En ces temps o� l'id�e m�me de nation alg�rienne est menac�e dans son int�grit� sinon dans son essence, il est excellent de se rappeler que l'Alg�rie s'�tait dot�e, il y a cinquante ans, le 19 septembre 1958, d'un GPRA. L'initiative, destin�e � �restaurer l'Etat alg�rien�, selon l'un de ses membres, Abdelhamid Mehri en l'occurrence, �tait tout b�n�fice pour l'Alg�rie en lutte. �Restauration� ? A voir ce qu'en diront les historiens. Sa proclamation �tait en tout cas ressentie comme une fiert� par le peuple alg�rien dont les symboles avaient �t� confisqu�s de longue date par le colonialisme. Les combattants de l'int�rieur et la population, qui portaient le poids de la guerre de Lib�ration, prenaient une bouff�e d'oxyg�ne en sachant que la R�volution dont ils �taient la cheville ouvri�re passait d�sormais � la phase sup�rieure en tissant des relations d'Etat � Etat avec les pays favorables � son combat. Ce gouvernement, dirig� tour � tour par Ferhat Abbas et Benyoucef Benkhedda, des �politiques �, des vrais, est a posteriori cens� donner � une r�volution domin�e par les tenants de la force brutale contre la gestion politique, l'impulsion qui la mettrait sur une voie d�mocratique ou, � tout le moins, repr�sentative des courants parcourant la nation. Il �tait certes utopique d�imaginer un gouvernement � civil � pour repr�senter un peuple en guerre, l�exigence par contre, difficile � r�aliser mais vitale pour l�avenir, �tait d�articuler le plus possible les buts de guerre et les orientations politiques et d�mocratiques de lib�ration. Dans certaines contributions vers�es au cinquantenaire du GPRA, on oppose cette nature vertueuse de la vocation politique du GPRA au cloaque actuel commis patiemment depuis l'ind�pendance et depuis le coup d'Etat qui a hiss� la hi�rarchie de l'arm�e des fronti�res au pouvoir. Le sch�ma insinu� semble opposer, d'un c�t�, cette p�riode o� la politique, au sens noble du terme, �tait au pouvoir � travers le GPRA et, de l'autre c�t�, ce basculement, une fois l'ind�pendance acquise, en faveur de la force qui a port� aux leviers de d�cision les ferrailleurs qui ne les l�chent plus. Il y a autant de v�rit�s dans cette simplification qu'il y en a dans une caricature. Rien n'est faux, en somme, mais tout est dans la d�mesure. Si la proclamation du GPRA a �t� un moment qualitativement sup�rieur de la R�volution alg�rienne, il n'est certainement pas un moment de gr�ce opposable � d'autres moments, de perdition ceux-l�. Le GPRA, dont la liste a �t�, dit-on, dress�e en 20 minutes, ne peut pas ne pas avoir �t� le fruit d'une cha�ne de compromis et de rapports de force qui ont fait de la R�volution alg�rienne, du moins de sa direction ext�rieure, un organisme fragile et mouvement�, constamment menac� par les recompositions intempestives. �Le r�flexe Boussouf�, comme d�crit par Lahouari Addi, a pr�c�d� la proclamation du GPRA et lui a surv�cu. Pour que le GPRA f�t l'exception d�mocratique dans une direction politique institu�e par la poigne, il e�t fallu combattre d'abord cette tendance, fortement ancr�e au sein de cette direction et de la base politique dont elle a �t� l��manation et le r�sultat. Pour s'en �tre accommod�, sans doute sans en avoir d'autre choix, le GPRA a �t� vid� de la sc�ne publique par les ba�onnettes. Une parenth�se. Le syst�me policier et r�pressif mis en place par des courants activistes a �t� bien plus large que les personnalit�s souvent cit�es comme embl�matiques de ce courant ; il s�agit d�un ph�nom�ne socio-politique de masse. Chaque fois que ce syst�me est critiqu� comme architecture de pouvoir, ses d�fenseurs arguent invariablement de son patriotisme. A supposer que, jusqu'alors, il ait �t� chimiquement impossible que l'on soit � la fois patriote et partisan de l'autoritarisme, Abdelhamid Boussouf et bien d�autres ont contrari� la r�gle. Ils sont loin d'�tre les seuls d�tenteurs de cet �exploit�. Dans maintes r�volutions, le patriotisme ainsi que la force et la ruse tourn�es contre ses propres compagnons tout aussi patriotes ont cohabit� en �tant souvent consubstantiels. Il y a quelque chose de torve dans ce gr�garisme qui pousse � d�cliner des t�moignages sur la sinc�rit� de l'engagement de Boussouf ou d�autres quand ce sont une doctrine et des m�thodes qui sont interrog�es. Si l'Alg�rie vit depuis l'ind�pendance dans un syst�me � la prussienne � une arm�e poss�dant un pays et non l'inverse � , c'est que les fondations ont bien �t� pos�es quelque part dans l'histoire. Et c'est �videmment par la recherche ind�pendante des historiens et un regard plus objectif et moins sectaire des politiques que cela peut �tre �lucid�. Pas du tout par ces positions passionn�es qui entrem�lent la d�fense d'une m�moire avec la pr�servation des int�r�ts du pr�sent. M�me s'il a donn� l'image �politique� d'une institution que la respectabilit� tient loin des bagarres de koursi, comme on disait sans doute d�j�, le GPRA n'en a pas �t� exon�r�. Une histoire de cette institution montrera sans doute que pas moins que d'autres organes de la R�volution alg�rienne, le GPRA n'a �t� exempt� des luttes intestines de domination qui sont devenues pour longtemps l'�me de cette �culture� du pouvoir autoproclam�, en dehors et � l�encontre des contre-pouvoirs de la soci�t�. L'�viction du GPRA, o� les tenants de la force avaient la supr�matie, de Ferhat Abbas, un mod�r� radicalis� par le complexe du rappel de ses anciennes positions, �tait un signal de plus dans les luttes de pouvoir. Il pr�figurait le coup de force du duo Boumediene-Ben Bella contre Benkhedda et ses ministres lorsque, toutes affaires cessantes, apr�s le cessez-le-feu du 19 mars 1962, tout le monde accourut pour la conqu�te d'Alger. Et c'est l� o� l'illisibilit� commence. Comment lire les ralliements de responsables �politiques �, � commencer par le premier d'entre eux, Ferhat Abbas, au �clan de Tlemcen� en passe de prendre le pouvoir par la force ? Comment trouver une coh�rence � ces faits d'histoire s'ils ne sont pas �clair�s par la pr�gnance insoup�onnable, chez des hommes form�s apparemment � l'�cole du d�bat, de cette �culture des chefs de guerre� qui signifie la pr��minence de la force brutale sur l'argument ? D�crypter aujourd'hui, en th�orie comme en pratique, les ressorts de cette �illisibilit� est sans aucun doute l'une des t�ches d�cisives pour un avenir d�mocratique renouant avec l'esprit de la proclamation du 1er Novembre 1954. Abbelhamid Mehri a raison de proposer qu'on int�gre dans le calendrier national le 19 septembre, date de la proclamation du GPRA, et qu'on en vire plut�t le 19 juin, c�l�bration d'un coup d'Etat. Pour autant, cela ne transforme pas une institution qui a �t� l'anc�tre de l'Etat alg�rien avec son inspiration de parti unique, ferm� par exemple � la participation et � l��coute d�autres partenaires de la lib�ration nationale comme les communistes et d'autres, en �lot d�mocratique dans une mer nationaliste secou�e en permanence par les temp�tes pour le pouvoir.