Quand en 1979 la nouvelle de la candidature de Chadli Bendjedid est tomb�e, personne ne s�y attendait. La rumeur avait vite fait d�installer MM. Bouteflika et Yahiaoui dans la liste des pr�tendants � la succession de Boumediene qui venait de rendre l��me � l�h�pital Mustapha. Les sp�culations allaient bon train : qui allait l�emporter ? Le conservateur FLN ou le lib�ral ? Mais l�arm�e ne l�entendait pas de cette oreille. La grande muette allait parler et fort : ce sera Chadli Bendjedid, le chef de la deuxi�me r�gion militaire. Selon des sources militaires cr�dibles de l��poque, l�ANP pensait que le moment n��tait pas venu encore d�ouvrir le champ politique � des luttes �fratricides � qui risquaient de menacer la stabilit� du pays. D�s son installation, le pr�sident Chadli allait �tre confront� � l�une des plus graves crises connues par l�Alg�rie depuis son ind�pendance. La Kabylie, qui �tait rest�e calme durant le r�gne de Boumediene, certainement pour ne pas compliquer les probl�mes d�un pays qui avait risqu�, au lendemain de sa lib�ration, de s�enfoncer dans la guerre civile, allait �tre secou�e par des troubles qui feront sortir la troupe et ses chars ! Alors que la situation risquait � tout moment de basculer vers l�inconnu, le journal o� nous travaillions mettait de l�huile sur le feu en traitant les manifestants de �voyous qui d�truisaient les biens d�autrui�. Ces jeunes en col�re ne faisaient qu�exprimer leur m�contentement suite � l�annulation d�une conf�rence que devait donner l��crivain disparu Mouloud Mammeri et traitant d�un sujet tabou � l��poque : l�identit� berb�re. Nous fumes tellement choqu�s par la mani�re dont notre journal, El Moudjahid, relatait les faits que nous primes l�initiative de lancer une p�tition pour nous d�marquer de ces agissements � mille lieue de la d�ontologie. Nous �tions 15 ou 18. Je ne sais plus. Mais si je relate cet �v�nement marquant de notre vie professionnelle, c�est pour le restituer dans le cadre d�un r�gne qui commen�ait avec des changements fondamentaux, y compris � l�int�rieur d�un quotidien national d�information. Sur un plan plus g�n�ral, Chadli avait compris tout de suite qu�il fallait r�pondre aux besoins pressants des Alg�riens. Alors que Boumediene �conomisait chaque sou pour le mettre au service du d�veloppement en demandant aux Alg�riens de continuer � se sacrifier pour que leurs enfants vivent mieux, la politique de Chadli apparaissait � certains comme une dilapidation des deniers publics dans un but d�magogique. N�emp�che que les Alg�riens �taient heureux de pouvoir enfin acheter des bananes ou s��quiper d�un t�l�viseur en couleurs ou d�un r�frig�rateur sans avoir � faire de longues cha�nes au niveau des �Galeries� ! D�ailleurs, dans une appellation qui en disait long sur l�objectif psychologique de l�op�ration, ce programme fut baptis� anti-p�nurie : PAP ! D�une mani�re g�n�rale, ce fut une p�riode faste pour les Alg�riens. Les prix de p�trole n�ayant pas encore connu de chutes dramatiques, l�Alg�rie s�engageait dans un vaste programme de construction de logements, d��rection de barrages et d��quipements socioculturels (les points faibles de Boumediene). C�est durant cette p�riode que furent construits les grands stades r�gionaux et de wilaya. Depuis que Boumediene avait inaugur� le Complexe olympique du 5-Juillet en 1972, peu de projets avaient vu le jour. Celui de Tizi-Ouzou faisant exception � la r�gle puisqu�il �tait inscrit dans le cadre du programme sp�cial de cette wilaya. Les parcs de loisirs, les parcs nationaux, l�am�nagement du territoire et une politique de jeunesse hardie s�appuyant sur la r�forme sportive introduite durant les ann�es soixante-dix ouvrirent le pays � la modernit�. C�est � cette �poque que les autorit�s, comprenant les dangers de l�exode rural, se mirent � penser � une ceinture industrielle qui couvrirait les Hauts- Plateaux et qui aurait pour principal objectif de fixer les populations locales attir�es, jusque-l�, par les mirages des m�gapoles industrielles de la c�te. Ce furent les projets de la petite et moyenne industrie qui allaient mettre � la disposition de l�Alg�rien ces produits �lectrom�nagers ou de consommation courante que nous ne produisions pas encore parce que la grande industrie avait pour principal objectif d�offrir des produits semi-finis ou finis pour les secteurs-cl�s de l��conomie nationale : tubes d�acier pour le transport des hydrocarbures, acier pour la m�tallurgie (fabrication de wagons et de camions) et l�agriculture (tracteurs et moissonneuses batteuses). Parall�lement, le secteur agricole allait conna�tre une s�rie de mesures qui se traduiront par l�abandon des coop�ratives de la R�volution agraire, puis par la restitution des terres nationalis�es � leurs propri�taires. Cependant, le probl�me essentiel, � savoir celui du foncier, ne sera pas r�gl� d�une mani�re juste et d�finitive. Les meilleures terres passeront aux mains des trabendistes, sous couvert d�attribution � des moudjahidine et autres gens du s�rail ! C�est sous Hamrouche que sera divulgu�e la liste de ces �attributaires � usurpateurs ! Pour certains observateurs, si la premi�re p�riode de l��re Chadli (1979-1986) fut si faste, cela revient essentiellement � deux facteurs : la stabilit� des prix du p�trole et la moisson des grandes orientations de la politique de Boumediene. Les Alg�riens sous Chadli mangeaient mieux, vivaient mieux. Les produits de premi�re n�cessit� �taient disponibles partout et m�me certains articles de luxe s�offraient aux bourses d�munies gr�ce au soutien des prix. Alors qu�ils devaient attendre des mois pour avoir une voiture import�e par la Sonacome (dans une ou deux marques d�cid�es en haut), ces m�mes Alg�riens pouvaient s�offrir la bagnole de leur r�ve. Ils pouvaient voyager � l��tranger sans probl�me. Leur dinar valant presque deux francs, ils se ruaient vers la Tunisie ! Les plus nantis pouvaient aller en France ou ailleurs dans le monde. Chez nous, ils d�couvraient les parcs de loisirs, la restauration de masse, les complexes touristiques et les clubs de nuit ; le tourisme n��tait plus r�serv� � l��lite. Des familles d�munies prenaient d�assaut les campings et il n�y avait plus de places disponibles � travers toute la c�te. Le sport national �tait en verve : l��quipe nationale se qualifiait deux fois en Coupe du monde de football et si ce n��tait l�arrangement � enfin reconnu par Schumacher � entre Allemands et Autrichiens, les Verts auraient brill� de mille feux dans le ciel espagnol. Les autres sports n��taient pas en reste. L�Alg�rie gagnait partout et il faudra attendre la fin des ann�es 80 pour voir, enfin, l�athl�tisme national r�compens� apr�s tant d�efforts et de sacrifices, avec les deux championnats du monde de Boulmerka et Morceli. Mais ce tableau idyllique conna�tra ses heures sombres d�s 1986. Avec la chute des prix du p�trole, il n��tait plus possible de maintenir la m�me cadence dans l�investissement et le financement des immenses besoins sociaux de la population. La r�cession sera au rendez-vous. Parall�lement, un verrouillage du champ politique avec une place de plus en plus dominante au FLN � ce qui n��tait pas le cas sous Boumediene � allait installer un diktat de quelques id�ologues attir�s par l�id�ologie baathiste. Ce fut le temps des exclusions et des reniements. Pour postuler � un quelconque rang de responsabilit�, il fallait �tre militant du FLN (article 120). Les opportunistes se pr�cipit�rent vers les cellules du parti unique et je me souviens d�un journaliste de la BBC qui, m�interviewant en tant que directeur de la r�daction du quotidien Horizons, s��tonnait du fait que je n��tais pas militant du FLN ! Oui, il y avait des failles ! En 1988, �clateront les �v�nements d�Octobre. C��tait la r�volte des jeunes. Contre la mal-vie. Contre l�injustice et le m�pris des �gens costum�s�. Pour avoir v�cu intens�ment ce 5 Octobre, au c�ur m�me d�Alger, je peux dire que ce n��tait pas un mouvement organis� et les tendances politiques qui ont, par la suite, surf� sur cette vague, n�avaient absolument rien � voir avec cette col�re juv�nile. Pourtant, beaucoup ont tent� de le r�cup�rer et l�ancien pr�sident Chadli se trompe quand il dit que les troubles ont �t� foment�s par des cercles du pouvoir. Certes, ils furent exploit�s pour r�gler des comptes politiques : c�est dans la soir�e du 5 octobre que des camions charg�s d��nergum�nes ont commenc� � incendier les kasmas du FLN. Ces derni�res n��taient pas le principal objectif de la casse des jeunes : tout ce qui repr�sentait l�Etat �tait vis� mais quand le mouvement s�orienta vers le parti unique, avec des commandos venus on ne sait d�o�, nous compr�mes que le mouvement venait de prendre une autre orientation. A l��poque, j�habitais � B�ni Messous, � quelques m�tres de la kasma FLN. C�est dans la soir�e qu�elle fut incendi�e par des gens ext�rieurs au quartier. Quant aux vrais habitants, ils se mobilis�rent pour �teindre le sinistre � l�aide de bidons d�eau. Bien s�r, cela ne veut pas dire qu�ils avaient le FLN au c�ur, mais cela remet beaucoup d�id�es � leur v�ritable place. Le FLN, malgr� toutes ses tares et son h�g�monie, repr�sentait encore une barri�re contre les app�tits de la nouvelle bourgeoisie ; il �tait un rempart contre la volont� affich�e de certains de tout brader. A ce titre, 1988 n�est pas le passage de la dictature vers la d�mocratie (nous voyons que le passage vers le semblant de d�mocratie n�a pas �t� irr�versible). 1988 a marqu� le passage vers le lib�ralisme, puis l�ultralib�ralisme. Sous couvert de d�mocratie. Et c�est d�ailleurs toujours sous couvert de d�mocratie que nous glissons vers l��mirat�