Assis dans la salle d'attente, une revue � la main que je feuilletais d'une mani�re rapide et sommaire, l'esprit tendu et absent, j'attendais mon tour de passage pour une consultation chez le psy ; une foule de patients comme moi �tait l� en ce d�but de semaine dans la ville de Chlef. La porte s'ouvre et l'assistante m�dicale me fait signe de la t�te : c'�tait mon tour. A l'int�rieur du cabinet de consultation, le psy �tait l� debout au milieu de la salle et il y avait une esp�ce de canap� dans lequel le docteur m'avait invit� � m'allonger, apr�s m'avoir demand� de me d�barrasser de mon veston. Il prit alors place en face de moi, dans son fauteuil, un carnet de notes � la main et avec un l�ger petit sourire, il me dit : �Qu'est-ce qu'il y a, Adel ?� Je lui r�pondis : �Voil� docteur, je suis compl�tement abattu et d�courag� et je n'aspire plus � vivre ici au milieu de ma famille. J'ai des probl�mes d'ordre familial avec ma m�re, et � cause de cela, je suis perturb�, je ne trouve plus le sommeil, je suis tout le temps pensif, je n'ai plus d'app�tit. En quelque sorte, j'ai perdu le go�t de la vie et des fois j'ai envie de commettre l'irr�parable par la faute de toutes ces tracasseries et ces mis�res.� Il m'interrompit pour me dire : �Quels sont ces probl�mes ? Cite-les- moi tous, je veux les conna�tre, pour ton bien�� Alors, je repris dans une longue litanie : �La tristesse que j'ai connue et le malheur que j'ai v�cu et les drames que j'ai support�s avec ma m�re ! C'est une femme imposante et s�v�re, elle a une sant� de fer, une situation financi�re florissante et tous les atouts pour �tre heureuse, elle et tous ses enfants, mais, h�las, ce n'est pas le cas ; elle a perdu tous les sentiments d'amour qu'une m�re a pour son enfant. Voyez, docteur, je suis sans activit� et je n'ai pas de sous, j'ai des enfants � charge et je suis sans travail, je suis locataire chez un particulier et ma m�re, en connaissance de cause, ne veut pas m'assister, ni m'aider � faire face � cette p�nible situation. M�me mes propres enfants ressentent le rejet de leur grand-m�re. Je lui ai demand� de me pr�ter de l'argent, elle a refus�, sachant tr�s bien que je n'ai pas de salaire contrairement � mes autres fr�res. Elle ne dit jamais non et pour cela je ressens la discrimination, ils sont les pr�f�r�s, toujours bien choy�s et bien entretenus ; ils ne manquent de rien, c�est toujours eux les privil�gi�s alors que ceux-ci ne sont pas dans le besoin. Docteur, j'ai envie de prendre le chemin des harragas, m�me au p�ril de ma vie, pourvu que je sois loin et que je puisse vivre dans la dignit� mes enfants et moi sans demander la charit� aux autres. Vous savez, docteur, ma m�re a un logement inoccup� et elle pr�f�re le laisser ferm� que de me le donner ! Comment une m�re peut-elle traiter ainsi son propre enfant ? Je crois que ma m�re est trop mat�rialiste et qu'elle pr�f�re mes autres fr�res � moi parce qu'ils lui font des cadeaux tout le temps, mais moi je n'ai pas les moyens, pour cela elle ne me respecte m�me pas devant ma femme et mes enfants, allant jusqu'� me traiter de tous les noms d'oiseaux (berraredj, ouedj el hama, el ghrab). Durant ces moments p�nibles � vivre, je pique des coups de col�re et je pleure mon destin, mais pas en sa pr�sence ; je la crains tout le temps, de toutes les fa�ons elle reste indiff�rente et passive � tout ce que je fais et ce que je dit. L'autre jour je lui ai dit : m�re je vais partir loin et je ne reviendrai plus ici, ma place est � c�t� de mes fr�res harraga, peut-�tre qu'eux aussi ont les m�mes probl�mes avec leur m�re, sait-on jamais ! Elle m'a r�pondu que je ne suis qu'un bon � rien et que je suis inutile sur cette terre et que ma mort vaut mieux que ma vie. Dans ces circonstances, voil� docteur j'ai tout dit, je voulais parler � une oreille attentive, peut-�tre qu'elle pourrait m'apporter un r�confort parce que j'en ai vraiment besoin en ces moments difficiles !� Le docteur se releva de son fauteuil et regagna son bureau et commen�a � griffonner une ordonnance. J'�tais l� debout et je l'observais, absorb� et songeur� Je me voyais d�j� dans une barque en pleine mer, � la recherche d'horizons meilleurs pour me soustraire � cette hogra, quand la voix du docteur est venue mettre un terme � ce voyage : �Tiens, me dit-il, je t'ai prescrit un traitement qu'il te faudra suivre scrupuleusement pour ta sant� ; autre chose, je te conseille de changer d'air et de trouver une autre m�re plus sentimentale au-del� de la mer !� Il me regarda et me souhaita bonne chance et me remit ma note m�dicale que je n'ai m�me pas regard�e et que j'ai enfouie dans ma poche. Je lui ai pr�sent� un billet de 1 000 dinars pour ses honoraires, il les a refus�s. Sur ce, je me suis dirig� vers la porte de sortie apr�s avoir salu� le m�decin et, au moment o� je m'appr�tais � quitter le seuil de la porte, la voix du docteur m'interpella : �Au fait, Adel, comment se pr�nomme ta m�re ?� Je lui r�pondis sans me retourner : �Patrie. �