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LETTRE OUVERTE DE JEAN-PIERRE LLEDO � AZIZ MOUATS
(En r�ponse � son point de vue publi� dans Le Soir d'Alg�rie du 31 janvier 2008) Une v�rit� qui fait mal est pr�f�rable � un mensonge qui r�jouit*
Publié dans Le Soir d'Algérie le 21 - 02 - 2008

�Pour comprendre ce qui nous arrive aujourd�hui, il faut relire de fa�on critique l�histoire et ce que nous avons fait hier.�
Mohamed Harbi. (Colloque Oran, 31 janvier 2008)
Mon cher Aziz,
Voil� une semaine que je remets au lendemain ma r�ponse � ton texte fleuve. Pour que ma col�re, puis ma tristesse s�amenuisent ? Pour comprendre ce qui a bien pu te pousser � �crire publiquement le contraire de ce que tu me disais jusque-l� ? Ou tout simplement pour faire le deuil d�une amiti� qui r�siste ? T�aurais-je m�me r�pondu si, au milieu de ce bel �change spontan� entre Benchicou (�Comment l�auteur a-t-il pu convaincre ses �acteurs� de se pr�ter � un tel simulacre ? En leur cachant qu�ils allaient prendre part � une apologie d�guis�e du colonialisme.�) et la ministre de la Culture (�Nous visionnerons ce film de trois heures en pr�sence de personnes interview�es et d�acteurs de la R�volution�), ton texte ne s��tait intercal�, sans doute par un sacr� hasard, o� toi, le premier des trois personnages principaux du film, venais justement accuser l�auteur d�avoir �trahi le contrat moral qui le liait aux t�moins � et de n�avoir retenu que les passages qui le confortent �� ?! Tu te prononces certes sans �quivoque pour la diffusion de ce film. Et tu vas m�me jusqu�� reconna�tre que �le film a le m�rite de raviver notre histoire r�cente� et de porter sur la place publique un d�bat autour des pr�jug�s, voire des tabous jusque-l� �lud�s�� Mais que valent ces �mollients apr�s de telles accusations ? Huit mois pour m�ass�ner cela ! Par la presse nationale ! Est-ce cela que l�on attend de l�ami que tu te revendiques �tre et � qui le DVD du film a �t� remis le 15 juin 2007, jour de l�annulation de l�avant-premi�re � Oran ? Quand dis-tu vrai ? Aujourd�hui, en �crivant que le montage du film ne correspond pas au tournage ? Ou en juillet, quand �apr�s visionnage du film en famille� tu m��crivais par mail �En ce qui concerne la partie Skikda, hormis quelques d�tails d'importance, le reste est � peu de choses pr�s conforme � l'id�e que je m'en faisais durant le tournage. Mais ceci me concerne personnellement �� ? En d�cembre, lorsque croyant comme moi que la projection du Cin�-Club Chrysalide, du 11 janvier dernier � Alger serait autoris�e, tu me souhaitais �amiti�s et surtout bonne chance pour le film le 11 � Alger, �a sera tellement important pour l'histoire.� ? Ou aujourd�hui quand tu confortes, malgr� toi, je l�esp�re encore, une censure qui commence � balbutier son nom ? Examinons donc tes graves accusations. Mais avant, puis-je te prier de ne parler que pour toi-m�me ? Car comme je te l�avais d�j� dit, les personnages principaux qui ont vu le film ont tous d�clar� publiquement qu�il ne les avait pas trahis.
Notre contrat moral
Pr�cisons d�abord pour le profane, que pour un cin�aste documentariste qui peut tourner 20 ou 30 fois plus que ce qui est retenu au montage, le respect du � contrat moral � consiste � �tre fid�le � l�orientation �nonc�e d�s le d�part, aux faits essentiels concernant l�histoire du personnage principal et surtout � sa probl�matique.
1 - L�orientation de d�part. Voici ce que disait ma lettre du 3 mars 2006 : �Il ne s�agit pas de faire l�Histoire du 20 Ao�t 1955 de mani�re �objective� comme un historien. On entre dans la grande Histoire par la �petite� : la tienne. Que je pourrais ainsi r�sumer : le 23 au matin, ta vie aurait pu basculer dans la haine (r�pression des Parachutistes), mais le 23 au soir, tu commences � faire l�exp�rience contraire (arriv�e de Roger Balestri�ri avec du pain et de l�eau). Le mouvement de ce film va trouver son �nergie dans ce basculement inattendu.� A cette lettre que tu retrouveras facilement dans tes mails, m�as-tu jamais fait la moindre objection ? Alors en m�accusant aujourd�hui �de cynisme pour avoir mis sur un pied d��galit� l�acte abject et injustifi� de l�arm�e coloniale � et l�humanisme sans limites de Roger et de Germaine��, as-tu seulement conscience que tu t�accuses toi-m�me ?! Car lorsque les spectateurs pourront, je l�esp�re tr�s bient�t, voir ce film aujourd�hui interdit, que d�couvriront-ils ? Pr�cis�ment, toi Aziz Mouats, dans la cour de ta maison � Mostaganem, opposant au �d�ferlement des soldats conduits par Aussaresses en personne�� Roger Balestri�ri venu �panser nos blessures��, comme tu le dis encore dans ton texte-ci ! Et quand ton cousin a�n� Hamoudi, � tes c�t�s, face � la cam�ra, quelques minutes plus loin, rend �galement un grandiose hommage aux Balestri�ri, �jusqu�� ma mort, je ne pourrai les oublier��, apr�s avoir longuement d�crit �la sauvagerie extr�me des Parachutistes� r�primant le clan des Mouats, l�accuseras-tu lui aussi de �cynisme� et de vouloir att�nuer la barbarie de l�un par l�humanisme de l�autre ? En quoi, d�ailleurs, �voquer l�humanit� des Balestri�ri serait blanchir l�arm�e fran�aise de ses crimes ? J�avoue ne pas l�avoir encore compris. Ce complexe, nouveau chez toi, d� peut-�tre � l�agressivit� de notre environnement nourri quotidiennement au manich�isme par tous les appareils id�ologiques d�Etat, � commencer par l��cole, me rappelle les reproches quasi-identiques que beaucoup d�anciens moudjahidine firent � Louisa Ighilahriz (certes pas publiquement !), lorsqu�interview�e par Florence Beaug� du Monde, puis dans son propre livre, elle rendit un vibrant hommage au m�decin militaire, le Dr Richard qui l�avait soustraite � ses tortionnaires et sauv�e sans doute de la mort. Quoi qu�il en soit, j�ai d�sormais un doute. Es-tu bien le m�me homme qui, le 26 octobre 2007, tint � me faire partager sa lettre � Louis Arti, cet artiste dont le p�re, travailleur � la mine d�El Alia, fut tu� le 20 ao�t 1955 par l�ALN, avec une quarantaine d�autres non-musulmans, mineurs, femmes et enfants : �Ensemble, si tu le veux bien, nous ferons un p�lerinage sur les traces de notre enfance ensanglant�e. Et surtout mille mercis � J-P Lledo, ce faiseur de miracles� ? Qu�un �faiseur de miracles� devienne soudain, en ce 31 janvier 2008, un cynique manipulateur, voil� une m�tamorphose dont il faudra bien qu�un jour tu nous donnes le secret ! En attendant, sache que tous ceux qui ont pu voir notre film ont trouv� tr�s fort ton t�moignage. Qu�il d�range le manich�isme des apparatchiks ou des apparent�s qui disent n�avoir jamais �t� t�moins d�actes de fraternit� interethnique, pourquoi devrais-tu en �prouver de la honte ? Pourquoi la faire rejaillir sur moi ?
2 - La Probl�matique. L� encore, n�est-ce pas toi qui l��nonces clairement d�s le d�but du film, face � la cam�ra, dans la cour m�me de ta maison, sans que je t�interrompe une seule fois ? N�est-ce pas toi qui, dans un plan introductif de plus de 4 minutes, ce qui au cin�ma est tr�s long, informes que :
- 23 personnes de ta famille prises par les Paras le matin du 23 ao�t 1955, ont disparu � jamais ;
- lors de l�offensive de l�ALN du 20 ao�t 1955 qui co�ta la vie � des dizaines d�Europ�ens, dans ton hameau � B�ni Malek, pas un seul d�entre eux n�est touch� ;
- et ce gr�ce � ton propre oncle maternel Lyazid, chef local de l�ALN ;
- les Balestri�ri prennent sous leur toit les 85 femmes et enfants de votre famille, et ce jusqu�� l�ind�pendance. N�est-ce pas toi qui d�termines aussi le but du film : �J�esp�re, � travers ce film, comprendre ce qui s'est pass� et dire combien les hommes sont stupides� Alors qu'ils avaient tout pour vivre ensemble, ils ont tout fait pour faire couler un oued de sang entre les deux communaut�s � ? Cette qu�te, je devais le d�couvrir au fur et � mesure, consistait pour toi essentiellement � prouver que Lyazid avait �t� victime d�une purge ex�cut�e par ses propres chefs, et ce pour avoir �pargn� les Europ�ens de B�ni Malek. T�ai-je dit une seule fois que ton hypoth�se me laissait sceptique ? Ai-je entrav� ta qu�te ? Ne sommes-nous pas all�s l� o� tu voulais ?
- A B�ni Malek, dans ta famille, pour qu�il apparaisse bien comme tu l��cris, que �la guerre d�Alg�rie venait d��clater sous les fr�nes s�culaires de Sidi Ahmed�, (anc�tre des Mouats, marabout protecteur), mani�re de sugg�rer que la �famille r�volutionnaire � fut bien ingrate vis-�-vis de ses h�ritiers, apr�s l�ind�pendance�
- � El Alia, pour souligner que, gr�ce � ton oncle, le m�me genre de tuerie fut �vit� � B�ni Malek.
- A El Hada�ek, pour que tu puisses te confronter � celui qui pour toi est le �donneur� de ton oncle, tomb� dans une embuscade qui ressemblait �� un traquenard, comme en a tant connu la R�volution�, pour reprendre tes propos dans le film�
- Enfin au cimeti�re, o�, cherchant la tombe de ton oncle, tu ne trouvas, effondr�, que �3 cailloux��
Ainsi, te suivre dans ta qu�te en respectant tes convictions, c�est cela dont tu vas te plaindre dans un des forums du net : �Dommage que J-P Lledo n�ait pas jug� utile de m�accompagner � ? ! Ne jamais remettre en cause tes suppositions quant � la mort de ton oncle, pourtant plus que discutables, c�est cela que tu appelles trahison de notre contrat moral ?! Iatek saha. Mais ne crois-tu pas qu�une telle accusation exigeait une d�monstration plus respectueuse de la lettre du film, et ce d�autant plus que tu parles sans le contr�le du spectateur jug� mineur et donc incapable de juger ce film par lui-m�me ?
Tes reproches
Juge et partie. Oui, c�est un statut que je revendique en entrant dans le champ de l�image d�s le d�but du film. Pourquoi fais-tu l��tonn� ? Ne t�en ai-je pas pr�venu avant m�me que nous ne commencions le film ? Ne te rappelles-tu plus cette lettre du 3 mars 2006, un mois avant le tournage, o� je te disais que j�allais construire le film sur la base du couple Auteur-Personnage Principal, lequel deviendra mon �alter ego� ? T�ai-je cach� que je n�allais pas faire un film objectif d�historien, mais un film subjectif, o� je m�autoriserai � dialoguer avec les protagonistes, voire � les interpeller ? J�assume donc mon film tel qu�il est. Et sache que personne ne m�a �contraint � remettre ma copie dans les d�lais�, pour la bonne raison que le producteur majoritaire, c�est moi-m�me !!!
Mahmoud Da�boun. J�apprends avec stup�faction, presque 2 ans apr�s, que si ce chef local de l�ALN, compagnon de ton oncle Lyazid, n�est pas venu sur le lieu de tournage, c�est � cause de moi ! Comme le lecteur, j�aurais aim� savoir pourquoi. Il est vrai que, quand avec mon assistante, nous all�mes le voir dans le caf� dont il est propri�taire, il refusa d�abord : entendant mon nom, il me crut fran�ais. Mais rassur� sinon par mon faci�s, du moins par ma carte verdoyante, il se ravisa. Et s�engagea � venir. Nous l�attendions depuis une heure, quand son fils nous avertit par t�l�phone qu�il avait d� se rendre � un mariage� Je lui aurais �manqu� � ? Tu en dis trop ou pas assez. Sortir sa carte nationale d�identit� serait-il devenu obsc�ne par les temps qui r�gressent ? Mais � toi qui dis avoir �t� dans la confidence de ce �valeureux combattant� personnage-cl� ayant pr�par� l�attaque du 20 Ao�t��, t�aurait-il livr� le secret sur ce que tu appelles dans le film �un traquenard�, dans lequel les chefs de l�ALN de cette r�gion auraient fait tomber ton oncle ? Notre film aurait eu au moins pour cons�quence de faire aboutir ta qu�te ! Mais alors pourquoi n�en dis-tu rien ? Enfin, tu es encore plus d�routant, lorsque, malgr� le reproche d�avoir d�courag� un �t�moin de premier plan�, tu fais l��loge d�un film qui �aura beaucoup aid� � faire la lumi�re sur cette t�n�breuse affaire comme la R�volution en conna�tra d�autres par la suite� ? Fahemni bark ! Silence sur la r�pression militaire fran�aise ! C�est � peu pr�s ce que tout le monde aura retenu de ton papier. Alors que personne ne pourra v�rifier, mon film �tant actuellement interdit, comment peux-tu �crire une chose pareille ? N�est-ce pas toi-m�me qui, face � la cam�ra, dis que la �troupe � Aussaresses a pris tous les hommes de ma famille, soit 23 personnes, que l�on n�a jamais revues� ? N�est-ce pas ton cousin Hammoudi, � tes c�t�s, quelques minutes plus tard, qui d�crit en d�tail, longuement, durant plusieurs minutes, �la f�rocit� des Parachutistes� qui encercl�rent ce 23 ao�t au tout petit matin votre hameau de B�ni Malek, �pillant et br�lant les maisons� avant de s�emparer �des 23 hommes dont un enfant de 15 ans, et un vieux de plus de 70 ans� ? Comment apr�s ces deux plans-s�quences, peux-tu �crire sur un blog : �C�est l� o� le documentaire de J-P Lledo aura p�ch�. C�est lorsqu�il omet de reprendre mes questionnements quant � la disparition des miens� ?!! Et surtout, comment peux-tu �crire exactement le contraire, quasiment le m�me jour, par mail le 29 janvier, � Louis Arti, Gaudioso de son nom d��tat civil, � celui qui avait trouv� en toi un fr�re de sang, vos p�res ayant �t� tu�s � 3 jours d�intervalle, le sien un ouvrier, par l�ALN � El Alia, puis le tien un ma�tre-tailleur de vignoble, par les Paras � B�ni Malek ? Comment peux-tu �crire en France le 29 janvier, en priv� � Louis : �Cette guerre n'aurait fait des victimes que dans un seul camp ? C� est totalement absurde. Et dans ce domaine, le film de J-P Lledo apporte un �clairage d�terminant.� ? Et le 31 janvier, en Alg�rie, m�accuser publiquement d�avoir �focalis� sur les massacres d�innocents europ�ens et ferm� l��il sur la r�pression par l�arm�e fran�aise des populations civiles autochtones� � ? !! Qui trahit notre contrat moral ? Et m�me plus, un fr�re de sang ? Reprends ma lettre du 3 mars 2006, avant tournage. N�avionsnous pas convenu d�en rester � l�histoire de ta famille ? Ta mechta de B�ni Malek, devenant l��picentre du film, l�unit� de lieu, comme on dit dans la dramaturgie. Pourquoi me reprocher aujourd�hui de ne pas �voquer la r�pression militaire fran�aise dans tout le d�partement du Constantinois ? Le sujet de notre film n��tait ni l�histoire du 20 Ao�t dans le Constantinois, ni m�me d�El Alia, ni de son proc�s, ni de toutes ces choses que tu �voques, mais bien la qu�te de celui qui fut le h�ros de ton enfance orpheline, Lyazid ! On est bien d�accord, non ?! Si, par consensus, nous avons d�rog� � notre cahier des charges en allant � El Alia, ce n��tait pas seulement comme tu le dis, parce que tu �voulais savoir ce qui s��tait pass�, car � l��poque je n�en avais aucune id�e�. Mais surtout, pour mettre en valeur le r�le de ton oncle. En montrant la r�gle de ce 20 Ao�t, � El Alia, tu soulignais a contrario l�exception de B�ni Malek, o� les civils europ�ens avaient effectivement �t� �pargn�s. Aurais-je tu, pour autant, la r�pression militaire fran�aise � El Alia ?! Toi, le premier � qui j�ai remis un DVD du film, comment as-tu le front de l�affirmer ? N�est-ce pas ma propre voix, apr�s que le participant � cette attaque ait �voqu� l�arriv�e des avions fran�ais 3 heures apr�s le d�but de l�attaque commenc�e � midi, qui cl�t ainsi la s�quence : �Les assaillants ont eu une victime durant l�attaque. Ils fuient dans la montagne avec leurs familles. Dans les heures qui suivent, une centaine d�habitants arabes des environs sont sommairement ex�cut�s. Les militaires fran�ais malgr� la proximit� d�une caserne sont arriv�s 3 heures apr�s. Et il en est de m�me dans la r�gion d�Aziz, de B�ni Malek � Skikda� ? Je parle bien �d�une centaine de victimes sommairement ex�cut�es�, me fiant au chiffre de notre interlocuteur, alors que toi, ayant peut-�tre v�rifi� son propos, tu ne parles que de �72 innocents�� Le r�le de la religion. Je ne sais pas o� tu as vu, dans le film, que l��vocation �du djihad a d�rang� mes projets� (ce serait plut�t le contraire !). Ou que j�ai voulu : �d�montrer que l�appel au djhad n�a rien � voir avec l�esprit r�volutionnaire et d�nier aux responsables de l�insurrection de se r�clamer des valeurs ancestrales de l�Islam��. Ou bien encore, que j�ai aliment� �un d�bat st�rile entre la r�volution prol�tarienne et internationaliste et� le juste combat d�un peuple�.�. Ne confondrais-tu pas les multiples d�bats qui entourent la fabrication d�un film avec le film lui-m�me ? Comme il s�agit d�un d�bat, tu ne peux me faire reproche de mes opinions. Qui sont comme tu le sais celles d�un libre penseur, c�est-�-dire la�ques. Je suis donc partisan de ne pas instrumentaliser la religion, quelle que soit la cause que l�on d�fend. Je me suis toujours m�fi� de ceux qui font appel � l�irrationnel. Aujourd�hui comme hier. Car �videmment aujourd�hui est toujours fait d�hier. Le djihad n�arr�tant pas d��tre sollicit� chez nous comme ailleurs, pour des causes de toutes natures. �Fascisme vert� n�est pas une formule de moi, mais de notre ministre de la Culture lorsque, menac�e par les islamistes, elle �tait partie en guerre dans les villes de France contre le djihad des islamistes� Le film rouvrira le d�bat sur ce sujet, c�est s�r. En attendant, si tu ne l�as d�j� fait, je te conseille de lire De la violence en Alg�rie d�Abderrahmane Moussaoui (Barzach-Actes Sud). Le montage n�a retenu que les passages qui cadrent avec la th�se de J-P Lledo. Toi qui connais les deux autres films de la trilogie, Un R�ve alg�rien et Alg�ries, mes fant�mes, ceux qui connaissent mes films ant�rieurs, savent pourtant que mon cin�ma n�est pas un cin�ma de propagande, �� th�se�. Je prends donc ton objection comme une mise en cause nonfond�e de mon esth�tique et de mon �thique, lesquelles dans le cin�ma documentaire se confondent quasiment. Mais � ce stade, je darde mon flegme tlemc�nien pour te prouver que l� encore ce n�est pas vrai. Pour la simple raison qu�avant de tourner, je n�ai pas de �th�se� ! Et que s�il me fallait passer deux ans de ma vie pour n�illustrer qu�une th�se, ce serait ennuyeux ! Or si, comme je l�ai constat� par exemple � Montr�al en d�cembre dernier, mon film �meut ou d�stabilise, je crois que c�est parce qu�il est bas� sur des t�moignages qui respirent la v�rit� de t�moins habitant en Alg�rie, qui ont vu et entendu ou qui ont eux-m�mes fait. Et je peux m�me certifier, Aziz, que tu n�as pas fait parler tes interlocuteurs sous la contrainte ! Ceci dit, qu�il soit impossible de caser les 40 heures tourn�es dans les 40 minutes de la partie Skikda, c�est �vident. Mais tu es bien plac� pour savoir que j�ai d� aussi me passer d�une quantit� de t�moignages qui auraient pu aller dans le sens de �la th�se� que tu me pr�tes : - Les Balestri�ri. Etant de v�ritables h�ros � B�ni Malek, tant de gens en ayant gard� le meilleur souvenir, tu sais bien qu�avec les heures de rushes que nous n�avons pas utilis�es, le film tout en entier aurait pu �tre, si nous l�avions voulu, un hommage (et non une �r�habilitation �, lapsus r�v�lateur !) � cette famille qui ravitaillait l�ALN de la r�gion et vous h�bergea durant toute la guerre, soit 85 personnes, femmes et enfants. - Les �colons� de B�ni Malek. N�est-ce pas ton oncle Mohamed, celui qui vient malheureusement de dispara�tre en septembre et dont tu me disais : �Ce soir, je le retrouverai dans le film o� il aura fait un t�moignage puissant et surtout imparable sur tous les �v�nements� Merci pour le film qui l'aura immortalis�, j'en resterai �mu pour le restant de mes jours��, qui nous apprit que suite � la disparition des 23 Mouats, tous les agriculteurs europ�ens de la r�gion, sauf deux, soit une vingtaine, envoy�rent une p�tition aux autorit�s locales pour demander leur lib�ration ? Bien qu��voquer ces �colons� qui �os�rent d�fier l�ordre colonial �, comme tu le dis des Balestri�ri, aurait naturellement contribu� � casser la caricature du m�chant �colon� je n�ai pas utilis� ce passage, ne serait-ce que pour relativiser l�imagerie format�e par le nationalisme, pour lequel �colon� d�signe par glissements s�mantiques successifs, le colonialisme, le colonisateur, l�Europ�en, le Gaouri, l��tranger. Lequel un jour ou l�autre devra partir. - L�enr�lement des montagnards dans l�op�ration du 20 Ao�t 1955. Tous les t�moins nous ont dit que pour les encourager, les responsables leur ont dit que Nasser allait les soutenir ce jour-l� avec des avions et des tanks� M�me Da�boun te l�a dit. Or de cette manipulation de la cr�dulit� des montagnards, tu n�en trouveras pas trace dans mon film.
- Pas plus que cette intention pr�t�e par toi � Zighout Youcef, � plusieurs reprises durant le tournage, de �terroriser la population europ�enne� afin �de provoquer un foss� communautaire� et de pousser l�arm�e fran�aise � une r�pression de grande ampleur, afin que chaque famille arabe touch�e envoie un de ses enfants au maquis pour venger le fr�re, le p�re ou l�oncle. Est-ce moi dans mon film qui pr�te � l�ALN de telles intentions, qu�ailleurs on qualifierait de machiav�liques, ou toi dans ton papier : �Zighout et ses proches r�vaient d�un bain de sang� (l�arm�e fran�aise) fit exactement ce que des insurg�s forts ing�nieux venaient de lui sugg�rer� ?
- Je n�ai pas non plus utilis� le t�moignage de cet habitant d�El Alia, un de ces �S�tifiens�, toujours appel�s ainsi malgr� leur arriv�e dans la r�gion depuis les ann�es 1940, qui te disait sa col�re, plus de 50 ans apr�s, contre les groupes de l�ALN de la r�gion, coupables selon lui de ne pas avoir averti la population qui fit les frais de la r�pression aveugle de l�arm�e fran�aise, alors que les combattants, eux, avaient d�j� mis, avant l�action, leurs familles � l�abri dans les montagnes. Ne crois-tu pas que si j�avais fait le choix conscient �d�un partipris malencontreux�, comme tu dis, j�aurais d� pr�cis�ment ne pas laisser de c�t� ces heures et ces heures de rushes ? Faux proc�s. A quand le v�ritable d�bat ? Tournage ni� par le montage, r�pression non �voqu�e, manquement � Da�boun� D�sol�, mais aucun de tes reproches ne tient la route. Et si le spectateur s�en apercevra, d�s qu�on lui permettra de voir ce film, je ne peux manquer de m�interroger sur le sens de ta d�marche tardive. Chercher la v�rit� sur la mort de ton oncle n��tait certes pas une mince affaire, puisque toute proportion gard�e, comme pour la liquidation d�Abane Ramdane, elle met en cause des hi�rarchies, des personnes vivantes, des int�r�ts puissants, et une sacralit�, celle de la �puret� r�volutionnaire�. Si j�ai accept� de t�accompagner, et donc de partager les risques avec toi, c��tait, bien s�r, parce que je pensais que ce serait r�ciproque. Ma�lich, de mon c�t�, je continue d�assumer. Hormis les reproches auxquels je viens de r�pondre, il y a une s�rie d�appr�ciations dans ton papier qui, malgr� leur expression tranch�e, ont l�int�r�t de donner un �chantillon de ce que le film pourrait provoquer comme d�bats. �Le recours au djihad est la cons�quence de la fermeture du d�bat politique, de la r�pression, du d�ni de justice et de l�absence de d�mocratie�� Tu dis cela pour l��poque. Mais comme tu le sais, les islamistes disent exactement la m�me chose aujourd�hui ! Ne faudrait-il pas donc se demander, comme le font des anthropologues alg�riens, si le recours au djihad n�est pas aussi la cons�quence des pesanteurs de l�archa�sme d�une soci�t� traditionnelle qui peine � entrer dans la modernit� ? Ou qui y entre un peu � contre-c�ur, un peu forc�e par la �mondialisation� de l��conomie mais aussi des id�es, des comportements, etc. ? �Zighout Youcef aura fait le seul choix qui s�imposait � la R�volution.� Cette position est nouvelle. Elle contredit toute ta probl�matique dans le film, qui tenait dans le fait que ton oncle avait justement fait, lui, un autre choix, � B�ni Malek en tout cas� De plus, dans le film, tu t�interrogeais durant un long plan-s�quence, c�est-�-dire ininterrompu, sur la mani�re dont a �t� men�e l�op�ration du 20 ao�t et te demandais s�il fallait s�en prendre � des civils europ�ens, s�il fallait tuer des gens comme Balestri�ri dont tu soulignais le soutien � l�ALN. Mais apr�s tout, on a bien le droit de changer d�opinion sans �tre obligatoirement trait� de �r�visionniste� ou pire de �n�gationniste � ! Je te signale que les responsables politiques et militaires r�unis au Congr�s de la Soummam, un an apr�s, le 20 Ao�t 1956, eux aussi d�sapprouv�rent les exactions contre les civils. �Donnez-moi vos tanks, je vous donnerai mes couffins�� Rappelons pour les nouvelles g�n�rations que �couffins� voulaient dire bombes. Cette formule, r�tablissons les droits d�auteur, appartient � Larbi Ben M�hidi. Je ne sais quelle fut sa v�ritable pens�e quand il pronon�a cette phrase. Ce dirigeant, dont la dignit� en imposa � Bigeard qui tint � lui rendre les hommages militaires avant de le livrer � Aussaresses, voulait sans doute exprimer la fiert� d�un peuple qui se bat pour sa libert�, malgr� l�in�galit� des moyens. Mais reprendre cette formule aujourd�hui, telle quelle, me pose probl�me. L�id�e de r�ciprocit� qu�elle sous-tend me choque. Avec des tanks, ferai-je comme ceux qui les utilisent contre nous : tuer aveugl�ment ? Qu�une arm�e coloniale tue indistinctement tous �les Arabes� est dans l�ordre des choses. Elle met en pratique l�id�ologie fondatrice du colonialisme : le racisme. Mais une �arm�e de lib�ration nationale� peut-elle agir pareillement, en tuant tout aussi indistinctement tous les �gour� ? Se poser une telle question, te demandes-tu, �n�est-ce pas faire le lit de la n�gation ?� Cher Professeur, je me r�jouis qu�� l�universit�, on puisse encore se poser ce genre de probl�me, sous forme de question� Comme quoi, faut jamais d�sesp�rer.
La pens�e ethnique
Malgr� la longueur de ton papier, j�ai �t� �tonn� que tu ne dises pas un mot de ce qui est quand m�me le sujet, le c�ur m�me du film. Ma seule vraie id�e de d�part, en �crivant le sc�nario, puis en me lan�ant dans le tournage, �tait celle de l��crivain alg�rien Jean P�l�gri, qui n�a cess� de dire que sous l�histoire apparente, cruelle, il y avait une autre histoire souterraine, faite de connivences, fraternit�s, amiti�s, voire amours (cf Ma m�re l�Alg�rie). Et le tournage ne l�a certes pas d�menti ! M�me si, au montage, il m�a fallu renoncer � des quantit�s de sc�nes, de propos dr�les ou path�tiques, �voquant cette fraternit� que d�aucuns, les p�vres, disent n�avoir jamais rencontr�e � Mais il est vrai que, pour ne prendre que le 1er �pisode du film, le tien, nous avons aussi �t� confront�s � des r�v�lations moins joyeuses� L�ordre principal qui a �t� donn� aux groupes arm�s le 20 Ao�t 1955, �tait de tuer tous les �gour� ou les �liahoud�, au faci�s, vu que la consigne �tait de faire vite. A ta question : �Si vous aviez rencontr� Roger dans une rue de Skikda, l�auriez vous tu� ?�, l�un d�entre eux, parfaitement au courant du soutien qu�apportait Balestri�ri � l�ALN, r�pond sans h�sitation �oui, m�me Roger�. Mais � El Alia, ton interlocuteur va plus loin. Il t�explique pourquoi ils n�ont �pargn� ni femmes ni enfants : �Nos chefs nous ont dit que chez les Fran�ais, ce sont les femmes qui commandent. Alors quand elles verront qu�ici on a tu� femmes et enfants, elles diront � leurs maris, allez on s�en va�� Ainsi, les actes commis n��taient pas �aveugles�, �barbares�, �sauvages �, mais bien la cons�quence d�une pens�e, que faute de mieux, j�appelle �ethnique�. Que le nationalisme, ou du moins son courant dominant, qui s��tait donn� pour mission de mettre fin au syst�me colonial, se soit aussi donn� celle d��purer l�Alg�rie de ses populations nonmusulmanes, voil� ce que nous avons d�couvert ensemble. Dissimulerais-je que j�en ai �t� �branl�, que je n�en suis pas sorti indemne ? Comment nier que le nationalisme avec sa contre-logique ethnique reste prisonnier de l�id�ologie raciste qu�il se donne pour but de combattre ? Apr�s cette triste d�couverte durant le tournage, fallait-il que tu m�en infliges une autre, aujourd�hui, comme s�il te fallait m�extirper encore mes derni�res illusions, me d�senchanter totalement ? Ainsi, toute cette histoire souterraine, toute cette amiti� avec les Balestri�ri, et les autres agriculteurs dont tu m�avais cit� les nombreux noms durant le tournage, ne serait pas le produit d�individus refusant, quelles que soient leurs origines, la loi d�un syst�me in�galitaire, et prenant l�initiative d�opposer des contrevaleurs humanistes� Mais la cons�quence� du syndrome de Stockholm : �Apr�s tout, n�est-il pas courant qu�entre le bourreau et le prisonnier s��tablisse une certaine complicit� qui frise au respect mutuel ?� Tu ne croyais peut-�tre pas si bien dire le 29 janvier dernier � Louis Arti : �Le film m�rite amplement d'�tre montr�. Mieux, il devrait servir de catalyseur � une introspection collective.� Oui � condition qu�il �chappe � ce que tu appelais encore en juin 2007 �une belle cabale des temps anciens�.
Avant de finir
Au fait, je ne t�ai pas encore vu r�agir aux propos gravissimes de notre ministre de la Culture ( Libert�, 3 f�vrier). Tu sais� l� o� elle annonce qu�elle va organiser un visionnage de notre film, avec des anciens combattants, et des� personnages du film ! T�aurait-elle d�j� invit� ? Iras-tu ? Pour ce qui est des anciens combattants, des vrais, je ne comprends pas � quel titre. S�ils �taient d�tenteurs de la v�rit� historique, �a se saurait, compte tenu des innombrables colloques sur l��criture de l�Histoire qui se sont tenus depuis 1962. Je n�ai pas vu, non plus, un seul historien r�agir. Mais d�une certaine mani�re, je les comprends. La nouvelle a franchement de quoi les r�jouir : plus besoin de recueillir des t�moignages, de construire des hypoth�ses, de les v�rifier, de d�construire les mythologies de �la famille r�volutionnaire �, de signaler les mensonges ou les silences des manuels scolaires, d�affronter les ires des ministres concern�s� Plus besoin de bosser, quoi. La planque ! Merci quand m�me de demander la sortie du film (m�me si � deux reprises tu parles d�une sortie �controvers�e�, puis d�une sortie chahut�e� !). Au moment o� l�on annonce qu�il est en cours d�interdiction officielle, �a fait chaud au c�ur. Merci pour les millions de spectateurs alg�riens � qui le film est destin� en priorit�, m�me si tu les pr�viens que �le film prend le parti de tuer le vrai d�bat�, ce qui est faux, puisque ce � quoi nous assistons actuellement en est tout le contraire, une premi�re m�me dans l�histoire du cin�ma mondial : on n�aura jamais autant parl� dans des journaux l�gaux d�un film interdit... ! A l�allure o� �a va, les spectateurs n�auront m�me plus envie de le voir. Bient�t ils en sauront par c�ur, les s�quences, les plans, les dialogues, leurs significations cach�es et m�me les �tats d��me (a post�riori) de ses interpr�tes ! La �d�mocratisation� a quand m�me du bon. Il fut un temps, o� le pouvoir lui-m�me devait se charger d�embrocher les artistes r�calcitrants, Bachir Hadj Ali, Mouloud Mammeri, Kateb Yacine, par la plume ou le casque allemand� A pr�sent, il d�l�gue. Merci Aziz, merci mille fois quand m�me par ces temps d�inquisition de sauver l��uvre du b�cher, sinon l�auteur�
Jean-Pierre Lledo
Le 10 f�vrier 2008
*Merci Hocine Benhamza, pour m�avoir envoy�, en guise de solidarit�, ce magnifique proverbe !


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