Alors que le massacre continue � Ghaza et que des enfants meurent par centaines (un tiers des victimes selon les statistiques), le jeu favori des Arabes continue. Pour les (mauvais) gouvernants, il consiste � soutenir une cause du bout des l�vres sans risquer de f�cher les grands ma�tres du monde. Quant aux peuples, la rue arabe pour ne pas dire �al-ghachi� (1), ils descendent dans la rue. Ils crient leur col�re et leur frustration, et pas seulement contre les bombardements isra�liens. Le jeu consiste simplement � ne jamais aller trop loin, pour ne pas risquer de casser le �poil de Muawya� (2). Les chefs font des discours guerriers, ils promettent de se battre jusqu�au dernier Palestinien. Ils animent des meetings et haranguent des foules, pr�tes � s�enflammer mais craignant l�incendie. Sur le champ de bataille, ou de massacre, les vraies victimes semblent s��tre r�sign�es au pire et au silence. Loin de la canonnade et du fracas des bombes, les foules clament leur douleur et exhibent leurs blessures virtuelles. C�est � qui criera le plus fort, pour la plus grande satisfaction des chefs et de leurs th�ologiens attitr�s. Car les imams sont indispensables � ce jeu et ce sont eux qui conf�rent au massacre son statut de guerre de religions. C�est ainsi que l�ont voulu le Hamas et Isra�l. Avec cette diff�rence, toutefois, que les premiers restent riv�s aux batailles et � la terminologie de l�aube de l�Islam alors que les seconds ont consid�rablement �volu� depuis Khaybar (3). Ils ont appris � leur d�triment les techniques du g�nocide qu�ils appliquent, � une petite �chelle, � Ghaza et ils ma�trisent l�art de la communication. Alors, ils tuent hommes, femmes et, surtout enfants, de Ghaza, sourds aux grondements de la rue arabe, torrent �ph�m�re qui n�emporte que les siens. Pendant le massacre, le jeu et la manipulation continuent et, � la fin, ce sont les m�chants qui gagnent. Et toujours les m�mes slogans d�magogiques et les cris de guerre primitifs qui annihilent, parfois, tous les �lans d�affection et de solidarit� � l��gard de ce peuple, promis jadis au r�le de locomotive du monde arabe. Jeux de r�les, manipulations et d�magogie se combinent pour donner des r�sultats inattendus, comme ce fut le cas vendredi dernier � Alger. Voil� une capitale plong�e dans une douce torpeur depuis une dizaine d�ann�es, sans rassemblements et sans manifestations sur la voie publique. Il y a quelques ann�es, c��tait plus facile de faire avorter une manifestation pr�vue � Alger. Il suffisait de bloquer les issues menant de la Kabylie � la capitale et de fermer le �poste fronti�re� de Th�nia. On �tait si bien en ville, � l�abri des tentations de descendre dans la rue et d��couter les incantations en provenance des mosqu�es. D�ailleurs, citez-moi un seul minaret qui a appel� � soutenir la population de Kabylie contre l�interdiction de manifester. Ce n�est pas la m�me chose ni les m�mes proportions et, encore moins, la m�me agression, me direz-vous ? Je vous le conc�de mais tout de m�me, pourquoi la Kabylie aurait-elle d� attendre que ce soit la m�me chose. Tant pis pour la Kabylie et tant mieux pour la Palestine et pour notre meneur de jeu attitr�, Karadhaoui, que Dieu �pargne � sa quatri�me �pouse un veuvage pr�coce ! On a donc manifest� vendredi dernier, et � l�alg�rienne, c'est-�-dire avec beaucoup d�actes de vandalisme et des bless�s. Mes concitoyens excellent dans l�autodestruction � cause d�une tendance atavique � l�autophagie acquise on ne sait o� ni comment. Les m�dias rapportent que des pickpockets ont eu la main plus qu�heureuse ce jour-l�. Normal : une foule charrie, sur son passage, le bon grain et l�ivraie. De ce c�t�-l�, on a �t� servi aussi : les lanceurs de pierres �taient de la partie, ainsi que cet ind�crottable agitateur nomm� Ali Benhadj. Et comme il constitue toujours une menace pour l�ordre public, et pour la presse, ce qui devait arriver arriva : une pierre a gravement bless� un journaliste du quotidien Ennahar al-djadid(4). Je passe sur les slogans du FIS que le pouvoir a fait siens et qui ont �t� utilis�s, cette fois-ci, contre lui. Tout le monde veut mourir en musulman, � l�instar de notre futur pr�sident � vie, mais il ne faut pas oublier de demander la permission au FIS. Plus loin encore du champ de bataille, on a aussi manifest� � Paris : un cort�ge imposant pour d�noncer les crimes isra�liens avec ses d�rapages, devenus in�vitables au fil du temps. Un d�fil� plus �la�que� que celui d�Alger, m�me si les religieux ont ramen� des hauts-parleurs plus puissants. C�est le cas du Hezbollah, bureau de Paris, qui a fait reprendre quelques slogans contestables comme l�annonce du retour de �l�arm�e de Mohamed�. Personne n�a tr�s bien compris pourquoi un groupe de manifestants a d�fil�, sur plusieurs dizaines de m�tres, derri�re une banderole arborant la croix gamm�e. Heureusement que des manifestants sont intervenus et que la banderole suspecte a �t� rengain�e. Un tr�s l�ger incident � c�t� de ce d�rapage de l�hebdomadaire �gyptien Rose al-youssef. Sous pr�texte de d�noncer la barbarie isra�lienne, l�un de ses journalistes a commis un article dans lequel il salue la m�moire d�Hitler. Selon Rose al-youssef, le �bon Hilter� aurait fr�mi d�horreur devant la sauvagerie et la barbarie sionistes. Voil� qui ne redorera pas l�image de l�Egypte, d�j� s�rieusement mise � mal par ses h�sitations et ses atermoiements face � l�offensive isra�lienne. Ce n�est pas une raison, cependant, pour lancer des anath�mes sur un pays qui a donn� plus que tout autre pour la cause palestinienne. Moubarak est un mauvais pr�sident qui s�accroche au pouvoir mais l�Egypte ne d�tient pas le monopole en la mati�re. Il ne faut pas oublier aussi que l��crasante majorit� du peuple �gyptien ploie sous le joug de tyrannie et de la pauvret�. En d�pit de cela, il est plus palestinien que tous les d�magogues du vendredi. A. H. (1) Expression que nous devons � Nourredine Boukrouh qui eut son heure de gloire et obtint m�me un portefeuille minist�riel. Il avait affirm� que les Alg�riens ne constituaient pas un peuple mais un rassemblement de personnes, une foule, qui se dit �ghachi� en arabe. A l��poque, il suscita une v�ritable lev�e de boucliers contre lui mais il a gagn� ma sympathie, malgr� ses r�f�rences � Bennabi. 2) �Cha�rat Muawya�, le poil de Muawya, r�sume la mani�re de gouverner et de tenir le peuple. Le peuple et lui tiennent le poil de cheveu, chacun par un bout. Si le peuple tire sur le poil, je donne du mou, et si le peuple donne du mou je tire sur le poil, disait-il. Ce sera sans doute la doctrine de Khaddafi � qui les notables libyens et leurs enfants viennent de pr�ter all�geance. (3) Khaibar, une oasis juive du Hedjaz, qui fut investie par l�arm�e des musulmans apr�s la tentative d�assassinat du Proph�te par un juif de M�dine qui avait trouv� asile � Khaibar. Elle est souvent mise en avant par les fondamentalistes pour galvaniser les foules arabes, avides de revanche. (4) Je souhaite un prompt r�tablissement � notre confr�re qui a �vit� les coups de matraque pour �tre assomm� par une pierre, venue sans doute d�un fr�re, d�un cousin ou d�un voisin de quartier. Ghaza m�rite notre soutien et nos pri�res mais pas au prix de la mort d�un Alg�rien, journaliste ou policier.