Introduction Un consensus �mouvant rassemble une grande partie de la population alg�rienne pour d�noncer le r�le que se serait attribu� l�institution militaire dans la gestion des affaires du pays depuis 1962. Il s�agit d�une sorte de pens�e unique faisant du haut-commandement militaire la cible famili�re de nombre de nos concitoyens et a fortiori des observateurs �trangers. Pour ne pas trop nous nuire � nous-m�mes par un mauvais diagnostic, il est utile de rappeler quelques �l�ments. L�arm�e alg�rienne s�est constitu�e comme une des sources du pouvoir � la suite d�un long processus historique qu�une volont� politique unilat�rale n�e�t pu, � elle seule, contrarier. L�absence d�une tradition nationale et par voie de cons�quence d�une tradition �tatique qui remonte � la nuit des temps explique largement, sans la justifier, l�intangibilit� de l�institution militaire en tant que colonne vert�brale du r�gime alg�rien. L�arm�e alg�rienne, qui ne saurait demeurer insensible aux mutations qui se produisent alentour, est en train d�accomplir son aggiornamento, lequel, pour paraphraser le Dr Sa�di, n�est pas visible, mais n�en est pas moins r�el. Le seul fait que toute forme de r�pression ait disparu de l�espace public constitue en soi une formidable avanc�e par rapport � de nombreux autres pays, notamment arabes. Ceci dit, ce que personne de sens� ne devrait perdre de vue, c�est que l�effacement de l�arm�e du champ politique ne peut avoir de sens que si les Alg�riens sont capables de se donner un r�gime repr�sentatif qui fonctionne dans la transparence et qui est per�u comme l�gitime. A quoi cela servirait-il que l�arm�e se retire du champ politique par la grande porte si c�est pour �tre contrainte d�y revenir par la petite lucarne afin de sauver l�Alg�rie du chaos o� l�auront enferr� une classe de politiciens irresponsables. Nous �voquerons successivement le r�le historique de l�arm�e alg�rienne (I), la contribution de l�ANP � la construction du socialisme (II), le fait que l�arm�e alg�rienne n�est plus la source exclusive du pouvoir (III), le r�le globalement n�gatif des �lites intellectuelles (IV), la fonction d�alibi jou� par les partis et le mouvement associatif (V), la vocation actuelle et � venir des services de s�curit� (VI), enfin les perspectives qui s�offrent � l�Alg�rie dans le cadre d�un nouveau pacte social interne (VII). I) Le r�le historique de l�arm�e alg�rienne (1954-1965) C�est un lieu commun de rappeler que l�institution militaire constitue la colonne vert�brale du r�gime. Elle l�est historiquement non pas depuis la mise � l��cart de Abane Ramdane � l�occasion du deuxi�me CNRA(1), mais depuis la victoire du courant activiste sur le courant messaliste (au cours de l�ann�e 1954) et l�obligation dans laquelle s�est trouv� le courant centraliste de rallier le premier. D�s lors que le mouvement national avait fait le choix de lib�rer l�Alg�rie par les armes, le militaire ne pouvait que pr�empter le cours de la R�volution. En r�alit�, le paradigme ramdanien de la sup�riorit� du politique sur le militaire et de l�int�rieur sur l�ext�rieur arrivait trop tard. Le retournement de ce paradigme s�op�re d�finitivement dans le courant de l�ann�e 1959, lorsque l�ALN de l�int�rieur est d�faite par l�arm�e coloniale. Le combat sur le terrain est perdu. Le centre de gravit� de la R�volution se d�place vers trois institutions : le GPRA, le CNRA et accessoirement vers le Conseil interminist�riel de la guerre (CIG), donnant � leurs ambitions concurrentes une allure qui inqui�te l�EMG. H. Boumediene fait alors siens les griefs formul�s nagu�re � leur encontre par les chefs des wilayas de l�int�rieur mais sans pouvoir se pr�valoir d�une l�gitimit� historique comparable. Contrairement � ce que soutient l�historiographie acad�mique dominante, il n�y a pas eu de d�rive pr�torienne du mouvement national, � la faveur de l��mergence de l�EMG. La mont�e de l�EMG correspond � la d�faite militaire des wilayas de l�int�rieur et � la pr�tention du GPRA de s�approprier les dividendes de l�ind�pendance virtuelle. Le colonel Houari Boumediene �tait sans doute moins l�gitime que les colonels de l�ALN de l�int�rieur mais il n�avait aucune raison de s�effacer devant le GPRA, alors surtout que l�EMG �tait une �manation on ne peut plus l�gale du CNRA(2). Enfin, le charisme de H. Boumediene, son immense popularit� aupr�s des djounoud, sa vision de l�Etat faisaient de lui le leader politique le plus incontestable auquel l�Alg�rie e�t pu esp�rer au regard des luttes de clans auxquelles se livraient certains des membres les plus influents du GPRA et du CIG. Quant � l��viction de Ahmed Ben Bella le 19 juin 1965, elle ne constitue nullement un coup d�Etat, mais au contraire un acte majeur de r�tablissement d�un Etat qui mena�ait de s�effondrer. Sans doute Ahmed Ben Bella ne m�ritait-il pas de rester en d�tention 15 ans durant dans une Alg�rie qu�il avait contribu� � lib�rer, � c�t� de beaucoup d�autres. Son renversement a les apparences d�un coup de force militaire, puisque c�est en s�appuyant sur l�arm�e que H. Boumediene parvient � se hisser � la t�te d�un Conseil de la R�volution et imposer ses choix politiques. Mais, sur le fond, il s�agissait d�une entreprise r�volutionnaire, ayant re�u l�onction d�un vaste spectre de personnalit�s politiques, allant d�anciens chefs militaires des wilayas de l�int�rieur jusqu�� des personnalit�s sans �tiquette politique pr�cise, tel B. Bouma�za. A. Ben Bella avait r�ussi en moins de trois ans � faire l�unanimit� contre lui et il conduisait assur�ment l�Alg�rie vers une impasse sur le plan �conomique, social et culturel. Il est �videmment erron� de laisser entendre que l��limination politique de A. Ben Bella le 19 juin 1965 inaugurait une tradition de coups d�Etat en Alg�rie. Cette p�tition de principe est l�aveu d�une profonde ignorance de l�histoire compar�e. Que l�on prenne l�exemple de l�Espagne, du Portugal, de la Gr�ce, de la Turquie, de l�Argentine, du Br�sil, du Chili, du Paraguay, dont l�itin�raire historique est jalonn� de soubresauts militaires, ceux-ci n�ont nullement fait obstacle, en vertu d�on ne sait quelle loi des soci�t�s, � l�av�nement de la d�mocratie et du pluralisme acquis qui semblent aujourd�hui irr�versibles. Il n�y a aucun fil d�Ariane entre l��limination politique de A. Ben Bella et par exemple l�interruption du processus �lectoral en d�cembre 1991, la d�mission contrainte de C. Bendjedid ou encore le d�part volontaire de L. Zeroual (si l�on en croit, tout au moins, le communiqu� de l�ancien pr�sident de la R�publique publi� le 14 janvier dernier). Ces �v�nements se d�roulent � des ann�es de distance les uns des autres et ob�issent � des temporalit�s distinctes par leur nature, la personnalit� des acteurs et les circonstances politiques. Affirmer que le pr�sident H. Boumediene a pu �tre l�inspirateur posthume des �pronunciamientos � de 1992 et de 1998 est un sophisme entretenu par ceux qui cherchent � pr�senter le coup de force militaire pour un invariant de l�histoire de l�Alg�rie ind�pendante. II) L�arm�e alg�rienne au service de la construction du socialisme Durant la p�riode 1965-1978, l�arm�e alg�rienne est invit�e � participer � la construction de l�Etat et � contribuer au d�veloppement �conomique de la nation (barrage vert, transsaharienne, etc.). La modernisation de l�arm�e et surtout sa professionnalisation ne sont pas inscrits dans l�agenda du pr�sident H. Boumediene. Aucun sp�cialiste de l�Alg�rie de cette �poque ne qualifie le r�gime de H. Boumediene de �dictature militaire�. Les auteurs les plus hostiles au r�gime de cette �poque (A. Lahouari, M. Harbi) ne vont pas jusqu�� consid�rer que H. Boumediene a cherch� � imposer la domination d�une caste militaire sur le peuple. H. Boumediene �tait issu de l�arm�e, il avait dirig� le COM Ouest puis l�EMG, il �tait rest� jusqu�� la fin de sa pr�sidence ministre de la D�fense en titre et en exercice. Mais d�aucune fa�on, l�arm�e n�avait vocation, � ses yeux, � s�autonomiser par rapport aux autres institutions de l�Etat. Elle �tait partie int�grante d�un syst�me vou� � la construction du socialisme, � la lutte contre le sousd�veloppement, et � la r�cup�ration des richesses naturelles pour la satisfaction des besoins de toutes les populations(3). Durant cette p�riode, H. Boumediene pr�f�re s�appuyer sur des officiers sup�rieurs issus de l�arm�e coloniale qui avaient rejoint les rangs de l�ALN, � partir de 1958- 1959 et pour certains d�entre eux, � partir de 1960 et m�me 1961. H. Boumediene les connaissait individuellement et leur avait confi� des t�ches d�intendance lorsqu�il prit en main les destin�es de l�EMG. Ce que l�on appelle les �d�serteurs de l�arm�e fran�aise� (les DAF) �taient �videmment des inconditionnels de H. Boumediene, � la diff�rence des anciens chefs de wilayas de l�int�rieur qui ne nourrissaient aucun complexe � l��gard du pr�sident du Conseil de la R�volution et conna�tront des fortunes diverses apr�s avoir cherch� � s�opposer � lui. L�institution du service national obligatoire � partir de 1969, la cr�ation de l�Acad�mie militaire interarmes de Cherchell, l�envoi � l��tranger pour des formations de longue dur�e des officiers les plus m�ritants participaient de la volont� du pr�sident Boumediene de cr�er une v�ritable arm�e nationale issue de l�Alg�rie profonde. Il n�avait pas de projet pr�cis sur l�arm�e de m�tier. Mais pour lui, la conscription obligatoire �tait l�instrument du rassemblement des Alg�riens, un des moyens de consolider la nation alg�rienne dont l�existence avait constamment �t� ni�e, y compris par nombre de ses propres enfants. L��laboration de la Constitution du 22 novembre 1976, l��lection du pr�sident de la R�publique au suffrage universel et les mesures de lib�ralisation politique que H. Boumediene comptait prendre � l�occasion du 4e Congr�s ordinaire du FLN auquel il ne participera pas, constituaient autant d��l�ments qui pr�figuraient sa vision de l�Etat alg�rien. Selon lui, l�arm�e devait jouer un r�le cl� au commencement de ce processus car elle constituait, pour des raisons historiques qui d�passaient la volont� propre des acteurs politiques du moment, l�institution la plus homog�ne et la mieux soud�e( 4). Seule l�arm�e pouvait �tre garante de la concr�tisation des choix politiques et id�ologiques qui avaient �t� proclam�s � l�occasion du Congr�s de Tripoli. La filiation que certains historiens croient utile d��tablir entre la militarisation du mouvement national, � partir de 1957-1958 et le r�le historiquement limit� que H. Boumediene assignait � l�arm�e, sur le plan politique, est pur fantasme. III) L�arm�e alg�rienne, source non exclusive du pouvoir Depuis le milieu des ann�es 1980, le poids du technocratisme est all� croissant dans le processus de d�cision. La gestion des affaires publiques ne pouvait plus faire bon march� des crit�res de comp�tence, surtout lorsqu�il s�est agi de mette en �uvre des d�cisions complexes, � partir notamment de 1989-1990 avec l�entr�e progressive de l�Alg�rie dans l��conomie de march�. La mont�e du technocratisme autonomise davantage les civils dans l�appareil d�Etat et diminue dans le m�me temps les capacit�s organisationnelles de l�arm�e dans la gestion des questions �conomiques, sociales, culturelles et m�me internationales. Il est probable qu�une technobureaucratie de plus en plus puissante, par essence conservatrice, a pu faire obstacle aux r�formes engag�es par K. Merbah puis M. Hamrouche, � une �poque o� chaque administration avait tendance � d�fendre son pr� carr�, ses lignes budg�taires, ses proc�dures. Il en est r�sult� une perte d�influence de l�institution militaire pour coordonner et g�rer les affaires publiques par le seul truchement des centres de d�cision qui lui �taient soumis directement(5). Apr�s 1979, sous l�impulsion du pr�sident Bendjedid, l�arm�e est l�objet de substantielles modifications de structures et � partir de 1984 ne s�implique plus dans les jeux de pouvoir qu�elle abandonne � une classe politique nominalement en charge des affaires de l�Etat. C�est contrainte et forc�e qu�elle intervient lors des �meutes d�octobre 1988 puis, en juin 1991, pour d�loger les troupes du FIS qui occupaient ill�galement l�espace public. L�arm�e intervient �galement en 1992 pour interrompre le processus �lectoral � la demande insistante de tous les la�cisants que terrassait la menace rampante d�un p�ril vert irr�pressible. Elle intervient la m�me ann�e pour mettre en place des institutions provisoires qui sortaient du cadre de la l�galit� d�finie par la Constitution du 23 f�vrier 1989 (HCE, CCN). Elle refuse, en revanche, en 1993, d�ent�riner l���conomie de guerre� pr�conis�e par le chef du gouvernement de l��poque, B. Abdesslam, de crainte de voir �clater de nouvelles �meutes (cette foisci des �meutes de la faim) qu�elle aurait �t� oblig�e de r�primer, � son corps d�fendant, en endossant les imp�rities d�apprentis sorciers, civils de leur �tat, irresponsables sur le plan s�curitaire, port�s cong�nitalement � la recherche de paravents commodes et peu enclins � pratiquer l�examen de conscience. Ceci dit, la pacification de l�espace politique est en partie due au d�sengagement de l�institution militaire. Trois ordres de circonstances permettent de l�expliquer. En premier lieu, comme il a �t� dit plus haut, les d�cideurs militaires ne sont plus syst�matiquement parties prenantes de la gestion des affaires publiques. Ils ont pass� le relais � des techniciens qui disposent d�une certaine ind�pendance vis-�-vis du pouvoir d�Etat, mais, plus encore, ne proc�dent plus formellement de l�institution militaire. En second lieu, les proc�d�s de cooptation des membres de la classe dirigeante et des �lites politiques en g�n�ral se font de plus en plus subtils, � telle enseigne que le hautcommandement militaire semble tenu � l��cart du choix d�un grand nombre de responsables civils et s�en accommode. En troisi�me lieu, le jeu des clans s�est complexifi�, � mesure que s��tablissaient des passerelles entre les diff�rentes sph�res de la vie publique, tandis que l�insertion de l�Alg�rie dans l��conomie mondiale et sa pr�sence au c�ur d�un ensemble g�ostrat�gique vital pour l�Europe et les Etats-Unis font intervenir des acteurs ext�rieurs au jeu politique national stricto sensu dans une mesure encore inconnue mais n�anmoins r�elle(6). IV) Les �lites intellectuelles entre veulerie, opportunisme et imposture Je me situerai � l�oppos� de la th�se qui consiste � pointer du doigt la position marginale des intellectuels la�cisants et leur inaptitude � mobiliser les populations autour des vertus de la s�cularisation de l�espace public(7). On ne peut reprocher aux intellectuels alg�riens acquis aux valeurs de la d�mocratie et des droits de l�homme de refuser de se r�signer � leur marginalisation. On ne peut davantage leur faire grief d�avoir cherch� � convaincre l�opinion occidentale des dangers que faisait courir, selon eux, le courant islamiste fondamentaliste pour l�ensemble des libert�s. Il ne s�agit pas ici de th�oriser sur la place et le r�le de l�intellectuel alg�rien. D�autres l�ont fait avec une autorit� scientifique � laquelle l�auteur de ces lignes ne pr�tend pas. S�il fallait choisir un point de d�part pour les besoins de la d�monstration, je prendrai les �v�nements d�Octobre 1988. Les islamistes comme les �intellectuels � ont cherch� � r�cup�rer ces �v�nements en accablant le r�gime et en le tenant pour responsable de cette trag�die. Il �tait av�r� depuis le discours du pr�sident Bendjedid le 19 septembre 1988 que les �v�nements d�Octobre proc�daient d�une lutte entre factions. Tous les intellectuels qui ont d�nonc� la r�pression qui s�en est suivie ont fait chorus au discours expiatoire du pr�sident de la R�publique. Jusque-l�, ils s��taient abstenus de critiquer le r�gime, ses clans, ses coteries. Nombre d�entre eux collaboraient en qualit� d�experts et de consultants et repr�sentaient m�me l�Etat alg�rien dans des d�l�gations officielles. Ils avaient, � des degr�s divers, tous apport� leur caution �clair�e au r�gime de Bendjedid. Pourtant, avant les �v�nements d�Octobre 1988, il y a avait eu les maquis islamistes (� partir de 1985), les �meutes de Constantine et de S�tif (1986), le code de la famille (1984) et plus loin encore le Printemps berb�re. Au mieux, l�attentisme �tait la caract�ristique de tous ces intellectuels. Il a fallu que le r�gime d�cide d�ouvrir le champ politique pour que de toutes parts fusent les mises en garde sur un air de �on vous l�avait bien dit.�(8) Au sein des �lites intellectuelles alg�riennes, il est utile de dissocier plusieurs cat�gories. Il y a les intellectuels qui ne s�impliquent pas dans le d�bat public, qu�il s�agisse de proposer ou de critiquer, comme si l�Alg�rie �tait pour eux un pays �tranger. Il y a ceux qui acceptent le r�le d��intellectuels organiques�, en contrepartie de gratifications de toutes sortes comme celles que re�oivent les mercenaires. Eux aussi ne prennent jamais position et affichent un parti pris d�indiff�rence ou de neutralit� � l��gard des questions politiques. Il y a une troisi�me cat�gorie, celle qui critique le r�gime alg�rien de l�ext�rieur en diabolisant l�institution militaire mais apr�s s��tre assur�e qu�elle pouvait le faire en toute impunit�. Nombre de procureurs de l�institution militaire sont aujourd�hui appoint�s par des officines �trang�res (certaines proches de l�Internationale socialiste) pour accabler le r�gime alg�rien(9). Jadis, ces intellectuels, au plus fort de la tourmente politique et sociale, �margeaient au budget de l�Etat, jouissaient de privil�ges exorbitants ainsi que de rentes de situation voire de passe droits aux d�pens des m�mes Alg�riens qui leur inspireront plus tard compassion ou commis�ration. Reste la quatri�me cat�gorie. Il s�agit d�une cat�gorie mixte constitu�e d�une part de personnes que le r�gime a d�j� largement utilis�es comme hommes de main, combl�es de ses bienfaits et qui ont occup� au d�triment de plus m�ritants qu�elles de hautes fonctions dans l�appareil d�Etat et, d�autre part, de personnes qui ont attendu en vain un retour d�ascenseur pour �services rendus � la patrie�, lequel ne s�est finalement pas produit. La sonnette d�alarme tir�e par 41 personnes en mai 2007 et dont il ne reste plus rien aujourd�hui(10) co�ncidait avec le moment o� 90% des signataires avaient perdu l�espoir d��tre recycl�s dans le syst�me. Les cris d�orfraie sur la marginalisation des jeunes et des femmes, l�islamisation obscurantiste de la soci�t�, les d�rives du syst�me seraient path�tiques, n��taient les �tats de service des signataires (� quelques exceptions pr�s) qui n�ont jamais mis en pratique leur statut de directeurs de conscience autoproclam�s, qu�il s�agisse par exemple de pr�parer la rel�ve des g�n�rations, de d�noncer l�in�galit� entre sexes (le code de la famille est rest� en vigueur 21 ans durant et ce n�est pas gr�ce aux d�mocrates qu�il a �t� amend� dans le sens que l�on sait), de communiquer leur savoirfaire suppos� ou encore de renoncer � consid�rer les institutions de l�Etat comme une chasse gard�e ou les commissions d��valuation qu�ils ont pr�sid�es, gr�ce � la bienveillance du pr�sident Bouteflika, comme un fonds de commerce in�puisable � des fins de m�diatisation. En pr�s de 50 ans d�ind�pendance, il s�est produit davantage de changements au sein de la haute administration qu�au sein du club des bien-pensants qui d�couvrent sur le tard les maladies de notre soci�t� mais n�en continuent pas moins de se coopter en gelant le relais interg�n�rationnel qu�ils reprochent au r�gime d�avoir d�lib�r�ment bloqu�(11). V) Les partis d�opposition et le mouvement associatif : des coquilles vides En adoptant le constitutionnalisme lib�ral en f�vier 1989, le pouvoir admettait qu�il n��tait plus en mesure de se rel�gitimer aupr�s des populations en leur garantissant une r�partition de la rente p�troli�re, aussi in�quitable f�t-elle. La situation �conomique et sociale se d�gradait contin�ment depuis f�vrier 1986, cependant que la mont�e du fondamentalisme religieux �tait coupl�e � un d�but de r�sistance arm�e dans les maquis. Le seul moyen de stabiliser l�ordre social �tait de proc�der � une nouvelle affectation des ressources politiques en instaurant le multipartisme (12). La cons�cration du multipartisme co�ncide avec deux ph�nom�nes : la d�l�gitimation progressive du pouvoir en place aux yeux des populations, � cause de l��rosion de la rente p�troli�re, qui est r�serv�e aux client�les du pouvoir et la mont�e inexorable du fondamentalisme islamique. Les expressions violentes de ce malaise prosp�rent sur le terreau fertile des in�galit�s sociales, du ch�mage, de la p�nurie de logements et de la mal-vie exprim�e notamment par les jeunes. Compte tenu de l�accumulation des attentes non satisfaites de la population et de l�inconnue majeure que repr�sentent les nouveaux partis agr��s, seule une formation d�ob�dience populiste pouvait tirer les dividendes de la lib�ralisation du champ politique. Le populisme du FLN ayant �chou� � faire �merger une soci�t� coh�rente et homog�ne, il revenait au FIS de prendre le relais en adoptant la rh�torique du FLN sur fond de mill�narisme religieux. Certes, la l�galisation du FIS s�effectue au m�pris de la Constitution, mais elle n�est remise en cause par aucune formation politique agr��e, ni bien �videmment par les populations qui appellent majoritairement de leurs v�ux l�accession au pouvoir d�une formation qui porte leurs esp�rances � plus d��galit� et � moins d�exclusion �conomique et culturelle( 13). De la fin du monopole de la repr�sentation politique par le FLN, beaucoup de d�mocrates sinc�res attendaient l�heure de la s�cularisation politique et l�ouverture d�un vrai d�bat d�mocratique. La parenth�se ouverte en 1989 commen�a de se refermer � l�occasion des �lections locales de juin 1990 (qui virent la victoire du FIS), puis de la mont�e en puissance du m�me FIS en juin 1991 (report des �lections l�gislatives, arrestation des principaux dirigeants du mouvement), enfin de l�interruption du processus �lectoral en janvier 1992 (apr�s le succ�s du FIS au premier tour des l�gislatives le 26 d�cembre 1991). De la conviction que la d�mocratie pluraliste �tait irr�versible, il ressort que nos intellectuels ne disposaient pas � et ne disposent toujours pas � des outils conceptuels pour penser la complexit� du r�el et appr�hender rationnellement les �volutions de leur propre soci�t�. Ils demeurent prisonniers des sch�mas d�analyse qui permettent la compr�hension des seuls processus d�av�nement des d�mocraties occidentales (14). Le bilan que l�on peut dresser de 20 ans de multipartisme n�est pas encourageant. Les partis, dans leur immense majorit�, n�ont pu remplir correctement aucune des fonctions classiques que leur impartit le syst�me repr�sentatif : formation de l�opinion, s�lection de candidats aptes � pallier l�insuffisance num�rique des �lites politico-administratives, issues du syst�me du parti unique, encadrement des �lus et des militants. Quels sont les partis qui ont cr�� des cellules d��valuation et de prospective qui auraient rendu possible l��laboration d�un projet politique cr�dible ? Aucun. La fermeture des partis aux �lites intellectuelles ind�pendantes a constitu� un autre handicap pour eux. Les formations politiques ne disposent ni de banques de donn�es ni d�outils strat�giques probants. En 20 ans, aucune formation politique n�a �t� en mesure de promouvoir en son sein une expertise de qualit�, non seulement pour �valuer l��tat des lieux, mais encore pour saisir les enjeux nationaux et internationaux au sein desquels l�Alg�rie doit s�inscrire pour imposer son rang et ses choix. En dehors des p�riodes �lectorales, les partis n�ont aucune existence concr�te. Lorsque, dans un entretien accord� au journal Le Monde (9 mars 2009), le secr�taire g�n�ral du RCD, Sa�d Sadi, affirme que �l�opposition est en permanence sur le terrain�, qu�elle fait �un travail de proximit� quotidien�, mais que simplement �son action n�est pas visible�, est-il conscient de commettre l� un contresens absolu ? On ne peut � la fois constater la profonde d�saffection de l�opinion publique � l��gard du pouvoir et consid�rer que l�action de l�opposition passe inaper�ue. Si rejet il y a par la population du r�gime en place, il est peu vraisemblable qu�une opposition, m�me b�illonn�e, censur�e et exclue des m�dias publics, puisse m�me faire entendre un soup�on de voix. La d�saffection des populations � l��gard du pouvoir en place suppose �galement une d�saffection similaire � l��gard des m�dias lourds qui entendent �touffer les voix de l�opposition. A l�heure du satellite, de l�Internet et d�une presse ind�pendante tr�s critique � l��gard du pr�sident de la R�publique, il est invraisemblable qu�une action de l�opposition, f�t-elle la plus lilliputienne, reste imperceptible ou que le travail de terrain que celle-ci pr�tend accomplir n�ait pas �t�, � ce jour, appr�ci� � sa juste valeur par des �lecteurs en qu�te d�un projet politique alternatif. La r�alit� est h�las ailleurs. La population rejette dans une m�me opprobre une partie du r�gime et l�ensemble de l�opposition qu�elle consid�re comme un simple alibi des �lites dirigeantes. Il appartient aux partis dits de l�opposition d�administrer la preuve du contraire, ne serait-ce qu�en unissant leurs voix et en s�effor�ant d��laborer une plate-forme programmatique a minima pour convaincre de leur bonne foi une opinion � juste titre d�sabus�e, mais qu�il est encore possible de reconqu�rir, pour peu que l�opposition abandonne le registre de la duplicit�. Il est tr�s loin le temps o� cette entreprise pouvait exposer ses auteurs � quelques repr�sailles que ce soit. S�agissant du mouvement associatif, le bilan qui porte sur la m�me p�riode (1990-2009) est pareillement n�gatif. L�Alg�rie ne poss�de pas encore de soci�t� civile. Ce n�est certes pas � l�aune des milliers d�associations, cr��es depuis l�entr�e en vigueur de la loi du 5 d�cembre 1990, qu�on peut mesurer la vigueur du mouvement associatif autonome. Plus de 90 % des associations ne se conforment pas aux prescriptions de leurs statuts et de leur r�glement int�rieur. Les ressources financi�res collect�es � travers les subventions de l�Etat, dons et legs sont souvent d�tourn�es par les instances dirigeantes de ces ONG, comme le montre le nombre d�affaires port�es en justice. Le minist�re de l�Int�rieur n�est pas outill� humainement et mat�riellement pour proc�der � un contr�le rigoureux du fonctionnement et de l�activit� des ONG. En annon�ant le r�vision de la loi sur les associations, le ministre de l�Int�rieur ne cherche nullement � porter atteinte � la libert� d�association, mais au contraire � la renforcer en s�parant le bon grain de l�ivraie. Tout ce que l�Alg�rie compte de d�mocrates ne pourra qu�approuver la r�vision de cette loi, d�s lors qu�elle vise uniquement � instaurer la plus grande transparence pour ce qui est de l�origine et de l�affectation des ressources collect�es par les ONG. En ce qui concerne � pr�sent les soci�t�s savantes (ou think tanks), contrairement aux id�es re�ues, le pouvoir ne s�oppose pas � leur libre expression et ne cr�e aucune entrave � leur �panouissement. Mais nos �lites intellectuelles sont loin d�avoir acquis la culture d�mocratique par laquelle elles pourraient exister ind�pendamment de la bienveillance du pouvoir d�Etat. Nos intellectuels pr�f�rent squatter les alc�ves des institutions officielles ou faire antichambre aupr�s des puissants du moment, dans l�espoir de troquer un statut symbolique et social, certes en d�sh�rence, contre des positions de pouvoir exclusivement nominales. Il est vrai, cependant, qu�il existe des think tanks enti�rement d�vou�s aux services de s�curit�, mais on ne peut d�plorer leur existence, d�s lors qu�il s�agit de fournir aux d�cideurs une expertise et une compr�hension des situations internes et internationales, sans lesquelles l�institution militaire serait impuissante � assurer la protection du territoire national et des populations. A ce compte-l�, il faudrait adresser les m�mes griefs aux think tanks qui travaillent de fa�on quasi institutionnelle pour les services de s�curit� am�ricains, britanniques, fran�ais, allemands, japonais, pays d�mocratiques, s�il en est. Il est, � cet �gard, normal que l�exercice des missions confi�es � ces centres de r�flexion soit assortie de pr�cautions et le choix de leurs membres rigoureusement s�lectionn�, puisque aussi bien ces centres manient des secrets d�Etat et des informations hautement confidentielles. A. M. *Professeur d�enseignement sup�rieur, ancien charg� de mission � la pr�sidence de la R�publique ( A suivre)
(1) 20-27 ao�t 1957 au Caire (2) 16 d�cembre 1959-18 juin 1960 Tripoli 1 (3) Cf P. Balta et Cl. Rulleau, La Strat�gie de Boumediene, Sindbad, Paris, 1978 (4) V. JJ. Lavenue, L�Arm�e alg�rienne et les institutions, RDP, 1993, p.101. (5) Cf S. Goumeziane, Le Mal alg�rien. Economie politique d�une transition inachev�e, 1962-1994, Fayard, 1994. (6) Hypoth�se sugg�r�e par la venue en Alg�rie, en juillet 1998 � Alger pour une mission d�information d�un panel onusien pr�sid� par l�ancien pr�sident de la R�publique du Portugal, Mario Soares. (7) Par exemple, celle d�fendue par F. Burgat in L�Islamisme en face, Edition actualis�e, La D�couverte/ Poche, 2007. (8) Voir cependant l�analyse pr�monitoire du doyen A. Mahiou : L��volution des rapports entre l�Etat et la soci�t� dans le discours politique alg�rien, in Aspects du changement socioculturel en Alg�rie, Centre culturel fran�ais, Paris, 1987. (9) V. l�ouvrage de Madjid Benchikh, Alg�rie, Un syst�me politique militaris�, L�Harmattan, 2003, qui vaut abjuration de la part de son auteur de toute la p�riode pendant laquelle il a servi avec un z�le particulier le r�gime qu�il d�nonce et gr�ce auquel il a acquis sa notori�t�. (10) Appel pompeusement intitul� : Principes fondateurs d�une coordination r�publicaine pour un changement d�mocratique moderne. (11) L. Addi, L�Alg�rie et la d�mocratie. Pouvoir et crise du politique dans l�Alg�rie contemporaine, Editions La D�couverte, 1994. (12) A. Mahiou, Les contraintes et incertitudes du syst�me politiquein O� va l�Alg�rie ? Karthala � Iremam, 2001, pp. 13-34. (13) N��chappent � ce travers, selon nous, que deux auteurs au savoir encyclop�dique : l�Alg�rien A. Mahiou et le Tunisien Yadh Benachour, dont on lira avec profit le magnifique ouvrage : Le R�le des civilisations dans le syst�me international. Droit et relations internationales, Editions Bruylant, Bruxelles, 2004. (14) Cf le remarquable ouvrage de Ch. Mesbah, Probl�matique Alg�rie, Editions Le Soir d�Alg�rie, Alger 2009, pr�face de A. Mehri.