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BEN MOHAMED, PO�TE ET PAROLIER, DANS UN ENTRETIEN EXCLUSIF AU SOIR D�ALG�RIE : �Le passage de l�oral � l��crit pour la culture berb�re constitue un acte civilisationnel�
Ben Hamadouche Mohamed, plus connu sous le nom de Ben Mohamed, est un grand homme de la culture kabyle. Consid�r� comme l�un des meilleurs ciseleurs de mots en langue kabyle� Ben Mohamed a fait ses premiers d�buts dans l��mission de chant �Les chanteurs de demain� de Cherif Kheddam en 1966. Mais ce ne fut qu�un bref passage avant de se consacrer pour son domaine de pr�dilection qu�est l��criture et l�animation. Entretien r�alis� par AZIZ KERSANI Ben Mohamed qui compte parmi les piliers de la po�sie kabyle � l�instar de Mohia a anim� pour son premier passage � la radio l��mission �Heureux Matin� en 1969, 1971 et 1972 . Po�te et parolier r�solument engag� dans le combat identitaire, Ben, comme aiment � l�appeler ses proches, n�avait pas cess� de remettre en cause le syst�me. Ses �missions fort d�rangeantes pour le syst�me ont �t� une � une retir�es du programme sur les ondes de la Cha�ne II. Ben Mohamed a anim� une dizaine d��missions durant son passage � la Cha�ne II : (�Plumes � l��preuve� 1970-1971), �Pages d�histoire� (1975-1976), �Revue culturelle� 1974-1977), �Les amateurs� (76-78), Chansons et soci�t� (77-78), �Lettres ouvertes� (78-79), �R�veries�(80-81), �Souvenirs� (81-82) et �Tamurt Imedyazen� (Au pays des po�tes) 82-83). Ben Mohamed a �galement �crit des textes qui ont �t� interpr�t�s par des c�l�brit�s de la chanson kabyle � l�image de Vava Inouva de Idir, Matoub Loun�s, la diva de la chanson kabyle Nouara, Takfarinas, Medjahed Hamid, Taous, Amar Sarsour... Ben Mohamed a �galement traduit en kabyle la pi�ce th��trale initul�e Babor Ghraq. Rencontr� en marge du festival de la chanson et de la musique kabyles � B�ja�a, Ben Mohamed, tout en �voquant son passage � la Cha�ne II, avant de faire les frais, � l�instar de plusieurs de ses camarades animateurs engag�s, du �nettoyage planifi� de la radio kabyle, dresse �galement un constat sur l��tat de la po�sie et de la chanson kabyles. Le Soir d�Alg�rie : vous vous �tes absent� depuis tr�s longtemps de la sc�ne artistique. Que devient Ben Mohamed ? Ben Mohamed : Eh bien comme vous pouvez le constater, je deviens vieux (rires). Je vis � Paris. Je ne suis effectivement plus dans le milieu artistique. Pour le moment, j�exerce toujours dans le domaine de la comptabilit� en attendant de prendre d�finitivement ma retraite l�ann�e prochaine. Il y a un projet de radio qui doit d�marr� � Paris incessamment et on m�a charg� des programmes de cette nouvelle cha�ne dans la banlieue parisienne. Le d�cret portant sa cr�ation est sign�. L�autorisation a �t� accord�e et pour le moment on s�occupe de la mise en place du projet. Vous avez �t� le parolier de nombreux chanteurs engag�s dans les ann�es 1970. Vous avez �crit le texte de la c�l�bre chanson Vava Inouva d�Idir qui a fait le tour du monde mais vous vous �tiez aussi fait conna�tre � travers des �missions engag�es durant une p�riode tr�s ferm�e marqu�e par la censure. Vos �missions ont �t� � chaque fois censur�es. Pouvez-vous revenir sur cette p�riode ? C��tait plus nuanc� que �a. C��tait plus vicieux au fait. Les �missions n��taient pas interdites. Au fait, on proc�dait autrement, ce fut des �missions qu�on retirait des programmes. Je n ai jamais eu une �mission qui a atteint une ann�e. A chaque fois, on me la retire pour une raison ou une autre. Parce que j�ai re�u du courrier berb�riste. Comme si j��tais responsable de ce que les autres �crivent. Enfin, on ne me juge pas sur ce que je fais mais plut�t sur ce que les autres m�ont dit ou �crit. C��tait un peu ce genre d�aberrations ou encore parce que j�ai fait pass� Matoub� et des exemples comme ceux-l� sont nombreux. Vous avez os� parler ouvertement de sujets qui f�chent dans une p�riode marqu�e par la r�pression� Je ne crois pas que ce fut os�. Il faut dire � ce sujet que chez nous la censure, comme d�ailleurs pour tout le reste � l��poque, ne ressemblait aucunement � celle pratiqu�e dans les pays de l�Est par exemple. Dans ces pays, la censure r�pondait � des normes pr�cises. Les crit�res �taient pr�alablement bien fix�s. Tous le monde sait � quoi s�en tenir dans ces cas. Chez nous, la censure r�pondait plus � des probl�mes de personnes qu�� une g�ne id�ologique. Il y a des choses que je pourrais � titre d�exemple dire sans �tre censur� tandis que qu�une autre personne se verrait interdite d�aborder le m�me sujet. Cela d�pend plus de la conjoncture, de la personne qui �coute� en fonction des humeurs des responsables. Encore une fois, la censure n�a jamais �t� quelque chose de bien ficel� et ordonn�. Cela r�pondait � d�autres consid�rations. Ce qui nous amenait � chaque fois � jouer un peu comme on dit au chat et � la souris avec les responsables pour faire passer le message. Quel est selon vous l��tat des lieux de la po�sie kabyle ? J�estime honn�tement qu�on ne peut pas aujourd�hui dresser un �tat des lieux pr�cis de la po�sie kabyle pour la simple raison que rien n�est fait dans ce sens. Maintenant si vous voulez parler de ce qu�il y a sur le march�, le constat est clair, il n�y a pas grand-chose. Aujourd�hui tout le monde s�accorde � dire qu�il y a une nette r�gression de la production en terme de qualit� par rapport � la p�riode d�avant l�ouverture d�mocratique dans le pays. Les textes �taient plus r�fl�chis� Comment l�expliquez-vous ? A l��poque, les gens r�fl�chissaient mieux. Il fallait faire appel � l�intelligence pour �chapper � la censure et r�ussir � passer le message. Aujourd�hui, avec la libert� de parole, les gens effectivement disent n�importe quoi. On pousse m�me parfois les limites vers l�insulte, l�invective, la vulgarit�... On n�a pas su malheureusement exploiter correctement cette libert� d�expression. Il faut souligner aussi, et j�insiste l�-dessus, que le niveau culturel a baiss� �norm�ment chez nous. L��cole alg�rienne na pas produit un esprit critique, elle a produit des perroquets qui apprennent par c�ur et qui r�p�tent sans trop comprendre ce qu�on leur a appris. Revenons un peu � votre d�part de la cha�ne II. Avez-vous de votre plein gr� d�cid� d�arr�ter ou vous a-t-on pouss� vers la sortie comme on dit� ? Non ! On m�a vraiment vir� de la Cha�ne II ! il y a avait un changement de direction au niveau de la radio, ils ont ramen� un nouveau directeur sp�cialement pour virer de cette cha�ne toutes les personnes qui faisaient un travail int�ressant. C��tait aussi clair que �a ! La chanson kabyle � texte a �galement r�gress�. On ne retrouve plus des chanteurs � l�image de Ferhat, Youcef Abjaoui, Amour Abdenour, Lounis A�t Menguellet qui accordent une plus grande importance au texte... Aujourd�hui, c�est vrai que mises � part quelques exceptions, je ne pourrais pas les citer tous � l�image de Lounis A�t Menguellat, Slimane Chabi qui font r�ellement des textes solides, les autres ont vers� dans le commercial. Je persiste � dire que le commercial encourage la m�diocrit�. Les producteurs produisent la m�diocrit� et les gens ach�tent bien �videmment la m�diocrit�. Des chanteurs avec des textes valables qui se pr�sentent devant l��diteur ne sont pas produits parce que les gens n�ach�tent pas. C�est l��diteur, encore malheureusement l��diteur qui dicte sa loi. C�est lui qui d�cide qui sera ou non produit. Un bon chanteur s�il n�a pas les moyens de produire ses �uvres, elles iront mourir dans les tiroirs. Et puis chez nous, c�est le secteur le plus paradoxal. Le chanteur paye l�enregistrement, les musiciens pour ramener ensuite la bande compl�te mise au point chez l��diteur pour la commercialiser contrairement � ce qui se fait ailleurs o� c�est l��diteur qui prend en charge tout. Chez nous tout ce fait � l�envers. Ceci dit, il y avait aussi pr�alablement des chanteurs qui ont jou� cette carte au d�part et maintenant c�est devenu normal. Tout ce d�cide en fonction de l�humeur de l��diteur. Parlons de l��v�nement de cette semaine. Qu�est-ce que vous attendez concr�tement de ce festival de la chanson kabyle ? C�est l�attente d�un espoir. Qu�il permette de faire le point sur ce qui a �t� d�j� fait dans le domaine de la chanson kabyle jusque-l�. Dresser un bilan et envisager ensuite les perspectives et surtout travailler sur la m�moire. Remettre en valeur ce qui avait �t� d�j� fait, le rappeler aux gens, expliquer son importance et engager une r�flexion autour de la chanson kabyle parce qu�elle a jou� un r�le tr�s important dans le d�veloppement de notre prise de conscience dans notre soci�t� qui est de culture. Il ne faut surtout pas que cela s�arr�te � cette exp�rience. Votre pr�sence au festival � l�instar de plusieurs piliers de la chanson kabyle, Kamel Hamadi, Taleb Rabah, Ch�rifa� donne indubitablement beaucoup de cr�dit � cette manifestation culturel. Ne craignez-vous pas de la manipulation ? J�avoue que ce probl�me ne me pr�occupe plus. Les raisons sont simples : la crainte d�une manipulation a �t� durant des ann�es un �l�ment paralysant. Chaque fois qu�un projet est propos�, on se pose la question de savoir que cache cette initiative et finalement on n�avance pas. Pour ma part, j�ai d�cid� d�une chose : lorsqu�on me sollicite, j��tudie le projet et dans le cas o� je le trouve int�ressant, je ne m�attarde pas de savoir qui est derri�re. L�important est surtout que ce projet serve utilement la chanson kabyle, que notre culture progresse. Libre aux autres de croire qu�ils r�cup�rent ou manipulent sinon on ne fera rien parce que c�est min� de partout. Moi, encore une fois, si je constate que �a peut apporter un plus pour faire avancer notre culture je marche. C�est le seul objectif dont je tiens compte. Est-ce que vous avez des projets artistiques en Alg�rie ? Non. Comme je vous l�ai dit tout � l�heure, je vis et travaille en France et le seul projet en vue c�est la radio kabyle de Paris dont j�ai la charge des programmes. Depuis quelques ann�es, des progr�s sont observ�s dans le domaine de l��dition en tamazight. Comment appr�ciez-vous ce passage de l�oral � l��crit ? Je l�ai d�j� dit depuis plusieurs ann�es dans l�un de mes po�mes, Avridh negh deg tira� Cela repr�sente notre id�al, arriver � r�ussir cette transition de l�oral vers l��crit. Ce n�est certes pas facile dans les temps pr�sents mais c�est d�j� un progr�s dans le domaine. Nombreux sont ceux qui n�ach�tent m�me pas des livres en berb�re et les rares personnes qui les ach�tent ne les lisent souvent pas. Mais, je dirais que c�est d�j� un progr�s de les acheter. Maintenant, passer au stade de l��crit est un acte civilisationnel. Passer d�une civilisation de l�oral � celle de l��crit est difficile. La transition demandera plusieurs ann�es. Cela �tant dit, j�admire �norm�ment les gens que j�ai d�couverts � l�exemple de Brahim Tazaghart qui s�est investi dans ce domaine. Il ne faut pas oublier de souligner que certains travaillent dur, font des �conomies pour investir tout leur argent dans une production qu�ils mettent sur le march� tout en n��tant pas s�r de r�cup�rer au moins la somme investie. Il faut rendre hommage � toutes les personnes qui le font uniquement par amour pour la langue amazighe. Ces personnes sont r�ellement admirables. Aujourd�hui, servir utilement la culture berb�re passe par la production dans le domaine. Les discours ne suffisent plus. Le combat se situe sur le terrain de la production pour enrichir notre langue berb�re.