Je vous rassure : Saladin, le h�ros kurde dont la descendance a �t� gaz�e par Saddam Hussein, en guise de reconnaissance, peut continuer � dormir sur ses deux oreilles. Il n'y a pas de nouveau Saladin � l'horizon arabe et il n'y a pas le moindre petit signe de son apparition future. Le �salih� (valable, pieux, comp�tent), comme on en produisait un par si�cle a c�d� le rang au �talih� (rat�, mauvais, inutile). C'est le r�gne des �talih� qui veulent forcer leurs peuples � les regarder comme des �salih�. Les �taladins � sont parmi nous et s'ils ont l'ambition d'�tre chefs, ils n'en ont pas les qualit�s. Incapables de m�riter le respect du monde, ils crient � l'injustice, aux croisades, lorsque ce monde les regarde tels qu'ils sont. Ils en appellent � Saladin, r�vent de l'incarner et mobilisent les mosqu�es. Les vendredis ne sont plus des jours de pri�re, de communion collective mais des jours de haine de l'autre. Les minarets de la col�re hurlent � la face de l'humanit� que la tyrannie est l'avenir de l'homme arabe. Nos hommes providentiels ne doivent plus �tre sous la menace des cours internationales sous peine de voir leurs pays sombrer dans la guerre civile. L'alternative du chaos est leur ligne de d�fense privil�gi�e. L'urgence est d'�chapper � la justice des hommes, quant � celle de Dieu, qui est avec eux sans conteste, elle peut attendre. Et d'ailleurs, elle n'est pas aussi r�elle et �vidente que celle de la cour p�nale de La Haye. En tout cas, elle est beaucoup moins imm�diate, ce qui laisse largement le temps de r�gner et d'organiser la succession. Le sociologue jordanien, Chaker Nabulci, compare les dirigeants arabes d'aujourd'hui aux fondateurs de l'empire abbasside. �Ils dirigent leurs peuples comme leur troupeau personnel et ils g�rent leurs p�turages comme leur propri�t�, sans devoir rendre des comptes � personne.� Il raconte l'histoire du bourreau �Al-Mansour� qui organisa un banquet sur les corps encore fr�missants des derniers notables omeyades, pr�alablement recouverts de tapis. �Le khalife Al- Mansour ne fut pas jug� pour ce crime car les Nations unies et les organisations des droits de l'homme n'existaient pas encore. Il n'y avait pas de cour p�nale internationale mais la plupart des dirigeants arabes nient l'existence de toutes ces institutions. Ils oppriment leurs peuples en �tant assur�s de l'impunit�. Et lorsque des mandats sont lanc�s contre eux, ils brandissent leurs b�tons de mar�chal et crient �tozz� � l'adresse du Tribunal p�nal international. � Omar El-Bechir para�t donc assur� de conserver encore longtemps son b�ton de mar�chal, puisque le syndicat des chefs d'Etat arabes est derri�re lui. Ce qu'il y a d'extraordinaire dans leur argumentaire, c'est qu'ils ne contestent pas la culpabilit� de leur coll�gue dictateur. Ils r�clament simplement que soient jug�s, en m�me temps, des gens du camp d'en face, comme Olmert. A la limite, ils peuvent admettre que les assassins de Hariri soient jug�s puisque la victime �tait arabe mais les crimes du Darfour non ! D'abord, le Darfour est une entit� s�cessionniste (�a rime avec sioniste), c'est ce que proclame Fay�al Al-Kassem, le bouillant animateur d'Al-Jazeera. Dans le quotidien Echarq du Qatar, il s'enhardit � comparer la r�bellion du Darfour et la r�pression men�e contre elle � la situation du Pays basque espagnol ou de la Corse. Pour lui, m�me l'action de la secte de Waco aux Etats-Unis, �durement r�prim�e�, est un acte de r�bellion s�paratiste. En foi de quoi, Fay�al Al-Kassem, qui n'en est pas � une pirouette pr�s, r�clame aussi le droit pour les pays arabes de s�vir contre les s�cessionnistes, les s�paratistes et les s�ditieux. Sur sa lanc�e, sans doute exigera- t-il l'absolution, post-mortem, pour Saddam Hussein et ses r�pressions contre les Kurdes et les Chiites. Vous comprendrez alors que je ne puisse, sauf � me renier, exprimer ma solidarit� avec un dirigeant comme Al-Bechir, aussi appr�ci� par la Ligue arabe et par Fay�al Al-Kassem. Il y a bien autre chose � faire que d'aller crier son admiration et son attachement au pr�sident soudanais. Pour la bonne cause, il fallait �tre, vendredi dernier, aux c�t�s des �Marianne de la diversit�, l'association fran�aise que dirige Fad�la Mehal. Cela se passait � la �Maison de l'Am�rique latine�, au c�ur de Paris et � l'occasion de la c�l�bration du 8 Mars. Venu pour rencontrer des personnalit�s marquantes de la lutte des femmes, j'ai eu la surprise de d�couvrir Latifa Al- Sowayel. De prime abord, cette jeune peintre saoudienne, qui a le titre de �cheikha � dans son pays, ne ressemblait en rien � l'image habituelle que l'on a de ses concitoyennes. Dans ses habits de f�te et avec sa coiffure bouffante, elle constituait une offense caract�ris�e au puritanisme des vieux th�ologiens saoudiens. Ses tableaux, dont le plus visible �tait un exercice de calligraphie arabe, la �Pri�re de Sh�razade�, marient l'or et la lumi�re. On comprend mieux cette destin�e de femme quand on apprend que si son p�re est saoudien, de grande lign�e, sa m�re, R�gina Avila, artiste et auteure, est originaire de Cuba. Voici ce que l'�crivaine cubaine Zo� Vald�s dit de Latifa : �Depuis longtemps, je n'avais pas �t� � ce point �mue par la force, l'�lan cr�ateur d'une jeune femme, qui �volue entre plusieurs mondes, la culture cubaine insuffl�e par sa grand-m�re et sa m�re, qui est aussi v�n�zu�lienne, et l'�ducation de son p�re saoudien. Car, bien que n�e en Arabie Saoudite, Latifa Al-Sowayel poss�de ce puissant m�lange, qui cautionne la connaissance, tr�sor contenu dans le m�tissage de son sang, qui est l'or m�taphorique de sa peinture; chez celle qui est pass�e secr�tement de la naissance � l'enfance, qui fut berc�e par diverses formes d'�ducation et connut tant de voyages, d'intenses p�riples en Europe, de longs s�jours entre Venise et Paris, l'Am�rique latine bouillonne dans ses veines, et nous chuchote les hi�roglyphes d'Orient, une eau qu'elle boit dans la conque de la main du d�sert�. C'est par Latifa, et par son fertile m�tissage que les Arabes peuvent enfin retrouver l'Andalousie perdue, pour peu qu'ils le veuillent encore. C'est donc revigor�s et pour exorciser le d�paysement que nous sommes all�s � la rencontre de Salwa Al-Neimi, auteure syrienne de La preuve par le miel. Nous avons retrouv� Salwa dans une librairie au nom embl�matique �La Libre �re� dans le quartier populaire du 20e. C'est l� que notre mentor du jour, Nora Aceval, l'�crivaine alg�rienne des Contes libertins du Maghreb, nous avait convi� � une s�ance de d�dicaces. Salwa n'a pas attendu la traduction en fran�ais de son roman pour d�frayer la chronique. D�s sa sortie en 2007 � Beyrouth, La preuve par le miel a fait du bruit et soulev� un toll� de protestations. Tout simplement, dit-elle, par ce qu'elle avait parl� de sexe et de pulsions sexuelles f�minines en langue arabe. Si les critiques litt�raires arabes l'ont encens�e, les gardiens de la morale et de la tradition n'ont pas m�nag� Salwa. Dans sans propre pays, le livre a �t� retir� de l'exposition, � l'occasion du Salon du livre de Damas en 2008. Pourtant, elle se r�f�re souvent aux �crits, �oubli�s�, de noms prestigieux comme Al-Djahiz mais ce qui �tait permis au 9e si�cle ne l'est plus aujourd'hui. Comment admettre de nos jours que Souyouti, qui a tant �crit sur le Coran et les �Causes de la r�v�lation�, soit l'auteur d'un manuel � l'usage des amants. En fait, ce qu'on reproche surtout � Salwa Neimi, ou � son personnage, c'est d'exhumer de vieux textes qui battent en br�che les explications fumeuses sur l'incapacit� de l'arabe (la langue) � dire l'amour charnel.