Ta�eb Hafsi, professeur � HEC Montr�al, �tait l�invit� du Cercle d�action et de r�flexion autour de l�entreprise (CARE), ce vendredi. Les jeunes entrepreneurs qui animent cette belle association, cr��e en 2001, ont convi� � leur d�bat l�ancien Premier ministre, M. Mouloud Hamrouche, pour d�battre d�une question d�actualit� : la cr�ation strat�gique et le succ�s des entreprises non dominantes. Il s�agissait d��valuer les sources et le potentiel de comp�titivit� de nos PME dans un march� qui leur est naturel au regard des accords d�association : l�Europe. Ta�eb Hafsi, qui vit en Am�rique du Nord depuis 32 ans, est un th�oricien de l�organisation. Au-del� des strat�gies et des politiques � au demeurant non n�gligeables �, il s�int�resse surtout � la gestion des organisations complexes et plus particuli�rement � �la capacit� de ceux qui dirigent � comprendre�. A premi�re vue, nos entreprises �voluent dans un contexte concurrentiel qui leur est largement d�favorable ; elles y croisent des acteurs �conomiques plus puissants, mieux organis�s et disposant davantage de ressources. Sont-elles pour autant totalement in�ligibles � la comp�titivit� ? Non, soutient M. Hafsi. A certaines conditions, toutefois. La premi�re, et non des moindres, concerne leur accompagnement par l�Etat. M�me s�il ne peut se substituer � l�entreprise, ce dernier peut l�aider � la compr�hension de l�environnement, lui fournir les ressources compl�mentaires, lorsque cela est possible, r�duire les incoh�rences, les goulots d��tranglement et les incertitudes et stimuler ses performances. Outre la paix, l��quilibre et la vitalit� qu�il insuffle � la soci�t�, l�Etat est d�un pr�cieux soutien � l�entreprise. Son apport tient � l�ing�nierie et l�expertise (�tudes), l�accompagnement (recherche et d�veloppement, �ducation, infrastructures, d�marchage national, taxation favorable), l��quilibre macro�conomique (ma�trise de l�inflation, cr�dit, croissance, bases macro-sociales) et le soutien � la performance (il encourage la concurrence, d�veloppe les centres d�excellence, encourage l�interaction avec les meilleurs). L�histoire �conomique r�cente offre � cet effet nombre de mod�les, principalement quatre. Le mod�le sud-cor�en repose sur de grandes entreprises construites par l�Etat ; Taiwan met l�accent sur la PME avec un Etat qui agit comme ma�tre d��uvre ; la Turquie ou la Malaisie mettent en �vidence un appareil administratif exceptionnellement actif ; la Chine fait valoir un d�veloppement pragmatique, par exp�rimentation. L�exp�rience taiwanaise procure ici un int�r�t particulier. Contrairement aux id�es re�ues, l�Etat y est extr�mement pr�sent : horloger, au sens voltairien du terme, il veille au suivi et � la planification, � la mise en �uvre de la strat�gie avec une tr�s grande coh�rence des actions dans le temps ; il �met des normes, encourage les PME. �La meilleure des id�es ne vaut rien sans coh�rence dans l�action�, insiste M. Hafsi. Une autre id�e re�ue est battue en br�che par le mod�le taiwanais : il donne � vivre l�un des pays les plus �galitaires au monde, avec une forte justice sociale et une sacralisation des valeurs ancestrales D�complex� vis-�-vis du �communisme continental� sur le plan de l��quit�, il favorise le d�veloppement scientifique et technologique, d�une part, la formation de la personne, d�autre part. L��tude des mod�les autorise M. Hafsi � tirer d�autres enseignements. Le premier, et non des moindres au regard d�un certain discours local, atteste du r�le crucial du contexte et de la strat�gie pour la r�ussite de l�entreprise. Deux mots sur le contexte. Il met en �vidence le poids des institutions : con�ues en changement constant, elles d�terminent les comportements, au moyen des lois et r�glements, des normes de comportement professionnel et soci�tal, de la formation des esprits et de la culture. Reste alors � disposer d�une strat�gie. Si le conf�rencier se hasarde � en fixer �l�orthodoxie�, il prend bien soin de pr�ciser pr�alablement que l�exercice rel�ve de la m�taphore car chaque entreprise est unique et il n�existe vraiment pas de grandes strat�gies g�n�riques. La recherche d�une strat�gie unique est au c�ur d�une d�marche qui se construit sur le risque et l�intuition pour une meilleure compr�hension du client. �Ce dernier doit trouver de la valeur� et il n�est jamais d�finitivement acquis. A l�exp�rience, trois grandes le�ons m�ritent d��tre retenues ici : il s�agit d�une strat�gie asym�trique pour un avantage concurrentiel durable, avec une attention soutenue pour client et une organisation qui fonctionne comme une personne humaine. Les strat�gies gagnantes sont fondamentalement asym�triques au sens o� elles s�opposent aux logiques dominantes avec un engagement tr�s coh�rent, r�alisable et patient (une construction strat�gique prend beaucoup de temps). M�me s�ils sont plus faciles � �noncer qu�� mettre en �uvre, ces enseignements autorisent, de l�avis de M. Hafsi, � d�fier des g�ants, m�me en situation de confrontation directe. La recette du succ�s tient � trois concepts (l�un n�excluant pas l�autre) : diff�renciation, focalisation, leadership sur les co�ts. Op�rer par diff�renciation, c�est offrir quelque chose d�unique per�u par le client (en termes de design, de service, de r�seau) ; la focalisation consiste � tr�s bien servir une cible particuli�re. La strat�gie par les co�ts est l��uvre des entreprises japonaises qui, quoique de plus petite taille, ont conquis le march� nord-am�ricain par une qualit� meilleure � des prix plus bas. Longtemps soup�onn�s de dumping, les Japonais n�ont pas h�sit� � ouvrir leurs portes � leurs concurrents qui ont fini par reconna�tre que leur avance technologique faisait la diff�rence (emploi des robots) � une avance qu�ils n�arr�tent pas de creuser depuis gr�ce � une sup�riorit� dans le fonctionnement de l�organisation. L�action sur l�organisation, interne et externe, vise � amener des agents libres et ind�pendants � aller dans une m�me direction et vers un m�me objectif. Nous sommes en pr�sence d�agents qui con�oivent tout en r�alisant, mobilis�s autour d�objectifs in�dits et reposant sur la confiance. C�est donc � tort que l�on viendrait � exclure ou � n�gliger la coop�ration entre agents anim�s par un r�ve, tant il est vrai que l�organisation est certes un syst�me de coop�ration mais elle est �galement, et surtout, une aventure des plus stimulantes. Ici, M. Hafsi aime � rappeler la th�orie de la coop�ration de Barnar et celle du leadership du sociologue am�ricain Selznik. Ce dernier s�est particuli�rement int�ress� au management des partis communistes d�Europe de l�Est pour percer le myst�re de leur dynamisme. Il en a conclu que, comme pour les entreprises am�ricaines, les valeurs sont au c�ur des organisations durables. Dans sa qu�te du meilleur rapport entre la contribution et la compensation de l�agent, le gestionnaire use de leviers incitatifs, mat�riels ou autres, mais ces atouts atteignent vite leur limite en raison de leur caract�re inflationniste. Il convient alors de prendre en compte la persuasion, les valeurs partag�es � l�int�rieur de l�entreprise. La contextualisation de l�av�nement de l�Islam autorise M. Hafsi � se demander si les soup�ons que nos pr�curseurs faisaient peser sur l�appareil de l�Eglise dans la d�formation du message divin ne nous rendent pas r�tifs ou r�sistants � la notion d�organisation. En pla�ant au c�ur de la foi la libert� du croyant et sa relation directe avec le Cr�ateur, nous cultivons une perception contraignante de l�organisation. Le d�fi culturel n�est-il pas alors de mettre au point des formes d�organisation qui mettent � profit cette soif de libert� ? M. Hamrouche lui embo�tera le pas pour sugg�rer une autre pesanteur : l�absence de pouvoir national depuis le XVIe si�cle : �Les pouvoirs successifs ont pr�caris� la soci�t� locale et lorsqu�on a rebondi, � l�ind�pendance, on l�a fait en allant chercher ailleurs nos mod�les de gestion et de gouvernance, greff�s du jour au lendemain. R�sultat : nous n�avons pas d�autre mod�le ou d�exp�rience en dehors de ceux de l��chec.�