai choisie sans h�sitation, parmi tant d'autres questions et, un an plus tard, je me suis mise au travail. J'ai pu ainsi d�couvrir de mani�re pr�cise non seulement une grande figure de notre histoire, mais tout un pan de notre pass� (histoire, culture, �conomie de la Berb�rie ind�pendante). Connaissance qui m'a enrichie et donn� le sentiment de me r�approprier un bien pr�cieux �un tr�sor inali�nable et pourtant ali�n� comme disait Kateb de la langue (je le cite de m�moire). Vous �tes la premi�re auteure � avoir �crit une biographie de Jugurtha. Pourquoi cette d�fection des �crivains � son �gard ? La guerre de Rome contre Jugurtha a �t� �tudi�e par des sp�cialistes de l'histoire romaine et de l'Afrique du Nord antique ; leurs publications s'adressent � des sp�cialistes comme eux, non au grand public. Toujours est-il qu'aucun n'a song� � en tirer un ouvrage de vulgarisation. Quelles difficult�s rencontre-t-on lorsqu'on entreprend des recherches sur l'histoire ancienne ? La raret� des sources �crites, r�duites � des textes courts ou des fragments, entra�ne souvent d�ception et frustration. Heureusement, elles sont partiellement compl�t�es par l'arch�ologie, l'�pigraphie, la numismatique. Pour le reste, tous les chercheurs butent contre des difficult�s de toute sorte, connaissent le doute et le d�couragement : il serait trop long et inutile d'entrer dans le d�tail. Pour la biographie de Jugurtha, nous disposons certes de l'�uvre de Salluste ; mais c'est un Romain qui s'adresse � des Romains, raison pour laquelle il consacre une bonne partie du livre aux luttes de factions � Rome, aux portraits et aux discours d'hommes politiques romains, � des digressions (sur le peuplement l�gendaire de la Berb�rie, par exemple). La part accord�e � Jugurtha se r�duit d'autant. Autre inconv�nient : pour des �v�nements importants, ou bien, il les passe sous silence ou il se contente d'une rapide allusion. Il passe aussi sous silence des r�alit�s que ses lecteurs connaissaient bien (les formalit�s de d�claration de guerre, de capitulation, le passage sous le joug, la c�r�monie du triomphe, etc.) Je me suis efforc�e de combler ces lacunes, gr�ce � la documentation disponible, ce que je signale chaque fois au lecteur. Souvent, cela n'a pas �t� possible. Le plus dur a �t� de transformer le r�sultat des recherches en un livre accessible � un assez large public. Tout en r�digeant, je dialoguais avec un lecteur fictif (et exigeant) pour conna�tre ses r�actions : s'il ne comprenait pas, il demandait des explications, des d�tails suppl�mentaires ou bien des simplifications, des suppressions. A la fin, il a paru satisfait, mais il a ajout� : �Le texte est clair, pr�cis, mais demande un effort.� J'ai r�pondu : �Je l'esp�re bien : Jugurtha, cela se m�rite.� La raret� des sources est-elle pour vous un inconv�nient ou, au contraire, vous autorise-t-elle une certaine libert� de cr�ation ? C'est une biographie historique et non une �uvre de fiction. J'explique ma d�marche dans l'Avis au lecteur qui figure dans l'�dition alg�rienne (non dans l'�dition fran�aise). Le voici dans son int�gralit�. �Qui ne conna�t le nom de Jugurtha et le symbole dont il est porteur, celui de la r�sistance � l�invasion �trang�re ? Cette figure l�gendaire a inspir� au coll�gien Rimbaud un po�me en latin, qui remporta le prix du concours organis� par l�Acad�mie de Douai (2 juillet 1869), � Jean Amrouche son c�l�bre essai L�Eternel Jugurtha. Bourguiba aimait dire qu�il �tait lui-m�me un Jugurtha, mais un Jugurtha qui a r�ussi. Mais qu�en estil du Jugurtha r�el, du personnage historique ? Il reste tr�s mal connu, un �h�ros sans visage� (Serge Lancel), faute d�avoir fait l�objet d�un enseignement ou d�une publication. Ce livre n�est pas un roman, mais une biographie � la premi�re � de Jugurtha, destin�e � faire conna�tre cette grande figure dans sa dimension historique. Pour pouvoir �tablir les faits avec toute la rigueur n�cessaire, nous avons exploit�, en les soumettant � un examen critique, toutes les sources anciennes latines et grecques (essentiellement Salluste, puis Plutarque, Tite-Live, et des fragments d�historiens latins et grecs), la bibliographie concernant notre sujet, ainsi que des inscriptions et des monnaies. Le pr�sent ouvrage contient une chronologie du r�gne de Jugurtha, une carte de la Berb�rie, la liste des principaux personnages et un chapitre La Berb�rie et Rome au temps de Jugurtha, qui retrace le contexte g�ographique, historique et culturel de la guerre de Jugurtha. A partir du chapitre II et jusqu�� la fin, le lecteur d�couvrira ce que l�histoire nous apprend de Jugurtha, guerrier, roi et r�sistant. Personnage fascinant, mais aussi humain avec ses immenses qualit�s et ses grandes faiblesses.� Pourquoi les militants de la cause berb�re se sont-ils r�appropri� Jugurtha, de pr�f�rence � d'autres grandes figures de l'histoire numide ? Jugurtha, au lieu de Syphax et de Massinissa, tant�t adversaires, tant�t alli�s des Romains, au lieu de Tacfarinas bien moins connu, est devenu le symbole de la r�sistance � la domination �trang�re. L'on savait qu'il avait men� une longue lutte contre la grande puissance qu'�tait Rome � cette �poque et qu'il l'a pay� de sa vie. Les Numides l'ont pay� tr�s cher, aussi. Il incarne l'esprit de r�sistance et cela seulement. Ce n'est plus un �tre de chair et de sang, c'est une grande id�e. Le personnage historique s'est dissous dans le personnage de l�gende. Il a �t� revendiqu� d'abord par des nationalistes alg�riens, par Habib Bourguiba �le combattant supr�me� pour la lib�ration de son pays et par les militants de la cause berb�re qui luttent pour �la d�fense et illustration� de la langue et de la culture berb�res. Propos recueillis par Meriem Nour Bibliographie Haouaria Kadra-Hadjadji est professeur d�universit� et �crivaine alg�rienne. Elle a publi� de nombreux ouvrages, essentiellement sur la litt�rature ou les �crivains mais aussi un roman en 1989 Oumelkheir, roman, �d. Enal (Alger). Elle a publi� aussi L�Arabe moderne � travers les textes litt�raires Avec H. Hadjadji, �d. Enal Alger 1986 Contestation et r�volte dans l��uvre de Driss Chra�bi �d. Publisud (Paris) �Enal (Alger) L�Arabe technique, avec H. Hadjadji, �d. Publisud/Paris - OPU/Alger ; OPU/Alger, 2e �d.1988 M�thode d�arabe moderne avec H. Hadjadji �d. F. Nathan/Paris- OPU/Alger 2e �d. OPU-Enal, Alger (1984) 3e �d. revue et corrig�e, Paris, Ibis- Press (2004) 1979 Le Pass� simple de Driss Chra�bi, �uvres et critiques, IV, 2, Paris (repris dans la revue Universit�, n� 15, Alger) 1978 Le Chien du m�decin, 4e concours de la Nouvelle, Cosmos (Canada)