A deux jours de l'inauguration de la 28e �dition du Salon du livre de Paris (13-19 mars), une quasi-institution cr��e en 1981 par le Syndicat national de l'�dition (SNE), la pol�mique s'intensifie autour du choix du pays invit�, Isra�l, �en l'honneur du 60e anniversaire de sa cr�ation�. Dans le monde arabe et au-del�, les appels au boycott se multiplient tandis qu'en Italie, o� la foire du livre de Turin, programm�e du 8 au 12 mai, a, elle aussi, mis Isra�l � l'honneur, le d�bat public fait rage depuis plusieurs semaines. Christine de Mazi�res, la d�l�gu�e g�n�rale du SNE, attribue le choix d'Isra�l � une d�cision gouvernementale : �Il a �t� fait par le Quai-d'Orsay, le minist�re de la Culture � travers le Centre national du livre, et l'ambassade isra�lienne � Paris.� Un choix politique donc m�me si Serge Eyrolles, le pr�sident du SNE et organisateur du Salon, se dit �profond�ment d��u par cette politisation � outrance de la manifestation�. Il ajoute : �Je le dis et je le r�p�te : depuis quinze ans, le Salon du livre n'invite pas les pays ! Il invite la litt�rature. Nous n'invitons pas Isra�l mais la litt�rature isra�lienne... � Par ailleurs, il insiste sur le caract�re �totalement d�connect� du soixanti�me anniversaire de la cr�ation de l'Etat h�breu� et pr�cise avoir propos� � l'Institut du monde arabe de Paris un salon du livre arabe qui se serait d�roul� aux m�mes dates que le Salon du livre. Pour preuve de cette �d�connection � du contexte politique, l'inauguration de la manifestation aura lieu ce vendredi 14 mars en pr�sence du pr�sident Nicolas Sarkozy et de son homologue isra�lien Shimon P�r�s, en voyage officiel dans la capitale fran�aise du 10 au 14 mars. Mais le pr�sident isra�lien n'est-il pas un grand amateur de litt�rature? C'est du moins ce que r�torque le minist�re de la Culture afin de justifier cette visite. Depuis l'intensification des attaques de l'arm�e isra�lienne dans la bande de Gaza (125 morts en 6 jours), les d�cisions de non-participation au Salon s'acc�l�rent. L'Organisation islamique pour l'�ducation, les sciences et la culture ( Isesco), issue de l'Organisation de la conf�rence islamique (OCI), a appel� ses cinquante pays membres � boycotter ce Salon. Elle d�clare : �Les crimes contre l'humanit� perp�tr�s par Isra�l dans les territoires palestiniens le condamnent avec force (...) et le rendent indigne d'�tre l'invit� d'honneur d'un salon international du livre organis� par une instance gouvernementale fran�aise � Paris.� Le pr�sident de l'Union des �crivains palestiniens, Al- Moutawakel Taha, a estim� que le choix d'accueillir au Salon du livre de Paris un pays d'occupation �raciste� �tait indigne de la France, �le pays de la R�volution et des droits de l'homme�. Il demande aux maisons d'�dition arabes de s'abstenir. Quant � l'Union des �crivains �gyptiens, elle juge inacceptable le choix d'Isra�l au moment o� l'Etat h�breu se livre plus que jamais � des violations des droits de l'homme dans les territoires occup�s. Des pays comme le Liban, l'Arabie saoudite, le Y�men, la Tunisie, le Maroc et l'Alg�rie renoncent � leur participation. A Alger, le Syndicat national des �diteurs de livres (SNEL) s'est prononc� en faveur du boycott lors de son assembl�e g�n�rale extraordinaire du 13 f�vrier dernier. Tandis que Sma�n Amziane, le directeur de Casbah Editions, justifie sa �non- participation � par le devoir de solidarit� avec les populations civiles palestiniennes de Gaza. Le choix des auteurs Si �l'honneur� fait � Isra�l d'�tre l'invit� du Salon est � l'origine de ce d�luge de protestations, il est encore reproch� aux organisateurs de la manifestation de n'avoir convi� que des auteurs isra�liens �crivant en h�breu moderne, excluant de ce fait les �crivains isra�liens russophones, francophones, anglophones et surtout arabophones. Sayed Kashua, traduit en h�breu, mis � part, les Palestino- Isra�liens ne sont donc pas repr�sent�s, alors que l'arabe est la seconde langue officielle du pays. R�ponse du minist�re fran�ais de la Culture : �Il fallait bien faire un choix (...). D'une part, en Isra�l, il existe nettement moins de livres �crits en arabe qu'en h�breu (selon les chiffres du Bureau international de l'�dition fran�aise, sur les 6 800 titres parus en 2006, 5 900 sont �crits en h�breu pour une centaine en arabe). D'autre part, peu d'ouvrages �crits en arabe ont �t� traduits.� Si le choix de la langue se pose, on peut aussi s'interroger sur celui des auteurs et certains observateurs sous-entendent qu'� cet �gard, ne seraient convi�s aux r�jouissances que les plus dociles. On objectera que l'�crivain Amos Oz fait partie du Mouvement de la paix mais il n'est pas pour autant consid�r� comme un opposant de premier ordre. Benny Ziffer, �crivain, journaliste et r�dacteur en chef du suppl�ment litt�raire d' Haaretz, le principal quotidien isra�lien, a �t� le premier � lancer une p�tition demandant le boycott du Salon du livre de Paris. Il en r�sume ainsi les raisons : �Le premier probl�me, c'est que notre gouvernement, notre ambassade, qui ont fait la s�lection, n'ont choisi que des �crivains d'expression h�bra�que en excluant, de fait, deux tiers de la sc�ne isra�lienne. Or celle-ci compte une �norme communaut� d'expression russe ainsi qu'une communaut� d'expression arabe. C'est donc tr�s r�ducteur. Le deuxi�me probl�me, c'est le choix arbitraire des �crivains fait par des bureaucrates de l'ambassade qui ont exclu des grandes figures comme notre po�te national Nathan Zach. Pourtant, il �crit en h�breu ! Le troisi�me probl�me, c'est que l'Etat isra�lien consid�re que les �crivains sont des agents de propagande. A partir du moment o� l'administration finance le billet d'avion, elle estime que l'�crivain est l� pour servir la cause isra�lienne et elle exige officiellement ce propagandisme dans un contrat que tous les �crivains doivent signer. C'est ce qui s'est pass� avec les salons du livre de Paris et de Turin.� L'on apprend ainsi que tel ou tel auteur isra�lien, comme le grand �crivain Yehoshua Kenaz, qui ont refus� de signer le �contrat�, ne feront pas parti du voyage. Benny Ziffer en d�duit que �tout �crivain isra�lien devrait, au fond de sa conscience, boycotter le Salon du livre de Paris.� L'�crivain journaliste n'est pas le seul � s'opposer � cette politique de l'Etat h�breu, d'autres auteurs isra�liens comme le po�te Aaron Shabtai entrent en dissidence. Cet �minent traducteur en h�breu des trag�dies grecques, invit� officiel parmi les quarante auteurs isra�liens s�lectionn�s, dit non tant au Salon de Paris qu'� celui de Turin : �Je ne pense pas qu'un Etat qui maintient une occupation, commettant quotidiennement des crimes contre des civils, m�rite d'�tre invit� � quelque semaine culturelle que ce soit. Ceci est anticulturel ; c'est un acte travesti de culture de fa�on cynique. Cela manifeste un soutien � Isra�l,et peut-�tre aussi � la France, qui appuie l'occupation. Et je ne veux pas, moi, y participer.� Contestation en Isra�l m�me L'�crivain Sayed Kashua, arabe et isra�lien, �crit dans Haaretz : �Le boycott est tr�s bien. Pourvu qu'il y ait encore plus de boycott de l'entit� sioniste. En fait, je pense que l'on devrait enfermer tous les �crivains isra�liens dans un h�tel, les mettre sous couvre-feu, boucler leurs �uvres... Mettez-les dans la pire aile de l'h�tel le plus miteux de Paris. Et puis, coupez leur l'�lectricit�. Comme �a, ils auront une petite id�e de ce qui se passe � Gaza.� D'autres personnalit�s comme la romanci�re am�ricano-palestinienne Susan Abulhawa, Tariq Ali, John Berger, le chef d'orchestre Ricardo Muti ou encore le chor�graphe Omar Barghouti d�noncent violemment le choix des organisateurs du Salon au regard des injustices commises par Isra�l � l'encontre du peuple palestinien. L'historien isra�lien Ilan Pappe a, pour sa part, annonc� qu'il ne viendrait pas � Paris. A l'inverse, parmi les trenteneuf auteurs isra�liens qui seront pr�sents au Salon, l'�crivain David Grossman affirme incompatible culture et boycott et s'insurgeant contre celui-ci, il d�clare : �En isra�l, la culture est favorable au dialogue, � la reconnaissance r�ciproque et au respect des Palestiniens, des choses que la gauche devrait avoir � c�ur.� Un avis auquel se rallie l'�crivain �gyptien Gamal Ghitani en d�clarant que le boycott est une forme d'�infantilisme politique et que les protestataires n'ont aucun droit d'ing�rence dans un autre pays�. Un argument contre lequel on serait tent� de r�torquer : que dire alors des dissidents de nationalit� isra�lienne ? Son compatriote l'�crivain Alaa Al Aswani, l'auteur du bestseller L'Immeuble Yacoubian, constatant que l'invitation d'Isra�l �est une honte�, se d�clare en revanche �tr�s choqu� car la France est depuis deux si�cles un pays tr�s important sur le plan culturel pour les Egyptiens. Ce n'est pas la France que je connais.� Quant � l'�crivain Marek Halter, il conclut dans une lettre ouverte publi�e dans le journal Le Monde : �Imaginons le boycotte des livres d'un Gore Vidal, d'un Philip Roth ou d'un Norman Mailer � cause de la guerre du Vietnam. Imaginons le boycott d'un Sartre, d'un Camus, d'une Simone de Beauvoir � cause de la guerre d'Alg�rie.� De l� � d�duire que les partisans du boycott veulent faire dispara�tre l'Etat d'Isra�l, le pas est franchi par le philosophe Bernard Henri Levy dans une interview donn�e sur Europe 1cette semaine. En ce qui le concerne, appeler � un boycott � l'occasion de l'anniversaire de l'Etat d'Isra�l, c'est remettre en cause la naissance- m�me de cet Etat. Notons que BHL avoue lui-m�me n'avoir gu�re mis les pieds au Salon du livre de Paris en 27 ans. C'est dire pour lui l'importance de cette manifestation ! D�ni d'un Etat pour certains, d�ni de litt�rature pour d'autres comme Tahar Ben Jelloun qui s'oppose, lui aussi, au boycott : �si je comprends bien la logique de ceux qui lancent une campagne de boycott (...), il faudra que je jette ces deux livres (isra�liens que je lis) et peut-�tre m�me les br�ler. Pourquoi ? Parce qu'ils sont �crits par des Isra�liens. Du m�me coup, le public isra�lien devrait, lui aussi, jeter mes livres traduits en h�breu et les condamner � l'exil. On pourrait continuer ce petit jeu et emp�cher par exemple que les po�mes du Palestinien Mahmoud Darwish ne rentrent pas dans les librairies et maisons isra�liennes. Ce serait une guerre contre la culture d'o� qu'elle vienne.� A de semblables reproches, le philosophe italien Gianni Vattimo r�pond dans la Stampa qu'il ne s'agit pas d'�emp�cher les �crivains isra�liens de s'exprimer ou d'�tre �cout�s� mais d'emp�cher qu'�ils soient les repr�sentants d'un Etat qui c�l�bre ses 60 ans en bloquant Gaza, en r�duisant les Palestiniens � une mosa�que de zones isol�es les unes des autres, une politique d'expansion des colonies qui ne peut s'entendre que comme un v�ritable processus de nettoyage ethnique. Personne ne nie le droit � exister � Isra�l.� Des otages � la page Boycott ou participation? Telle est bien la question. Certains n'h�sitent pas � parler d'�crivains pris en otage ou encore pris au pi�ge. Ou m�me, n'ayons pas peur des mots, de �fatwa� contre les auteurs d�sireux de participer, comme l'�nonce BHL. Des dissidents ont d�cid� de ne pas boycotter le Salon mais de profiter de l'�v�nement pour faire de la �d�-contre-information�, selon les termes employ�s par Eric Hazan, le directeur de La Fabrique, une petite maison d'�dition qui publie des auteurs palestiniens et isra�liens anticolonialistes. Ils seront ainsi quelques-uns, auteurs, �diteurs, pr�sents au Salon, � titre individuel, pour porter la contradiction et animer des d�bats en dehors des cadres officiels, � l'exemple de l'Egyptien Al Aswani qui distribuera des photos d'enfants libanais et palestiniens victimes de l'arm�e isra�lienne. Une autre fa�on de dire non tout en tentant de faire avancer la prise de conscience sans laquelle serait vain tout effort de paix.