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Entretien : LE POLITOLOGUE MOHAMED CHAFIK MESBAH, AU SOIR D�ALG�RIE, � PROPOS DU R�CENT REMANIEMENT MINIST�RIEL :
�Ce n�est pas le gouvernement qu�il faut remanier,c�est le syst�me, dans sa globalit�, qu�il faut changer�
Pour m�moire, Mohamed Chafik Mesbah, docteur d�Etat en sciences politiques de l'Universit� d�Alger puis dipl�m� du Royal College of Defence Studies de Londres, est officier sup�rieur de l�ANP � la retraite. Entretien r�alis� par Salim Barki Le Soir d�Alg�rie : Vous �tes connu pour avoir d�velopp� des positions r�serv�es sur la gestion de M. Ahmed Ouyahia lorsqu�il exer�ait, pour la premi�re fois, les fonctions de chef du gouvernement. Votre point de vue, depuis, a-t-il �volu� ? Mohamed Chafik Mesbah : Si c�est une question � caract�re personnel, je m�abstiens de r�pondre. Cet exercice offre si peu d�int�r�t pour l�opinion publique nationale. Je pr�f�re m�en tenir � l�analyse politique sans vous laisser m'entra�ner vers ce terrain o� les attitudes se fondent sur l��motion� Tenons-en-nous, alors, � l�analyse politique. Vous avez �t� surpris par le retour de M. Ahmed Ouyahia � la t�te du gouvernement ? Je vous livre une r�ponse mitig�e. D�une part, sans trop c�der aux illusions, j�entrevoyais une mince possibilit� o� le pr�sident de la R�publique, pour faire face � la situation d�l�t�re o� se d�bat le pays, aurait �t� tent� d�exp�rimenter une solution politique. Pas un bouleversement du syst�me, juste une oreille d��coute plus attentive en direction d�une soci�t� en �bullition, une ouverture relative du champ d�expression et le choix d�un mode de participation un peu plus effectif des citoyens � la prise de d�cision. Si telle avait �t� l�option retenue, le choix aurait, certainement, �t� port� sur une autre personnalit� que M. Ahmed Ouyahia. D� autre part, je n�excluais pas, il est vrai, l�hypoth�se d�une r�ponse plus conforme � la logique du syst�me en place. Dans l�esprit du syst�me rentier, c�est la conduite autoritariste des affaires publiques qui est cens�e �tre la plus adapt�e. Rien d��tonnant, en d�finitive, que ce soit cette option qui ait pr�valu avec le retour de M. Ahmed Ouyahia � la t�te du gouvernement. Ce retour inopin� de M. Ahmed Ouyahia � la t�te du gouvernement porte plus l�empreinte du pr�sident de la R�publique ou de l�arm�e et des services de renseignement ? Je m�en tiens d�abord � l�aspect formel des choses. Avez-vous not� la d�sinvolture avec laquelle le chef de gouvernement sortant a �t� remerci� et le chef de gouvernement nouveau d�sign� ? Le pr�sident Abdelaziz Bouteflika n�a eu de cesse, depuis qu�il est chef de l�Etat, de s�atteler � r�duire � la portion congrue la fonction de chef du gouvernement. Pourquoi, � la veille d�une r�vision constitutionnelle presque certaine, changerait-il de position en accordant l�importance que vous supposez � la fonction ? Vous aurez constat�, d�ailleurs, que M. Ahmed Ouyahia a �t� convoqu� pour diriger un gouvernement form� sans qu�il ait �t� consult�. C�est dire si le pr�sident de la R�publique est press� d�en finir avec un r�gime qui de son point de vue est trop bic�phale. Je consid�re, en fait, que M. Abdelaziz Bouteflika vient, tout simplement, d�adapter, sur un plan pratique, sa d�marche r�solue vers le troisi�me mandat. C�est dire que le retour aux affaires du nouveau chef du gouvernement proc�de bien d�une d�cision souveraine du chef de l�Etat. Que dire de ce �deal� entre p�les de puissance qui est �voqu� ? Dieu combien les microsomes alg�rois aiment fantasmer ! Cette supposition me para�t relever de la pure sp�culation. Il est int�ressant, par contre, de s�interroger sur la feuille de route confi�e � M. Ahmed Ouyahia. Elle semble reposer sur trois axes d�effort essentiel. Premi�rement, M. Ahmed Ouyahia fix� sur des t�ches de gestion quotidienne qu�il devra bien prendre � c�ur, c�est un candidat potentiel � l��lection pr�sidentielle de 2009 musel�. Deuxi�mement, avec M. Ahmed Ouyahia � la t�te du gouvernement, il est probable que la r�vision de la Constitution, par r�f�rendum ou par voie parlementaire, sera men�e � bon port quel qu�en f�t le prix. Troisi�mement, avec M. Ahmed Ouyahia chef du gouvernement, c�est, nous le disions peu avant, la garantie d�une conduite plus autoritariste des affaires publiques. L�arm�e et les services de renseignement ne seraient pour rien dans le retour en gr�ce de M. Ahmed Ouyahia� M. Ahmed Ouyahia, directeur de cabinet � la pr�sidence de la R�publique puis plusieurs fois chef du gouvernement, a, certainement, entretenu des rapports de convenance personnelle prononc�s avec certains chefs militaires. Mais la hi�rarchie militaire, depuis l�accession de M. Abdelaziz Bouteflika � la pr�sidence de la R�publique, a subi une transformation radicale. Vous feriez bien d�en tenir compte� Le nouveau chef du gouvernement est attendu sur trois fronts essentiels. L�aggravation de la situation sociale et �conomique, la d�t�rioration de la situation s�curitaire et le recul diplomatique de l�Alg�rie. M. Ahmed Ouyahia manifestera-t-il la ma�trise n�cessaire et disposera-t-il d�une marge de man�uvre suffisante pour s�attaquer � ces trois fronts ? Pour ce qui concerne la situation sociale et �conomique, M. Ahmed Ouyahia, volontiers pr�sent� comme un �homme de poigne�, pourrait, en effet, marquer le retour � une conduite plus jacobine des affaires publiques. Pourra-t-il faire taire la cacophonie actuelle entre membres du gouvernement et promouvoir, sans d�lai, un projet alternatif de d�veloppement �conomique et social v�ritable ? M. Ahmed Ouyahia dispose d�une marge r�duite. 2009, c�est demain. Il ne pourra pas, par ailleurs, exercer de contr�le v�ritable sur les d�partements minist�riels dont est en charge le premier cercle de l�entourage pr�sidentiel. La marge de man�uvre dont il dispose est, infiniment, r�duite. S�agissant de la situation s�curitaire, sans qu�il soit autoris� � interf�rer dans la cha�ne organique des appareils en charge de la lutte antiterroriste, M. Ahmed Ouyahia pourrait disposer d�une certaine latitude pour redynamiser le Cemis � organe de coordination inter-minist�riel de la lutte contre le terrorisme � en vue d�instaurer une harmonie plus efficace entre services de s�curit� et de renseignement qui seraient soumis, alors, � une tutelle plus apparente. Une marge de man�uvre r�elle mais soumise, n�anmoins, � contr�le. S�agissant du domaine diplomatique, celui-ci rel�ve, express�ment, du pouvoir r�galien du pr�sident de la R�publique, particuli�rement jaloux de ses pr�rogatives en la mati�re. En dehors des missions expresses, une interf�rence intempestive de M. Ahmed Ouyahia sur ce registre constituerait un cas de casus belli. Nonobstant la feuille de route que vous �voquez, il est pr�t� � M. Ahmed Ouyahia une ambition pr�sidentielle entretenue par la proximit� de p�les de puissance� Quels p�les de puissance ? Dites, clairement, lesquels. S�il s�agit de l�institution militaire, permettez-moi d�en douter. Les services de renseignement, alors ? Vous voulez embo�ter le pas � M. Ali Yahia Abdennour, cet homme � tous �gards respectable, qui, candidement, croyait me r�v�ler, il y a peu, que M. Ahmed Ouyahia �tait un officier d�active au sein des services de renseignement alg�riens ? Je ne crois pas que M. Ahmed Ouyahia lui-m�me irait jusqu�� cautionner une telle plaisanterie. C�est sans doute � un sc�nario � la Poutine que, de bonne foi peut-�tre, songent ceux qui �voquent cette proximit� avec des p�les de puissance. Poutine, c�est cet officier du KGB qui, h�ritier en quelque sorte de Youri Andropov, le v�ritable pr�curseur des r�formes dans l�ex-Union sovi�tique, avait eu pour mission de faire d�passer � la Russie l��tat de crise chronique o� elle se trouvait sans devoir toucher, pour autant, aux int�r�ts des p�les de puissance qui l�avaient intronis�. Ne sous-estimez pas la diff�rence de situation qui s�pare les deux pays, autant par le contexte international que par la conjoncture interne. Ce sc�nario exige un requis de conditions qui est loin d��tre r�uni en Alg�rie. D�abord, une bienveillance �trang�re li�e, dans le cas de la Russie, � son poids international et � la pertinence du projet propos�. Ensuite, un socle solide de valeurs morales emprunt�es � la Russie �ternelle, v�ritable point d�appui du projet Poutine. Le soutien, enfin, d�une communaut� du renseignement solidaire avec l�adh�sion des autres institutions nationales et de la population, totalement acquises au projet. Nous sommes loin de ce cas de figure. R�sumons-nous. M. Ahmed Ouyahia dispose-t-il d�un potentiel suffisant pour postuler � la magistrature supr�me ? Si je m�abstiens de tout jugement de valeur pour ne point alt�rer l�analyse, force est de constater, cependant, que chaque fois qu�il a exerc� les fonctions de chef du gouvernement, M. Ahmed Ouyahia loin de pousser, de mani�re substantielle, � la transformation du syst�me a �uvr�, plut�t, � sa consolidation. S�il s�agit d�acc�der � la magistrature supr�me pour perp�tuer le syst�me, M. Ahmed Ouyahia constitue, alors, un candidat potentiel. Pour pouvoir acc�der � la magistrature supr�me, il faut, n�anmoins, �tre porteur d�un vrai projet national, disposer d�un v�ritable ancrage social et b�n�ficier de relais agissants au sein de la soci�t� et dans l�Etat. M. Ahmed Ouyahia ne dispose pas, que nous sachions, d�un projet national audacieux, son image au sein de la soci�t� est, plut�t, alt�r�e, et, enfin, les appuis dont il pourrait se pr�valoir se limitent, quasiment, au RND. Connaissant cette formation de l�int�rieur et entretenant des rapports d�amiti� avec des figures �minentes en son sein, je constate que la gestion politique de ce parti s�est transform�e, progressivement, en une gestion administrative. Nous ne disposons pas de sondages d�opinion fiables ni de r�sultats incontestables de scrutins pour avancer des conclusions �tay�es sur le vrai poids �lectoral du RND. Le RND tire profit, actuellement, d�un �tat de l�thargie chronique du FLN, mais, � la faveur d�une bataille �lectorale libre et transparente, il est probable qu�il serait largement distanci� tant par le FLN que par, le cas �ch�ant, un vrai parti islamiste d�essence pl�b�ienne. Vous oubliez l�image internationale dont peut jouir M. Ahmed Ouyahia... Je ne dispose pas d�informations suffisantes pour affirmer que la candidature de M. Ahmed Ouyahia serait, �ventuellement, appuy�e par des puissances �trang�res. Une connaissance relative des m�canismes de prise de d�cision chez ces puissances �trang�res laisse imaginer, cependant, que leur appui � une candidature pour ce type de scrutin est, syst�matiquement, subordonn� � la vraisemblance de cette candidature en termes de pertinence de l�ancrage social et politique dont jouit le candidat dans son pays. Permettez-moi de relever, de ce point de vue, que bien d�autres personnalit�s nationales, m�me marginalis�es par le syst�me, peuvent se pr�valoir d�un ancrage national autrement plus solide. Ne craignez-vous pas d��tre bien isol� dans vos certitudes ? Les cercles d�initi�s savent, parfaitement, que c�est l�institution militaire et les services de renseignement qui continuent de r�guler la sph�re politique� Il faudrait que les hommes politiques, au sein du syst�me comme dans l�opposition, se d�terminent. Il n�est pas possible, d�un c�t�, de plaider pour le retrait de l�arm�e du champ politique et sugg�rer, de l�autre, � cette institution et aux services de renseignement un r�le � jouer dans la r�gulation de la succession de chefs d�Etat. Sans m�attarder sur les caract�ristiques internes de la communaut� du renseignement, il me para�t que cette influence excessive pr�t�e aux services de renseignement est un pr�texte commode que nos leaders politiques invoquent, avec r�currence, afin de masquer leur r�signation � l�ordre �tabli. Dites-moi, par Dieu, quel est ce pays o� un appareil de renseignement ou de s�curit�, aussi puissant soit-il, a pu r�sister � la volont� d�un peuple d�termin� dont l��nergie est canalis�e par une �lite l�gitime et performante ? Plut�t que de fantasmer sur le r�le de l�institution militaire et des services de renseignement, pourquoi ne pas investir le champ politique et occuper le terrain social en vue de canaliser l��nergie exceptionnelle qui agite la soci�t� dans ses entrailles afin de l�orienter vers l�objectif d�une transformation pacifique du syst�me ? Sinon, laissons en paix l�arm�e et les richesses p�troli�res du pays, seuls patrimoines communs � tous les Alg�riens. Comment pourraient �voluer les rapports du pr�sident de la R�publique avec son nouveau chef du gouvernement ? M. Ahmed Ouyahia devrait s�en tenir � la feuille de route qui lui a �t� fix�e. Il sera tenu de ne pas empi�ter sur les domaines r�serv�s du chef de l�Etat, ni sur les comp�tences des ministres appartenant au premier cercle de l�entourage pr�sidentiel. Tant que ce modus vivendi sera respect�, M. Ahmed Ouyahia pourra vaquer � ses occupations. Quels sont les risques majeurs qui peuvent, n�anmoins, menacer l�accomplissement de la mission confi�e � M. Ahmed Ouyahia ? Un premier risque �vident tient � la marge de man�uvre r�duite dont dispose M. Ahmed Ouyahia. Vous aurez not� que les v�ritables leviers de l�action gouvernementale lui �chappent. M. Ahmed Ouyahia ne pourra gu�re contr�ler, s�rieusement, les minist�res strat�giques (D�fense, Int�rieur et Affaires �trang�res) ou n�vralgiques (Energie, Justice et Participations de l�Etat�). Un deuxi�me risque tient � la possibilit� d�une brusque aggravation de la situation sociale. Certes, la manne financi�re puis�e de la vente du p�trole procure � l�Etat une marge de man�uvre consid�rable. Mais la mauvaise qualit� de la gouvernance, notamment � l��chelle locale, fait que la fracture entre soci�t� virtuelle et soci�t� r�elle s�aggrave dangereusement. Les pouvoirs publics affichant une sorte de d�dain vis-�-vis des manifestations et des �meutes qui affectent, pourtant, tous les points du territoire national et les services de s�curit� et de renseignement pratiquant, volontiers, la politique de l�autruche, le potentiel d�explosion sociale est r�el. Il est susceptible d'entra�ner la chute du gouvernement de M. Ahmed Ouyahia et, probablement, du syst�me lui-m�me. Un troisi�me risque tient � la personnalit� m�me de M. Ahmed Ouyahia .Il pourrait persister dans son comportement vindicatif vis-�-vis des cat�gories sociales les plus dynamiques et les syndicats autonomes jusqu�entrer en confrontation ouverte. Soucieux de consolider sa stature de pr�sidentiable, il pourrait se laisser aller � vouloir se mesurer au chef de l�Etat et provoquer un conflit ouvert avec lui. L�on est fond� � s�interroger sur les raisons qui ont conduit M. Ahmed Ouyahia, pour plaider en faveur d�un troisi�me mandat pour le pr�sident Abdelaziz Bouteflika, � invoquer l�exemple de la Cor�e du Sud o� deux pr�sidents successifs s��taient partag� le pouvoir pendant trente-cinq ans. Se peut-il que M. Ahmed Ouyahia ignore les conditions tragiques dans lesquelles est intervenue la fin de leur r�gne ? Le r�cent remaniement minist�riel est-il un d�saveu pour M. Abdelaziz Belkhadem ? En aucune mani�re. Le pr�sident de la R�publique dispose de collaborateurs qu�il utilise chacun selon son registre. M. Abdelaziz Belkhadem, c�est le registre politique, c'est-�-dire rassembler le courant islamiste par-del� les seuls partis islamistes agr��s. M. Ahmed Ouyahia, c�est le registre de la conduite autoritariste des affaires publiques. Une r�partition presque id�ale des r�les aux yeux de M. Abdelaziz Bouteflika. Le r�le de M. Abdelaziz Belkhadem aux c�t�s du chef de l�Etat est loin d��tre fini� Le remaniement minist�riel qui vient d��tre effectu� peut-il contribuer � am�liorer la situation dans le pays ? Avez-vous constat� que le syst�me en Alg�rie fonctionne sur le mode endogamique ? C�est-�-dire qu�il perp�tue, en les aggravant, les anomalies cong�nitales au sein de la famille. Il faut sortir de ce mode endogamique pour s�ouvrir sur l�Alg�rie r�elle. Quel int�r�t � changer de chef de gouvernement ou � amender la Constitution pour lever le verrou de la limitation du nombre de mandats pr�sidentiels ou pour instituer le poste de vice-pr�sident ? Le diagnostic ne souffre pas d'ambigu�t� : ce n�est pas le gouvernement qu�il faut remanier, c�est le syst�me, dans sa globalit�, qu�il faut changer.