Suppl�ment num�ro 11 �Il faudrait pour le bonheur des Etats que les philosophes fussent rois et que les rois fussent philosophes.� Platon in La R�publique Entretien r�alis� par Mohamed Chafik Mesbah Impression de Malaisie Lorsque, durant l'automne 1987, j'ai eu � visiter, � la faveur d'un voyage d'�tudes organis� par le Royal College of Defence Studies britannique, les Etats �mergents de l'Asie du Sud-Est, Hong-Kong, Singapour et la Malaisie, mon attention s'�tait focalis�e, surtout, sur ce dernier pays. J'avais �t� frapp� par l'activit� d�bordante perceptible sur l'ensemble du territoire malaisien, m�me si Kuala Lumpur constituait, de toute �vidence, l'�picentre du prodigieux d�veloppement �conomique en cours. La Malaisie �tait, d�j�, le lieu de pr�dilection d'un Islam pr�sent � toutes les phases de l'activit� de l'individu et de la soci�t�, un Islam temp�r�, ouvert sur la modernit�. La cohabitation harmonieuse des communaut�s malaise, chinoise et indienne for�ait l'admiration m�me si, implicitement, les Malais s'�taient appropri�s le pouvoir politique et les Chinois la gestion des affaires �conomiques. La configuration juridique de l'Etat constituait, aussi, une curieuse originalit�. A ce jour, je m'interroge si la Malaisie �tait un Etat f�d�ral (en raison du pouvoir symbolique important que d�tiennent les Etats gouvern�s par des sultans) ou un Etat centralis� (car c'est le gouvernement central, en d�finitive, qui fixe et conduit la politique qu'il souhaite en accord avec la majorit� parlementaire). L'arriv�e aux affaires du Dr Mahathir en qualit� de Premier ministre, en 1981, a suscit�, sans doute, un tournant d�cisif dans l'�volution de la Malaisie moderne. D'une part, le Dr Mahathir a confort� les pouvoirs du Premier ministre, devenu le d�tenteur r�el de l'autorit�, parfois avec une propension av�r�e pour l'autoritarisme. Le Dr Mahathir n'�prouve pas de g�ne � se voir affubl� du titre de �despote �clair� rappelant, cependant, qu'il d�cida, de sa propre initiative, en 2003, d'abandonner ses fonctions officielles, alors qu'il �tait au firmament de sa popularit�. D'autre part, le Dr Mahathir a dot� le pays d'une vision strat�gique de d�veloppement qui rend visible la voie � suivre jusqu'au stade de l'industrialisation compl�te du pays. C'est d'ailleurs, la clart� de cette vision strat�gique du Dr Mahathir et la d�termination manifest�e pour sa mise en �uvre qui ont retenu, le plus, mon attention. Je me rappelle, parfaitement, que lors du voyage d'�tudes qui s'�tait d�roul� en 1987, le Dr Mahathir, retenu, avait fait recevoir le groupe de stagiaires du Royal College of D�fence Studies par son conseiller �conomique, une brillante m�canique intellectuelle, sujet d'origine chinoise. Depuis lors, chaque fois que j'ai pu acc�der � une information sur l'�volution de la situation en Malaisie, notamment en mati�re de d�veloppement �conomique, j'en ai ramen� les donn�es � l'expos� fait, justement, par le conseiller �conomique du Dr Mahathir, d�couvrant, chaque fois, une harmonie parfaite entre ce que j'avais entendu et ce que je d�couvrais. Bien naturellement, j'ai compris qu'il s'agissait, l�, des �l�ments constitutif de la vision strat�gique dite �vision 2020�, rendue officielle peu apr�s, au terme de laquelle la Malaisie �tait cens�e acc�der au statut de pays d�velopp�. S'�tendant sur une superficie de 329 758 km2 et compos�e de deux ensembles s�par�s par la mer de Chine m�ridionale, la Malaisie compte une population de 25,8 millions d�habitants avec une juxtaposition de communaut�s diff�rentes. Les bumiputra, peuple de langue malaise, repr�sentent environ 60 % de la population, les Chinois, originaires de Chine du Sud, 24 %, et les Indiens, pour la plupart hindous, 8 %. Les rivalit�s ethniques ont longtemps domin� la vie malaisienne jusqu'� prendre, parfois, en mai 1969, l�aspect d�affrontements graves. Cette soci�t� pluri-ethnique �voluant, cependant, vers plus d'harmonie, la Malaisie semble �tre un d�fi r�ussi en termes d�unit� nationale. La Malaisie, qui a acc�d� � l'ind�pendance le 31 ao�t 1957, est une monarchie r�gie par un syst�me d�mocratique f�d�ral. Le malais en est la langue officielle et l�anglais, langue de travail. L�Islam est la religion nationale. Sur le plan honorifique, le pouvoir est exerc� par un sultan, choisi pour cinq ans, parmi les neuf souverains du pays. Chacun des Etats membres de la f�d�ration est dot�, en effet, de son Assembl�e et de son ex�cutif. Il n'en reste pas moins, encore une fois, que c'est le Premier ministre, responsable devant une Chambre des d�put�s �lue au suffrage universel, qui d�tient les leviers de commande r�els. Le Dr Mahathir Bin Mohamed est, de ce point de vue, la figure la plus marquante de l'histoire contemporaine de la Malaisie. Parvenu au poste de Premier ministre le 16 juillet 1981, il s'est maintenu � ce poste jusqu�au 1er novembre 2003, date � laquelle il s'est retir�, volontairement. Pr�sent� comme le p�re de la modernisation du pays, le Dr Mahathir a r�ussi, en s�appuyant sur les revenus des ressources p�troli�res et gazi�res et sur l�essor des industries manufacturi�res (�lectronique, automobile), � transformer la Malaisie en un pays �mergent. Actuellement, la Malaisie a l'un des niveaux de vie les plus �lev�s en Asie du Sud-Est. La Malaisie a d�velopp� une �conomie bas�e sur l'exportation du caoutchouc, de l'�tain et le d�veloppement de la manufacture. Le gouvernement a entrepris un plan ambitieux pour faire de la Malaisie un producteur essentiel de produits de technologie de pointe, y compris les logiciels. C'est, d�j�, l'un des plus grands exportateurs du monde de semi-conducteurs, articles et appareils �lectriques. La Malaisie qui continue d'�tre, apr�s la Chine et l'Inde, une destination importante pour la fabrication des composants �lectriques. D'importants investissements �trangers ont �t� attir�s par le march� malaisien jouant, ainsi, un r�le majeur dans la transformation de l'�conomie du pays. L'agriculture demeure, �galement, une source de richesse importante car elle constitue la source de revenu d'environ 15% des Malaisiens en contribuant � environ 10% du PIB. Class�e parmi les principaux producteurs du monde d'huile de palme, de cacao et de caoutchouc, la Malaisie est aussi exportatrice de bois tropical. L�essor �conomique de la Malaisie a �t� rendu possible, cependant, par la modernisation des transports, des communications et des infrastructures �nerg�tiques. Le d�veloppement des zones industrielles par les incitations fiscales pour les investisseurs dans des industries d�exportation a constitu�, �galement, une dimension essentielle de la strat�gie �conomique du pays. Le gouvernement, promoteur d�une �conomie de march� relativement ouverte, continue d'�tre, lui-m�me, investisseur, avec statut d'actionnaire minoritaire. Malgr� des �changes importants avec les USA, l'�conomie malaise est, d'abord, ins�r�e dans un contexte r�gional, Singapour et le Japon constituant les principaux partenaires �conomiques de la Malaisie. Confort� par ses r�ussites �conomiques, le Dr Mahathir avait tenu, avant de quitter le pouvoir, � engager des projets colossaux, notamment la construction de la nouvelle capitale Putrajaya, le barrage de Bakun, le nouvel a�roport international et la ville de Gelang Patah, dans l�Etat du Johor. Destin�s � dynamiser l��conomie et � assurer la comp�titivit� future du pays, ces grands travaux devaient consacrer l�accession de la Malaisie au stade de pays d�velopp�. Ayant eu le privil�ge de visiter la nouvelle capitale Putrajaya, fin pr�te pour accueillir toute l'administration gouvernementale de Malaisie et les populations vivant en connexion, j'ai laiss�, en effet, exhaler un soupir des plus �loquents : �Certes, il peut s'agir l� de d�penses de prestige. Pour avoir eu l'audace de projeter une nouvelle capitale de cette dimension en s'appuyant, d'abord, sur les moyens propres du pays et en tenant le pari des d�lais, il faut convenir que l'amour de la patrie habite les entrailles du Dr Mahathir !� C'est, � tous �gards, un moment de bonheur que de pouvoir rencontrer le Dr Mahathir sur lequel l'�ge ne semble avoir exerc� aucun effet, tant pour la vivacit� d'esprit que pour l'agilit� physique. Ces impressions de Malaisie seraient incompl�tes, cependant, si je ne faisais pas �tat de mon plaisir � avoir rencontr� de dignes enfants du pays, fiers de maintenir, vibrant, leur attachement � la patrie. La communaut� alg�rienne �tablie en Malaisie compte 300 personnes environ, concentr�es, pour la plupart, � Kuala Lumpur et � Penang. Compos�e � 70% d�hommes, pour l�essentiel des universitaires activant dans les secteurs de l'�ducation nationale et de l'enseignement sup�rieur. Une trentaine de cadres alg�riens, du niveau de docteurs, exercent en qualit� de professeurs au niveau des universit�s malaisiennes et aupr�s d'importantes firmes comme Petronas, Schlumberger ou Technip. Cette communaut� est regroup�e au sein de l'Association des Alg�riens r�sidant en Malaisie, mise sur pied en 2005 et que pr�side M. Noureddine Kaci. Cette association d�veloppe des activit�s d'entraide, de soutien, d'encadrement et de solidarit� avec les membres de la communaut� install�e en Malaisie pour cultiver le sentiment d'appartenance � une grande famille expatri�e. Et, une fois n�est pas coutume, cette communaut� entretient des rapports de confiance et de proximit� avec notre ambassade � Kuala Lumpur� Mais revenons � l�objet essentiel de ma visite en Malaisie. Laissons le Dr Mahathir pr�senter, � sa mani�re, son bilan et ses vues� Mohamed Chafik Mesbah Kuala Lumpur, f�vrier 2009 Bio-express du Dr Mahathir Bin Mohamed Mahathir Bin Mohamed est n� le 10 juillet 1925 � Alor Setar, capitale de l�Etat de Kedah, dans le nord-ouest de la Malaisie. Il a �t� le 4e Premier ministre malais, de 1981 � 2003. Le Dr Mahathir, comme l�appellent affectueusement ses concitoyens, a fait ses �tudes � Alor Setar puis au King Edward VII Medicine College � Singapour. Il entre dans l�administration comme m�decin militaire et exerce sur l��le de Langkawi. Il est �lu pour la premi�re fois au Parlement en 1964 mais perd son si�ge lors des �lections suivantes, en mai 1969. Successivement ministre de l�Education, vice-Premier ministre (1976) et ministre du Commerce et de l�Industrie (1978), il dirigea plusieurs missions � l��tranger pour attirer les investisseurs. Devenu Premier ministre, il est le premier chef de gouvernement qui ne soit pas d�origine aristocratique. Son credo politique, d�ment symbolis� dans son ouvrage de r�f�rence, Le dilemme malais, a port� sur la r�habilitation des sujets autochtones de Malaisie au profit desquels il a inscrit dans la Constitution m�me des droits privil�gi�s, une formule locale de �discrimination positive�. Il a veill�, depuis, � �quilibrer sa politique en veillant � garantir une �volution harmonieuse de la soci�t� malaisienne qui comprend des Malais, des Chinois et des Indiens. Partisan des �valeurs asiatiques�, encore plus des �valeurs islamiques�, le Dr Mahathir s'est distingu� durant son mandat par une audacieuse politique d'islamisation. Cr�ant la Banque islamique de Malaisie en 1982 et l'Universit� islamique internationale en 1983, il a pr�n� le respect des r�gles religieuses et mis en �uvre des programmes t�l�vis�s islamiques. Partisan d�un islam mod�r� et, surtout, modernis�, c'est-�-dire capable de propulser l'essor �conomique du pays, le Dr Mahathir est � l'origine de la modernisation de la Malaisie qui demeure un Etat musulman non s�culaire. Il ne r�cuse pas le statut de �despote �clair� qui lui est pr�t� et il n�h�site pas � recourir � la force lorsque le besoin s�en fait sentir. En septembre 1998, apr�s s��tre oppos� aux injonctions du FMI, au plus fort de la crise financi�re en Asie, il fit arr�ter son vice-Premier ministre Anwar Ibrahim, plus enclin � suivre ces injonctions, le faisant emprisonner puis condamner. Il a, efficacement, lutt� aussi contre les r�seaux d'Al Qa�da, �tablis en Malaisie, tirant parti des attentats du 11 septembre 2001. Pour reprendre la main contre le Parti islamique malaisien (PAS), il a recouru � des lois liberticides, des mesures polici�res et une censure brutale de la presse. Pendant son mandat, le Dr Mahathir a transform�, il est vrai, la Malaisie en un pays �mergent, un haut lieu de fabrication de produits high-tech et un hub financier et de t�l�communications � la notori�t� �tablie. C�est le Dr Mahathir qui est � l�origine des �Malaysia Plans�, cette politique �conomique bas�e sur le nationalisme corporatif qui a �t� maintenue m�me apr�s la fin de son mandat. Cette politique est symbolis�e par la d�marche strat�gique dite �Wawasan 2020� (Vision 2020) qui, au prix d�une croissance �conomique soutenue, est cens�e conduire la Malaisie au stade de pays d�velopp� � l��ch�ance fix�e. En 1997, lors de la terrible crise asiatique, le Dr Mahathir, qui avait ferm� le pays, appliquant une �potion nationaliste� � la malaisienne et chassant du pays les experts du FMI, avait permis � la Malaisie de r�aliser des taux de croissance impressionnants (8,1 % en 2000, 3,5 % en 2002, 5,5 % en 2003, bien sup�rieurs � ceux des autres �dragons� asiatiques qui s'�taient soumis aux ukases de la Banque mondiale). Le Dr Mahathir est � l'origine de projets �conomiques prestigieux en Malaisie : les tours jumelles de Petronas construites au c�ur de Kuala Lumpur. La nouvelle capitale Putrajaya, une �cit� intelligente� avec tous les �difices de l�administration gouvernementale. Le corridor de l'informatique et du multim�dia, Cyberjaya, une sorte de Silicon Valley� malaisienne. Sur le plan diplomatique, le Dr Mahathir, qui a toujours souhait� limiter l'influence britannique en Malaisie, a exerc� un r�le important sur la sc�ne r�gionale, � travers l�ASEAN d�abord, sa politique dite �Look at East� (regardez vers l�Est) ensuite, en s�effor�ant de promouvoir une Communaut� �conomique des pays asiatiques (EAEG, East Asia Economic Group) autour du Japon. Apr�s avoir, volontairement, abandonn� le pouvoir, en 2003, le Dr Mahathir, tout en conservant une forte influence politique, pr�side la Fondation Perdana et se consacre � l�activit� scientifique, en Malaisie et � l��tranger. Mohamed Chafik Mesbah : Je ne crois pas verser dans l�exc�s si je me fais l�interpr�te aupr�s de vous, des sentiments de respect et de consid�ration que nourrit � votre endroit le peuple alg�rien. Afin justement que cet entretien ne soit pas marqu� par de la complaisance, je vais �tre un peu incisif, pas impertinent, dans mes questions. Cela ne vous indispose pas ? Docteur Mahathir Bin Mohamed : Faites donc� Abordons, en premier lieu, si vous le permettez, le milieu historique qui semble avoir laiss� des traces sur votre parcours ult�rieur. Pouvez-vous �voquer, si vous le voulez, l�influence que celui-ci a pu avoir sur votre vie ? Je suis n� alors que la Malaisie �tait sous autorit� britannique. J�ai donc re�u une �ducation britannique et malaisienne aussi. J�ai d� vivre, par la suite, sous l�autorit� japonaise, j�ai d� vivre, alors, sous le feu. Les Britanniques revenus, j�ai eu � conna�tre l�autorit� militaire puis le r�gime civil. Toutes ces p�rip�ties avec tous ces types de gouvernement ont influenc�, naturellement, mon �ducation� Vous vous �tes engag� dans la vie politique assez t�t. Existe-t-il un rapport entre le contexte historique que nous venons d��voquer et votre engagement pr�coce dans le champ politique ? Pendant mes �tudes j�avais d�j� observ� la situation qui pr�valait dans le pays. Pendant le protectorat britannique puis sous l�occupation japonaise, je ressentais bien que nous �tions gouvern�s par des �trangers, ce qui me mettait vraiment mal � l�aise. A leur retour, les Britanniques voulaient faire de la Malaisie une colonie, alors qu�au pr�alable c��tait, seulement, un protectorat. Les Britanniques ont voulu s�approprier compl�tement la Malaisie. C�est � cette �poque, en 1946, que je me suis engag� en politique. La Malaisie d�range, de toute �vidence, la conscience occidentale. L�exp�rience de la Malaisie bat en br�che, en effet, des pr�jug�s tenaces sur des rapports de l�Islam � la modernisation sociale et �conomique. Avec le recul historique, vous pensez, vraiment, que le mod�le que vous avez symbolis� est un mod�le d�rangeant ? L�Occident, en effet, ne s�attend pas � ce que les pays musulmans puissent �voluer. Nous pensons le contraire. Nous pensons que l�Islam n�est pas un obstacle au progr�s. Nous pouvons faire tout ce que les non-musulmans, les Europ�ens notamment, font. Nous avons �t�, par exemple, sous l�autorit� britannique et nous avons adopt� beaucoup de m�thodes et de proc�dures britanniques. Nous nous sommes, cependant, concentr�s sur le d�veloppement du pays pour montrer que, sous l�autorit� britannique, le d�veloppement �tait tr�s faible et que nous pouvions, apr�s l�ind�pendance, faire bien mieux que les Britanniques. En ce sens, oui nous avons d�rog� � la perception occidentale des pays musulmans� En quoi a consist� la politique de discrimination positive sur laquelle vous vous �tes appuy� durant toute votre carri�re politique. Quel bilan faites-vous de cette politique ? Comme je vous l�ai dit, j�ai longtemps observ� mon environnement. J�ai vu que dans ce pays nous avions eu trois types de dirigeants diff�rents, trois cultures diff�rentes, trois langues diff�rentes et une conception strat�gique du d�veloppement �conomique variable selon chaque communaut�. Nous avions m�me constat� que les militaires n��taient pas tr�s favorables au changement dans le pays. Ce panorama complexe explique l�ampleur du d�fi auquel nous �tions confront�s. Nous devions nous battre pour mettre en place diff�rentes strat�gies avec diff�rentes races, bien que cela perturb�t quelque peu l�environnement. Le bilan, vous le voyez� A propos, comment faut-il vous appeler ? Monsieur le Premier ministre ou Dr Mahathir ? (Rires) Juste docteur Mahathir. L�organisation territoriale de l�Etat malaisien est assez singuli�re. S�agit-il d�un Etat f�d�ral ou unitaire? Comment d�crire et d�finir, sommairement, cette organisation territoriale ? Le syst�me est f�d�ral. Dans un m�me pays, nous avons treize Etats, chacun avec son propre gouvernement. Cependant, le gouvernement central reste tr�s influent. Certains Etats sont regroup�s en un seul Etat. Le gouvernement central assure, cependant, la gestion des finances pour toute la Malaisie. Pour nous r�sumer, la Malaisie c�est une structure f�d�rale mais avec un gouvernement central tr�s influent. Les formations politiques qui s�appuient sur la religion, l�Islam pour tout dire, s�efforcent de d�passer le clivage ethnique pour donner � leur projet la consistance la plus consensuelle. Vous pensez que ces formations islamistes ont r�ussi l� o� les partis traditionnels ont �chou� ? Les islamistes que vous �voquez ne le sont pas vraiment � nos yeux. Nous sommes �galement islamistes et nous suivons, parfaitement, les enseignements de l�Islam. Cela ne nous emp�che pas d�observer, �galement, ce que les non-musulmans font afin de pouvoir, nous-m�mes, mener notre religion l� o� ils ont pu mener la leur. Les groupes islamistes veulent, cependant, �tre exclusifs aux musulmans, mais dans des pays multiculturels nous ne pouvons r�ussir ainsi. A moins de travailler en coh�sion avec les autres religions pr�sentes en Malaisie. En r�sum�, nous pratiquons l�Islam sans complexe aucun, m�me si notre strat�gie est diff�rente, d'autant que c'est elle qui est le plus en ad�quation avec les v�ritables enseignements de l�Islam. Vous consid�rez qu�il est possible d�apporter la contradiction jusqu�� neutraliser ces groupes islamistes, par la seule voie politique ? Oui, car nous consid�rons que c�est notre interpr�tation de l�islam qui est la bonne. En 1400 ans d��volution de l�Islam, il y a eu tellement d�interpr�tations diff�rentes, parfois m�me contradictoires, de la religion musulmane. La plupart des groupes islamistes d�veloppent une conception exclusive de l�Islam qu�ils consid�rent comme une chose � ne pas partager avec les autres. Nous pensons que cette interpr�tation est fausse car le Coran ne nous interdit pas de reconna�tre les autres religions. Nous sommes m�me tr�s proches des enseignements de l�Islam et c�est bien parce que nous avons l�habitude de partager les enseignements de l�Islam que nous avons pu contrebalancer l�influence de ces groupes. Au total, les interpr�tations de l�Islam faites par les groupes islamistes sont fausses il ne leur est pas possible d�affirmer que notre interpr�tation est fausse. Vous n�h�sitez pas � consid�rer, pour reprendre vos propos, qu��une tyrannie qui respecte les int�r�ts de la soci�t� est pr�f�rable � l�anarchie ou � un gouvernement pseudo-d�mocratique soumis � une majorit� qui r�prime les minorit�s�. Vous faites m�me appel � la notion de �despote bienveillant� qui jouerait un r�le fondamental dans la th�orie et la pratique politiques islamiques. Vous ne craignez pas d�aller � contre-sens de l�histoire ? Il n�existe pas de syst�me politique parfait. Ni le syst�me f�odal, ni le syst�me capitaliste ne sont parfaits. Le syst�me d�mocratique aussi a ses faiblesses, les gens s�y opposent dans le but de s�approprier le pouvoir. Le syst�me f�odal est-il moins mauvais? Si le dirigeant y est peu performant ou faible vous ne pouvez pas, pour autant, lui retirer son pouvoir. A travers l�histoire de l�humanit�, nous avons, certes, connu dans les pays musulmans de tr�s bons dirigeants qui ont encourag� l�acquisition de la connaissance et du savoir, contribuant, singuli�rement, � d�velopper leurs pays. Aucun syst�me, cependant, n�est, par essence, enti�rement bon ou enti�rement mauvais. Dans le syst�me f�odal vous ne pouvez pas, comme je le disais, destituer le dirigeant lorsque les choses vont mal. Dans le syst�me d�mocratique, vous pouvez destituer le dirigeant mais, � c�t� de cela, il n�y a pas de stabilit� p�renne car l�opposition s�attelle toujours � s�approprier le pouvoir. Vous semblez partisan de la prise en charge, par l�Etat lui-m�me, des activit�s d�islamisation de la soci�t�. Vous dites, en effet, que �dans les pays o� l�Islam d�viationniste se d�veloppe, les dirigeants ne proposent pas de solution islamique�. Vous pensez qu�il n�est pas plus conforme dans un syst�me d�mocratique conventionnel de distinguer entre la religion et l�Etat ? La raison principale pour laquelle l�islam ne peut �tre s�par� de l�Etat, c�est que l�Islam est une mani�re de vivre et que la politique fait partie de la vie. Il est difficile de s�parer ces deux facettes. C�est pourquoi tout ce qui se fait en politique doit �tre soumis aux r�gles de l�Islam. La difficult� r�side, comme je le disais, dans nos interpr�tations divergentes de l�Islam. Les interpr�tations les plus r�centes, celles auxquelles vous faites r�f�rence, ne sont pas en ad�quation avec les enseignements originels de la religion tels qu�enseign�s par le Proph�te. Autrement, nous aussi, nous nous consid�rons comme fondamentalistes, car nous suivons les enseignements fondamentaux de l�Islam tels qu��dict�s dans le Coran et le Hadith av�r�. Il n�y a aucun probl�me � suivre cette voie. Mais si vous suivez ces interpr�tations r�centes que je viens d��voquer, vous serez dans l�embarras. Chacun y allant de sa propre interpr�tation, les diff�rentes interpr�tations peuvent �tres contradictoires ouvrant la voie � des conflits probables. C�est la raison pour laquelle les musulmans �prouvent de difficult�s � voir les autres musulmans comme des fr�res. Ce n�est pas l�Islam qui est la source du conflit, ce sont les interpr�tations divergentes. Abordons, � pr�sent, vos th�ses �conomiques. Est-il exact que vous consid�rez que la planification centrale est le moyen le plus s�r pour garantir la croissance �conomique du pays et limiter les effets pervers du capitalisme sauvage ? Oui, en effet. Voyez comment l�Am�rique est en proie aux difficult�s de la crise �conomique. Il n�y avait pas, dans ce pays, de contr�le sur le capital et le march� �tait, totalement, libre. Voyez les cons�quences qui en ont r�sult� avec l�effondrement de l��conomie. En Malaisie, nous planifions et nous contr�lons le d�veloppement �conomique. Les op�rateurs doivent travailler selon les r�gles fix�es par l�Etat. Si vous introduisez une libert� excessive dans l��conomie, les op�rateurs pourront faire n�importe quoi jusqu�� vous mettre dans l�embarras. Ils ont tendance � d�tourner le syst�me � des fins sp�culatives. En Malaisie, vous ne pouvez pas d�tourner le syst�me � des fins sp�culatives. Nous utilisons le syst�me capitaliste, nous avons des r�gles qui permettent, certes, � l�initiative capitaliste d�agir mais, seulement, jusqu'� une certaine limite� Pouvez-vous, � l�intention particuli�re des �conomistes alg�riens qui observent avec sympathie l�exp�rience de votre pays, d�crire l�architecture du syst�me de planification que vous avez mis en place, la chronologie de plans qui se sont succ�d� et, enfin, cette vision strat�gique d�nomm�e �Vision 2020� avec ses neuf objectifs qui constituent autant de d�fis. Ce n�est pas une planification rigide, ou de nature id�ologique, au sens o� vous le laissez entendre� Nous avons, en effet, adopt� la planification qui est une id�e d�inspiration communiste, mais dans un souci de pragmatisme. La planification a beau �tre une bonne chose, nous ne sommes ni socialistes, ni capitalistes. Nous n�avons aucune id�ologie, nous sommes, seulement, pragmatiques. Lorsque nous avons �tudi� la question du d�veloppement, nous avions estim� que le syst�me de planification centrale offrait un bon moyen de diriger les �nergies de tout le pays. Nous avions r�uni tous les intervenants pour d�finir un planning d�ex�cution apr�s avoir, d�ment, identifi� les objectifs � atteindre. Si nous n�avions pas eu d�objectifs pr�cis, nous nous serions dispers�s. Cela aurait induit une perte d��nergie consid�rable. Comme nous sommes un pays pauvre, nous devions utiliser ce que nous avions, d�une mani�re coordonn�e, pour pouvoir atteindre, rapidement, nos objectifs. Un certain nombre de r�alisations grandioses ont �t� achev�es ou lanc�es alors que vous �tiez Premier ministre. Il s�agit, par exemple, du fameux �Multim�dia Super Corridor�, des tours jumelles Petronas sans oublier Putrajaya, la nouvelle capitale administrative. Vos d�tracteurs affirment que ce sont des projets d�mesur�s par rapport � la dimension et aux moyens de la Malaisie. Nous nous sommes dirig�s, aussi, vers l�industrie automobile jug�e prestigieuse. En fait, comme c�est une industrie bas�e sur l�ing�nierie, l�id�e centrale consistait � utiliser l�industrie automobile pour stimuler le support aux ing�nieurs. Depuis que nous produisons des v�hicules, l�industrie � et la ma�trise de l�ing�nierie � s�est am�lior�e en Malaisie. Les op�rateurs savent, d�sormais, comment fabriquer et produire. Nous avions choisi de produire des voitures dans le but de stimuler l�industrie. Concernant le �Super Corridor Multim�dia� nous voulions, dans un premier temps, favoriser une industrie qui g�n�rerait des emplois pour nos compatriotes. Cependant, nous avions cr�� tellement d�emplois que les �trangers sont venus travailler chez nous. A ce moment-l�, les salaires de nos compatriotes �taient tr�s bas. La n�cessit� d�augmenter les salaires se faisant sentir, nous avions jug� utile de relever le niveau de comp�tence local. C�est dans cet esprit que le corridor fut cr�� puisque les NTIC requi�rent, en effet, un niveau de comp�tence �lev�. Le niveau des comp�tences s�est, d�ailleurs, �lev� de mani�re significative et les salaires des Malaisiens concern�s se sont am�lior�s jusqu�� se situer parmi les plus �lev�s dans la r�gion. Et � propos du plan de d�veloppement de Petronas ? Pour ce qui concerne Petronas, la Malaisie, comme vous le savez, produit, seulement, 650 000 barils/jour de p�trole. Elle dispose d�une r�serve limit�e en hydrocarbures. Tout s�arr�terait, si nous devions �puiser, rapidement, cette r�serve. Nous avons jug� important que notre compagnie nationale d�hydrocarbures soit pr�par�e � cette �ch�ance. Nous avons choisi d�aller vers d�autres pays non seulement pour trouver de nouvelles ressources mais aussi pour acqu�rir de nouvelles comp�tences et �tre en mesure de fournir les m�mes services que les multinationales. Certes, Petronas est une compagnie nationale d�hydrocarbures, mais elle n�est pas comme les autres compagnies nationales. C�est une compagnie internationale qui op�re aujourd�hui dans une quarantaine de pays dans tous les services, de l�exploration jusqu�aux op�rations de production sans omettre le marketing, la construction et maintenant les �tudes p�trochimiques� Petronas conna�t, � pr�sent, les m�tiers de l�industrie et peut s�exporter n�importe o� au m�me titre que les autres multinationales. Petronas est bien sous le contr�le de l�Etat ? Vous consid�rez que la gestion des ressources en hydrocarbures relevait des pr�rogatives r�galiennes de l�Etat ? Oui, compl�tement. Petronas est sous le contr�le de l�Etat lequel d�finit la strat�gie p�troli�re de la Malaisie. C�est un principe essentiel de notre politique. Evoquons, si vous le permettez, l�incident qui vous avait oppos� au FMI. L�ancien directeur g�n�ral du FMI, M. Michel Camdessus, en 1999, devant la commission des Affaires �trang�res de l�Assembl�e nationale fran�aise, affirmait que �la rh�torique qui accompagne le succ�s de la Malaisie n�a pas lieu d��tre ; celui-ci provient d�un contr�le normal de l��conomie et de l�assainissement du syst�me bancaire�. C�est la v�rit� ? Non, je ne suis pas d�accord avec l�ancien directeur g�n�ral du FMI. Si nous avions suivi, alors, le FMI, nous aurions �t� aujourd�hui de nouveau colonis�s. Les �trangers auraient pris le contr�le de notre pays. Si nous avions emprunt� de l�argent � l�ext�rieur, dans les conditions qui nous �taient impos�es, ceux qui nous auraient pr�t� auraient voulu g�rer notre �conomie. Nous ne pouvions pas accepter cela. Nous avions notre propre m�thode pour g�rer l��conomie de notre pays. Le monde sait, d�sormais, � commencer par les Etats-Unis, que c�est l�absence de contr�le de l�Etat sur l��conomie qui est � l�origine des d�r�glements et, donc, de la crise financi�re actuelle. Voyez comment tout le monde se presse, aujourd�hui, pour restaurer un certain contr�le public sur le march� financier� A ce propos, vous �tes adepte de la notion de �patriotisme �conomique� ? Jusqu'� un certain point. Oui au patriotisme �conomique s'il ne nous emp�che pas d�inviter les investisseurs �trangers � venir investir. Investir, notamment, l� o� nous n�avons ni la capacit� n�cessaire ni le savoir-faire utile. Bien s�r, si cela contribue au d�veloppement de l��conomie malaisienne� Vous avez �t� le premier homme politique � acc�der aux fonctions de Premier ministre sans provenir de l�aristocratie. Cette situation a-t-elle jou� un r�le dans le succ�s de votre politique d��quit� sociale ? Je viens d�un milieu ordinaire, en effet. Mon p�re �tait enseignant. Mais, peu importe l�origine. Si vous montrez de vraies capacit�s de meneur, le peuple vous choisira, naturellement. Ce n'est pas sur le crit�re de l�origine sociale que j'ai �t� choisi, m�me s�il est vrai que je ne suis pas d�origine aristocratique et que certains, parmi les pr�c�dents Premiers ministres, provenaient de l�aristocratie. Vous avez entam� votre vie politique en �crivant votre ouvrage de r�f�rence Le dilemme malais pour d�noncer l�exclusion politique, sociale, �conomique et culturelle de ceux que vous d�signez �les fils du sol�, les Malais de souche. Quel �tait, donc, cet �tat des lieux qui a tant suscit� votre d�sapprobation ? Ce pays est celui des Malaisiens, les �Bumiputras�, �les enfants du sol�. Pendant leur occupation du territoire, les Britanniques qui voulaient exploiter les ressources de la Malaisie ont favoris� l�immigration des Chinois et des Indiens pour travailler dans les mines et l'agriculture de plantation, ce qui a requis des changements dans les cercles malaisiens. Il y a certaines valeurs de la terre qui ont emp�ch� les Bumiputras de r�ussir, nous devions donc changer tout cela. C'est pourquoi nous devions apporter des signaux sp�ciaux pour les Bumiputras. Vous avez �t� le premier chef de gouvernement � s�impliquer, r�solument, dans la mise en �uvre de la politique d�int�gration sociale des diff�rentes communaut�s que compte le pays. Vous n�avez pas h�sit� ainsi, le premier, � participer aux f�tes du nouvel an chinois. La rivalit� entre communaut�s malaise et chinoise a-t-elle �t� r�sorb�e dans la Malaisie moderne ? En 1995, certaines tensions se sont fait jour parce que le gouvernement n�avait pas song� � niveler les disparit�s entre les diff�rentes communaut�s de Malaisie. Pendant mon mandat de Premier ministre, j�ai veill� � ce que ces disparit�s se r�duisent et j�ai consacr� beaucoup de mon temps � les r�duire encore plus. Vous �voquez les Chinois, ce sont �galement des citoyens de ce pays. Pour quelle raison devrais-je me tenir � l��cart de cette communaut� ? Lorsque des citoyens c�l�brent un �v�nement particulier, je me dois, en ma qualit� de Premier responsable du pays, de me joindre � eux. Rassurez-vous, je me suis aussi bien joint aux Indiens et, �videmment, aux Bumiputras� Certains observateurs consid�rent que votre politique de d�veloppement a consist� � favoriser l��mergence d�une bourgeoisie malaise florissante, une classe de capitalistes entrepreneurs et une nouvelle �lite d�hommes d�affaires. Votre pouvoir, justement, aurait repos�, essentiellement, sur l�appui de cette bourgeoisie nouvelle. Cette analyse ne vous choque pas ? Ces observateurs ont tort car la Malaisie est un pays, d�mocratique. Dans n�importe quel pays, ce sont les repr�sentants des travailleurs qui forment la majorit�. Si vous comptez sur le soutien de l��lite seulement, sans celui des travailleurs, vous ne pouvez pas r�ussir. L��lite ne repr�sente qu�une minorit�. Pourtant, je ne divise pas les gens en cat�gories sociales selon la richesse. Cela conduit, fatalement, � des antagonismes. Les riches ont la capacit� de cr�er des ressources, pourquoi devrais-je �tre contre eux ? Ils cr�ent de l�abondance, tant mieux ! C�est ainsi que le gouvernement peut se procurer de l�argent pour aider les pauvres. Si les riches ne prosp�rent pas, ils ne peuvent pas cr�er de ressources. Nous ne pourrions pas les taxer et, en Malaisie, �la corruption sur les taxes�, la fraude fiscale, est particuli�rement r�prim�e. Nous serions en manque d�argent pour cr�er des opportunit�s en faveur des pauvres. Observez comment l�Etat est intervenu pour offrir aux plus modestes malaysiens une scolarit�, y compris � l��tranger, pour leur permettre d�acqu�rir le savoir afin qu�ils se joignent, � leur retour, en tant que professionnels, � l��lite du pays. Voil� comment nous voyons le probl�me. Nous ne voulons pas distinguer entre pauvres et riches. Nous nous posons la question de savoir comment aider les pauvres � devenir riches. A ce propos, peut-on �voquer, s�rieusement, l�existence d�une voie asiatique de d�veloppement ? Nous prenons ce qui est bien de partout. Que ce soit des pays de l�Est ou de l�Ouest, du mod�le socialisme comme du mod�le capitaliste. Nous pensons que l�Occident dispose d�un bon savoir, donc nous voulons prendre ce savoir. Mais nous ne voulons pas des valeurs morales de l�Occident qui sont proches de z�ro. Si, toutefois, certaines valeurs occidentales sont bonnes, nous les adoptons. Vous pouvez regarder aussi vers l�Est o� les valeurs traditionnelles sont solides. Pour notre part, nous voulons, d�abord, maintenir les valeurs traditionnelles asiatiques que nous consid�rons bonnes. Tout cela est un processus de s�lection avis�. Nous n�adoptons pas les valeurs selon qu�elles viennent de l�Est ou de l�Ouest, nous les adoptons selon qu�elles soient bonnes ou mauvaises. Comment expliquer que l�arm�e malaisienne n�ait pas �t� tent�e par le d�mon de la politique. Cela s�explique par les origines de cette arm�e, par le fonctionnement, relativement, d�mocratique du syst�me malaisien ou, plus simplement, par la r�pulsion de la soci�t� malaisienne au m�lange des genres ? C�est dans la culture du pays. Notre arm�e est une arm�e professionnelle, son devoir est de prendre ses ordres des dirigeants �lus, donc du gouvernement. L�arm�e ne pose pas de questions au gouvernement, m�me s�il est mauvais. Ceci est valable pour les forces arm�es comme pour la police. Leurs ordres proviennent des pouvoirs �lus, m�me si c�est l�opposition qui est au pouvoir. L�Internal Security Act, ce dispositif de r�pression l�gal, est-il toujours en vigueur en Malaisie ? C��tait un instrument pour administrer le maintien de l�ordre ou un moyen de museler l�opposition ? L�objectif n�est pas de museler l�opposition. Nous avons diverses communaut�s en Malaisie, si vous permettez � chacune d�elles de ne parler que de sa propre situation en se battant contre les autres, vous aurez un pays qui ne pourra pas �tre stable. L�id�e est d�emp�cher les gens de soulever des conflits raciaux. Si quelqu�un le fait, il risque d��tre arr�t�, c�est aussi simple. D�un certain c�t�, l�Internal Security Act est un cadre protecteur. Il n�a pas �t� con�u pour punir les opposants ou restreindre les libert�s. Voil� pourquoi nous ne pouvons aller en justice. Nous avons des lois strictes qui r�gissent les d�tentions. Comme vous le savez dans les pays de l�Occident, les gens ne sont pas seulement gard�s � vue, ils peuvent �galement �tre battus. Cela n�est pas permis ici. Votre passage � la t�te du gouvernement de Malaisie a �t� marqu�, en particulier, par la mise en �uvre de cette d�marche politique qui �tait appel� �Look at East�. Une politique qui consistait � regarder du c�t� du Japon, de la Cor�e et de Ta�wan pour construire le mod�le malaisien de d�veloppement. Comment analysez-vous cette politique ? C�est simple. Nous avons observ� que la Cor�e et le Japon s�en �taient bien sortis des s�quelles de la guerre. Ces deux pays �taient compl�tement d�truits, mais ils ont �t� capables de se relever rapidement. Ils doivent donc avoir adopt� une bonne d�marche. Nous devions nous int�resser � leurs exp�riences, au lieu de regarder, uniquement, vers l�Europe et les Etats-Unis. Sans ignorer, totalement, les USA nous devions regarder aussi vers les pays asiatiques. Ce sont des pays nouvellement d�velopp�s qui connaissent les difficult�s du nouveau d�veloppement. Les pays europ�ens se sont d�velopp�s depuis plus de deux cents ans, donc de nos jours, les Europ�ens ont oubli� les difficult�s auxquelles ils ont d� faire face � leurs d�buts. Mais l�exp�rience des Japonais, des Cor�ens et des Ta�wanais, qui ont fait face � ces difficult�s et qui ont pu avancer, devrait nous �tre plus utile. Nous avons observ� leurs exp�riences pour apprendre les bases du d�veloppement �conomique. Sans tout adopter syst�matiquement. Les Japonais ont un bon syst�me de valeurs qui les rend fiers mais ils ont tellement peur de commettre quelque chose de honteux ! Si un Japonais fait quelque chose de honteux, il doit se suicider, cela est mauvais. Nous ne voulons pas que nos compatriotes en arrivent � cette extr�mit�, nous voulons qu�ils soient fiers de ce qu�ils font, nous voulons qu�ils r�ussissent, qu�ils soient hyperqualifi�s et capables de d�velopper leur pays� Avec le Pacifique, d�une part, qui s�affirme comme futur centre du monde et, d�autre part, le d�clin annonc� des pays du continent europ�en, o� se situe l�ancrage strat�gique de la Malaisie ? Dans cette r�gion du monde, beaucoup de conflits existaient qui menaient parfois jusqu'� la guerre. La guerre est mauvaise, tr�s mauvaise pour tout le monde, car personne ne gagne � la guerre. Si un conflit survient, nous devrions nous r�unir autour d�une table pour en parler, au lieu de nous battre. C�est la raison principale de la cr�ation de l�ASEAN. Plus tard, ce groupement a eu une facette �conomique. Nous avions constat� qu�en travaillant ensemble, nous �tions beaucoup plus capables de nous prot�ger. L�EEEC comprend donc, en plus, des pays comme le Japon, la Cor�e et maintenant la Chine qui sont des �conomies tr�s puissantes. Si nous les rejoignions, nous pourrions parler aux Europ�ens sur un plan d��galit�. Si nous sommes seuls, nous ne pouvons gu�re dialoguer avec eux� Est-il vrai que vous �tes, �galement, po�te ? Il m�arrive parfois d��crire des po�sies. Dr Mahathir, par-del� ce que les Palestiniens endurent � Ghaza, comment voyez-vous, en perspective, le d�nouement de ce conflit qui entrave le d�veloppement du monde musulman ? Les musulmans ne se battent pas encore, ils agissent sous le coup de l��motion. Leur d�marche se r�sume � cette image : �Vous tuez notre peuple, je tue votre peuple.� Les musulmans qui sont encore au stade de la col�re doivent apprendre que pour r�ussir, il faut planifier. Planifier, c�est mettre en place des strat�gies, pr�parer ses forces et r�unir les conditions ad�quates pour agir. C�est � ce prix, seulement, qu�ils r�ussiront. Les musulmans, dans leur majorit�, ne peuvent pas, actuellement, r�ussir car ils agissent avec les sentiments. L��motion est b�n�fique, vous devez avoir des sentiments, mais en m�me temps, vous devez faire preuve de lucidit� pour planifier et pouvoir gagner. En 2001, dans la revue Asia Week, vous aviez laiss� s��chapper une pointe d�amertume : �J�aurais d� rester m�decin. Lorsque j�exer�ais ce m�tier, j��tais populaire. Les gens m�aimaient.� Vous avez abandonn� le pouvoir parce que le doute vous avait gagn� ? Non, il ne s�agit pas du tout d�un doute de la nature que vous imaginez. Je me suis retir� du pouvoir � un moment o� j��tais encore extr�mement populaire. Je pouvais continuer � gouverner et certains m�ont demand� de continuer � le faire. Seulement, lorsque vous restez trop longtemps au pouvoir, les gens se fatiguent de vous. C�est une chose que j�ai apprise en Chine : �Si vous allez quelque part, ne restez pas trop longtemps�� C�est la m�me r�gle en politique. M�me si vous �tes un bon dirigeant, � force de rester trop longtemps, les gens finiront par se fatiguer de vous. Je me suis dit que vingt-deux ans de pouvoir, c��tait assez. Voil� pourquoi je suis parti. Docteur Mahathir, de nombreux chefs d�Etat dans le monde arabe et musulman craignent de quitter le pouvoir. Pour eux, il n�y aurait pas de vie apr�s le pouvoir� Non, c�est faux. Il y a encore beaucoup de choses � faire. Depuis que je ne suis plus Premier ministre, les gens viennent me voir sans cesse pour me demander conseil. Ce que je n�ai pas fait, par contre, c�est de mettre en place une dynastie. Une majorit� de gouvernants am�nent leurs enfants pour assurer leur rel�ve apr�s qu�ils se furent retir�s. Croyez-moi, c�est une dynastie inutile. Je n�ai pas �lev� mes enfants dans ce but l� et je leur ai interdit de s�engager en politique tant que j�exer�ais le pouvoir� Je me fais l�interpr�te d�une multitude d�intellectuels alg�riens qui souhaiteraient vous voir venir visiter l�Alg�rie pour pr�senter aux auditoires les plus vari�s l�exp�rience r�ussie de d�veloppement de la Malaisie que vous avez eu l�honneur de conduire. Puis-je consid�rer que vous ne rejetez pas cette invitation ? Je serai tr�s heureux de r�pondre � cette invitation.