Pilier contre pilier, les b�tisses de La Casbah se soutiennent. Blotties les unes contre les autres, elles tentent de r�sister au temps et � la b�tise humaine. Eventr�es, les quelques maisons encore debout semblent prier pour qu�aucune ne tombe et n�entra�ne dans sa chute les autres. En ce mois de Ramadan, La Casbah d�Alger offre un visage d�solant. Le b�ton a envahi la vieille ville et on y entendrait presque le cri de d�tresse de ses habitants. Reportage r�alis� par Nawel Im�s En entamant l�ascension de La Casbah par la rue Sidi-Idriss, attenante au mausol�e de Sidi Abderrahmane, une odeur d��gout et d�ordures vous prend � la gorge. Dans cette ruelle o� les artisans se suivent sans se ressembler, les b�tisses sont d�un blanc immacul�. Elles ont visiblement �t� restaur�es r�cemment. Dans sa petite �choppe, un vieux menuiser coupe du bois. Un dinandier lustre un plateau magnifique. L�odeur mise � part, cette image r�concilie presque avec l�id�e qu�on se fait des lieux. Il faut cependant avancer, aller dans les entrailles de La Casbah pour se rendre compte du massacre. Pour comprendre que le circuit que nous venons d�emprunter est celui r�serv� aux quelques touristes qui s�aventurent encore dans cette cit�. Les �responsables�, charg�s de restaurer les lieux, se donnent bonne conscience et justifient l�argent mobilis� pour la restauration. La Casbah est en ruine. Le spectacle est d�solant. Les b�tisses tombent dans l�indiff�rence totale. Les mat�riaux de construction s�entassent dans toutes les ruelles. C�est un d�cor apocalyptique. Un d�cor d�apr�s-guerre. Pour mieux agresser le regard, une b�tisse en b�ton �merge au milieu de nulle part. un vrai cauchemar ! Profitant de l�anarchie ambiante et du laxisme, des pseudo-propri�taires ont entam� une �restauration � selon leur go�t. Ils ont construit des cubes similaires � ceux qu�on trouverait � El-Hamiz o� l�urbanisme dans ces quartiers est une notion �trange. Encourag� par ceux qui ont os� ainsi profaner les lieux, certains locataires ont �construit� de vrais bidonvilles sur les d�combres des anciennes maisons. Des toits en zinc en plein c�ur de La Casbah, il fallait beaucoup d�audace pour le faire. Certains l�ont eu. Ils ont os� ! Par l�entreb�illement des portes, on peut apercevoir des taudis o� s�entassent vaisselle, literie et victuailles. Le spectacle est d�solant. Pour justifier l�injustifiable, les propri�taires des lieux arguent qu�ils n�ont pas eu d�autre choix. Ils racontent qu�ils ont choisi La Casbah pour s�abriter. Qu�ils l�ont squatt�e pour ne pas dormir dans la rue. Comment parler � ces gens-l� d�histoire, de patrimoine ? Comment leur dire qu�ils pillent des maisons centenaires ? Ils sont insensibles � ces arguments et estiment que leur survie est une priorit�. Lorsqu�on a faim, disent-ils, le patrimoine, c�est du �luxe�. Au milieu de ce d�sastre, la seule bouff�e d�oxyg�ne reste ces nombreuses placettes avec vue imprenable sur la Baie d�Alger. On peut s�y reposer, tourner le dos au d�sastre, imaginer les lieux il y a cent ans. On peut imaginer les hommes et femmes alti�res s�y promener. On peut deviner les senteurs qui y r�gnaient. On est malheureusement rapidement rattrap� par la r�alit�. La Casbah d�aujourd�hui ne ressemble en rien � celle d�antan. Ses habitants sont partis. Ils n�ont pas d� supporter de voir tomber les unes apr�s les autres les maisons. Les rares personnes qui sont rest�es font un acte de r�sistance. Elles restent parce qu�elles sont jalouses du patrimoine l�gu� par leurs parents. Elles entretiennent leurs maisons avec beaucoup d�amour mais pas beaucoup d�argent. Souvent ces personnes se clo�trent dans leurs demeures, regrettant des temps plus cl�ments. Elles ne sont plus si nombreuses et se sentent presque aussi vuln�rables que leur maison. En ce mois de Ramadan o� l�ambiance �tait, diton, si particuli�re � La Casbah, on tente d�sesp�r�ment de humer les senteurs qui ont fait sa r�putation. Point d�odeur de jasmin, point de bonne odeur de chorba, rien hormis cette odeur d��gout qui agresse et qui accompagne le visiteur durant tout son p�riple. Ce n�est qu�au niveau de Djama� Lihoud qu�on retrouve un peu l��odeur� du Ramadan. On y croise une femme drap�e dans son hayek. La rue gronde de monde. Les prix sont abordables et l�ambiance y est bon enfant mais cela ne suffit pas pour effacer la vision d�horreur laiss�e par l��tat de La Casbah. Pourtant, cette derni�re avait �t� class�e en 1992 patrimoine universel par l�Unesco. Un classement qui lui a valu plusieurs op�rations de �restauration�. Les autorit�s de l��poque avaient indiqu� que la �restauration� s��talera sur plusieurs mois. Soixante entreprises ont �t� mises � contribution et une enveloppe de 60 milliards de centimes parall�le, la Fondation Casbah est n�e puis plusieurs associations se sont mobilis�es pour sauver le site. Leurs actions n�ont rien donn�. En 2007, la Fondation Casbah avait d�cid� de boycotter les festivit�s de la Journ�e nationale de La Casbah pr�vue tous les 23 f�vrier. Durant cette journ�e, des conf�rences sont donn�es et l��tat des lieux est dress� sans pour autant que la situation n��volue. Les statistiques rendues publiques par la Fondation Casbah sont plus qu�alarmantes : le nombre d�habitations qui restent � sauver s��l�ve � 800 sur un total de 1 700 demeures r�pertori�es au lendemain de l�ind�pendance. Sur les 800 qui forment les 4 �lots restants du quartier antique, 300 menacent ruine et plus de 530 b�tisses, soit 48% du parc, n�cessitent des travaux de r�fection et de confortement. Aussi, 416 autres b�tisses, soit 36%, sont dans un �tat moyen et 13% sont dans un bon �tat mais exigent, quand m�me, quelques travaux. C�est dire que la t�che est ardue et que les bonnes intentions ne suffisent plus. Apr�s des ann�es de fausses promesses, La Casbah agonise dans l�indiff�rence totale. Apr�s avoir r�sist� � l�usure du temps, r�sisterat- elle � la b�tise humaine ?