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50e anniversaire de la proclamation du GPRA : Les premiers pas vers la restauration de l'Etat algérien
Publié dans El Watan le 18 - 09 - 2008

Le 19 septembre 1958, dans une déclaration lue de façon monocorde de sa voix pierreuse et son accent prononcé aux « r » roulés comme autant de graviers, Ferhat Abbas proclamait la naissance de la République algérienne en annonçant à partir du Caire devant les représentants de la presse du monde entier la constitution du gouvernement provisoire dont la présidence lui avait été confiée.
Simultanément, en écho, Krim Belkacem et Mahmoud Cherif, tous deux membres du premier cabinet, faisaient de même devant les journalistes accrédités dans la capitale tunisienne. Les trois jours qui précédaient étaient chargés. Dans une vaste pièce aménagée en salle de réunion de l'immeuble de cinq nivaux, situé au 4 rue Moudiriet el Tahrir au Caire, acheté par le FLN sur ses deniers propres pour affirmer son indépendance vis-à-vis des dirigeants du pays hôtes, le Comité de coordination et d'exécution (CCE) s'était réuni pour discuter des modalités pratiques en vue de la formation d'un gouvernement provisoire dont l'idée avait été soumise à réflexion à un certain nombre de cadres dès la fin du mois de juin. Cette initiative entrait dans les prérogatives du Comité et l'idée de créer une telle institution a souvent été évoquée, mais pour des raisons d'équilibre des forces au sein de la sphère dirigeante de la Révolution, la suggestion a réuni des suffrages variables mais jamais l'unanimité ou, à tout le moins, un quorum solide pour l'appliquer sans risque de déséquilibrer toute la structure composite du front.
Sans céder à l'apparat ou aux grandiloquences qui, pourtant, ne dépareilleraient pas la solennité des événements qu'ils suscitaient et auxquels ils donnaient vie, les dirigeants de la Révolution algérienne, selon différents historiens et plusieurs témoins, aimaient néanmoins sacrifier aux formes, mêmes sobres, que demandaient les circonstances. Mais pour une fois, c'est sans liturgie aucune que le CCE a planché, trois jours durant, sur la mission et la composition de ce nouvel organe exécutif de la Révolution. Toute la direction issue de la réunion du CNRA, au Caire, qui s'était tenue le 20 août 1957 et qui avait sérieusement malmené les décisions du Congrès de la Soummam, était consciente de la gravité du moment. Ils savaient tous que le monde entier allait commenter, interpréter, discuter, charcuter les moindres détails de la décision qui allait être annoncée.
Les journalistes rapportent que c'est Abdelhamid Mehri, en sa qualité de benjamin du CCE, qui avait la charge de récapituler la liste du tout premier cabinet gouvernemental de la République algérienne proclamée par incidence. Parce qu'aucun texte qui se rapporte directement, en la nommant, à la naissance de la République n'existe ni n'a été élaboré. « Le CCE est officiellement dissous, déclare Mehri, voici la composition du GPRA », suit la liste des membres (voir encadré).
Plus prosaïquement, le GPRA n'était rien d'autre que le CCE d'août 1957, marqué par le retour de Ben Khedda, l'inclusion de M'hamed Yazid (délégué du FLN aux Nations unies) et l'exclusion du bouillant colonel Ouamrane dont visiblement on n'aimait pas les coups de gueule. Sans doute pour taire d'éventuels sarcasmes des probables dépréciateurs, trois secrétaires d'Etat ont été prévus, tous issus de l'intérieur et géographiquement répartis de manière équilibrée. Si la cause du mythique premier colonel de la Wilaya IV, maquisard depuis les années quarante, a été entendue en trois coups de cuillère à pot, c'est entre autre le poste de Président qui a accaparé les trois-quarts du temps des responsables du FLN réunis à huis clos sur les rives du Nil en ces caniculaires journées de septembre.
A ce propos, Ferhat Abbas rapporte, dans ses Mémoires, de peu élogieux échanges verbaux entre Krim Belkacem et Mahmoud Cherif. Mais tout cela ne concernait que les affaires familiales et quoiqu'il en coûtât aux uns et aux autres, le FLN n'allait pas déroger à la règle de montrer en toutes circonstances des rangs unis et de paraître devant l'opinion nationale et internationale les coudes soudés, les rangs ordonnés et la hiérarchie respectée. Le consensus s'est finalement fait autour du nom du vieux leader de l'UDMA dont la modération pouvait être interprétée comme un signe en direction de l'ennemi qui s'apprêtait à se doter d'une nouvelle Constitution (référendum du 26 septembre 1958) et proclamer une nouvelle république, la cinquième. Depuis que De Gaulle était revenu aux affaires, ça bougeait pas mal en métropole mais dans toute ces gesticulations militaro-politiques gaulliennes, les Algériens ne percevaient que le cliquetis des armes qui s'amplifiait. Le plan de Constantine qui allait être annoncé jours suivants (octobre 1958), n'était que la carotte qui précédait le bâton, et quel bâton ! La France gaulliste mettait en place le plan Challe : le projet militaire les plus impitoyable que la guerre ait connu !
L'Algérie sous De Gaulle allait donner le spectacle d'une des pires tragédies du XXe siècle. Tous les moyens seront utilisés pour casser l'ALN, éliminer le FLN et trouver une troisième force avec laquelle il était possible de parvenir à un compromis qui sauvegarderait largement les intérêts de la puissance colonisatrice. Quitte à proclamer une république métayère où les Algériens seraient des khammès contractuels et les Européens transmués en touristes à demeure et à vie.
Mais la proclamation de la République et la désignation d'un gouvernement en exil allait booster les convictions nationales et donner de la chair au combat en ce sens qu'à mesure que les pays reconnaissaient le GPRA, cela confirmait la justesse de la cause et l'inéluctabilité de la lutte. Ces consécrations étaient ressenties comme autant de victoires. Les questions internes surmontées, restait celle qui concernait l'information à destination des pays frères, notamment l'Egypte et la Tunisie. Il n'était un secret pour personne que Ferhat Abbas n'avait pas la sympathie de Gamal Abdel Nasser qui le trouvait justement un peu trop « modéré » ; pas suffisamment « Arabe » ; passablement « pro-occidental » et « médiocre » révolutionnaire, peu porté sur les débordements « fraternisants » de la qawmiyya el arabiya de rigueur à l'époque.
Aussi lorsque Tewfik El Madani, tout nouveau ministre des Affaires culturelles, s'est présenté pour annoncer la création du gouvernement provisoire, le Raïs (ainsi que la presse appelait le leader égyptien), ne l'a pas reçu et c'est Fethi Dib, chef des moukhabarat et interface avec le FLN, qui lui signifiera que les responsables du Front ont commis une grave erreur en proclamant un gouvernement. On ne sait quel crédit accorder à l'affirmation de Courrière qui ajoute que Le Caire aurait souhaité que dans ce gouvernement ne figurent que « les frères emprisonnés à La Santé ». Au lendemain de l'annonce officielle de la création du GPRA, Tewfik El Madani se serait présenté à nouveau au Palais du gouvernement mais cette fois accompagné de Ben Khedda, ministre des Affaires sociales, et de Mahmoud Cherif, ministre de l'Armement, venus en renfort de Tunis, pour rencontrer un membre du gouvernement.
C'est encore une fois le major Dib qui les a reçus et leur a répété les griefs des autorités égyptiennes, qualifiant l'attitude indépendante des Algériens « d'inacceptable ». Mais cette fois c'était compter sans la présence de Mahmoud Cherif qui, en Chaoui qui se respecte et se fait respecter, lui envoya une volée de bois vert aurésien. Selon Courrière, le colonel de la Wilaya I, lui aurait répliqué : « Monsieur le commandant, nous sommes étonnés qu'après un séjour de dix-neuf mois dans votre capitale, au cours desquels nous vous avons souvent rencontré, vous ayez la prétention de domestiquer nos âmes. Sachez Monsieur le commandant, qu'en plus de 120 années d'occupation, les Français n'ont pu seulement domestiquer que nos corps ! »
Sur ce, ajoute l'auteur contestable par ailleurs de La Guerre d'Algérie, « les trois ministres du nouveau GPRA tournèrent les talons. Quelques heures après, la République arabe Unie (Egypte) reconnaissait le Gouvernement provisoire de la République algérienne ». C'est après ces frictions que le GPRA prit à l'unanimité la décision de quitter Le Caire pour s'installer à Tunis. Il faut dire aussi que le président Bourguiba, tout en faisant contre mauvaise fortune bon cœur, n'avait pas apprécié que les dirigeants du FLN s'engagent dans une nouvelle phase de leur lutte sans qu'il ait été consulté. En effet, pour nombre de pays, reconnaître le GPRA revenait à rompre avec la France, laquelle avait d'ailleurs menacé de couper toute relation avec quiconque reconnaîtrait la jeune République. Pour Saâd Dahlab, « la constitution et la proclamation du premier Gouvernement provisoire de la République algérienne était la restauration de la souveraineté algérienne ». Ce fut, dit-il, « un événement historique qui eut le même effet en Algérie, en France et dans le monde que le 1er novembre 1954 ».
Sources
Saâd Dahlab. Pour l'indépendance de l'Algérie. Mission accomplie. Ed. Dahlab. (Alger 1990).
Mohamed Harbi. Une vie debout. Mémoires politiques T1 1945-1962. Casbah Editions. (Alger 2001).
Benjamin Stora - Zakya Daoud. Ferhat Abbas, une autre Algérie. Denoël (Paris 1995).
Abdelmadjid Belkherroubi. La naissance et la reconnaissance de la République algérienne. Etablissement Emile Bruylant. (Bruxelles 1972).
Gilbert Meynier. Histoire intérieure du FLN. 1954-1962. Librairie Arthème Fayard. (Paris 2002).
Yves Courrière. La guerre d'Algérie. T3 L'heure des colonels. Arthème Fayard (Paris-1970).
Les textes fondamentaux de la Révolution. Editions ANEP. Alger-2005.


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