Si la g�n�ration de Novembre s��tait assign� le seul vrai d�fi de son temps, celui de l�ind�pendance du pays, qu�elle a d�ailleurs victorieusement relev�, la g�n�ration post-ind�pendance est, pour l�instant, sans projet collectif identifiable. La seule volont� de remplacement du pouvoir ne pouvant constituer, bien entendu, un grand dessein ni une prouesse historique, la rel�ve se fera de toutes les fa�ons par la force du temps. Depuis maintenant vingt ans, au moins, la nouvelle classe politique, tant celle li�e au r�gime actuel que celle qui se veut dans l�opposition, ne cesse, en guise de vision, de recenser les r�alisations ou les �checs du pass� et de promettre le bonheur des temps prochains ou de d�crire les sympt�mes de l�impasse du pr�sent. Quant � l�avenir, il se d�cline en autant de projets de rem�des d�un mal multiforme, toujours vari�s et changeants, selon les conjonctures travers�es et les prismes id�ologiques en cours. Hors l�attirail vestimentaire(*), les formes de d�clamation et les diff�rences d�intensit� et de formulation d�un populisme r�dhibitoire, depuis l�islamisme jusqu�au trotskysme, le discours politique reste, pour l�essentiel, superficiel et fragment� quant aux objectifs � atteindre. De toutes ces ambitions, hormis bien s�r les utopies id�ologiques, il n�en ressort aucun projet de soci�t� suffisamment coh�rent qui prenne en compte, tout � la fois, la nature de notre soci�t�, les contraintes historiques qu�elle subit et les buts primordiaux qu�elle devrait se fixer en fonction des bouleversements mondiaux en vue. Les diff�rents partis politiques ne proposent ni la vision n�cessaire � notre salut collectif, ni l�espoir mobilisateur de la nation. Nulle part ne se manifeste, clairement, un dessein national, concret, r�aliste, sens� et en m�me temps ambitieux, ouvert sur l�avenir et g�n�rateur d�espoir. Nul d�fi � l�horizon pour faire vibrer les volont�s, nulle raison pour le peuple de se d�partir de la d�prime, de la morosit� et du d�sespoir. Pourtant, un �challenge� prom�th�en nous attend, un tournant d�cisif dans notre histoire s�annonce : la d�pl�tion des r�serves d�hydrocarbures et la fin, pr�visible, de l��conomie de rente. Nous sommes devant cette alternative : y faire face et transformer cette �preuve de v�rit� en un levier, pour faire sortir le pays de son orni�re, ou alors y succomber, et subir de longues et impr�visibles d�cennies chaotiques. Bien s�r, tout le monde parle de l�apr�s-p�trole. Mais, apparemment, personne ne prend la formule au s�rieux. Cependant, � regarder de pr�s quelques chiffres sur la structure �conomique du pays, les choses risquent de mal tourner assez rapidement, et c�est peu dire. Selon les diverses pr�visions, l�Alg�rie peut encore produire suffisamment de p�trole durant une quinzaine d�ann�es, au mieux une vingtaine. Or, toute notre �conomie est construite sur la rente p�troli�re. En 2008, le pays a vu ses d�penses en devises s��lever � pr�s de 50 milliards de dollars, dont pr�s de 39 milliards USD en marchandises diverses et 10 milliards USD de transfert de b�n�fices et autres services. Et le rythme actuel est encore � la hausse � pr�s de 7% pour ce premier semestre 2009, engloutissant la quasi-totalit� de la rente p�troli�re de la m�me p�riode. Lorsqu�on constate que nos capacit�s exportatrices hors hydrocarbures sont d�� peine un peu plus de 1 milliard USD, dont une bonne partie provenant de la vente de mati�res premi�res elles aussi promises � l�extinction, le r�veil est alors violent. Cette situation explique, probablement, les derni�res mesures gouvernementales tendant toutes � r�duire � au moins en th�orie � la consommation des biens import�s (taxes sur les v�hicules, d�pr�ciation quasi clandestine de la valeur du dinar, mesures coercitives � l�encontre des importateurs, restriction sur les soci�t�s �trang�res�) qui trahissent une certaine prise de conscience, sinon une sourde panique, quant � l��volution du pays. On le serait � moins ! C�est que l��quation est sans solution, avec la nature du r�gime dont l�autorit� est fond�e sur la distribution g�n�rale de la rente. La r�alit� du d�s�quilibre entre les valeurs d�importation et d�exportation hors hydrocarbures est connue depuis toujours. Mais ces derni�res ann�es, cette distorsion a pris une dimension dramatique, passant de 10 milliards USD de d�penses en devises � pr�s de 50 milliards USD, avec une croissance annuelle fulgurante et non ma�trisable. Si l�on rajoute au tableau quelques pr�visions sur la croissance de la demande interne en relation avec la d�mographie, et avec l�activit� �conomique en g�n�ral (autour des 5% de croissance hors hydrocarbures), ce d�s�quilibre repr�sente tout simplement une menace majeure pour la s�curit� et la stabilit� du pays. Pour att�nuer ces inqui�tudes, il faut dire que le prix du baril de p�trole est appel� � atteindre des sommets inimaginables ces prochaines ann�es, que le Tr�sor public regorgera d�argent dans le court et moyen terme, et qu�au-del� de la d�pl�tion du p�trole, il restera du gaz, bien s�r, bien qu�il ne repr�sentera, au mieux, que 25 � 30% du pouvoir d�achat g�n�r� par les exportations actuelles. Cependant, la faillite du syst�me productif actuel et l�embellie �poustouflante des circuits de la corruption feront vite fondre ces ressources comme neige au soleil. Qu�adviendra-t-il, alors, du pays dont les entr�es en devises proviennent � 99% des hydrocarbures, g�n�rant � eux seuls 50% du budget de fonctionnement de l�Etat par la fiscalit� p�troli�re ? Comment payer alors les fonctionnaires ? Comment nourrir la population, lorsque l�agriculture actuelle ne fait pas face � 30% de sa consommation ? Comment faire face aux besoins incompressibles d�une nation rendue incapable de produire, par elle-m�me, ses moyens de survie ? Comment maintenir l�ordre, sans pouvoir subvenir aux besoins d�une police et autres services de s�curit� tous pl�thoriques et budg�tivores, mais tellement n�cessaires � la s�curit� de l�Etat ? A quelles justifications les hommes au pouvoir s�accrocheront, encore, pour l�gitimer plus longtemps leur mainmise sur le pays ? A l�ass�chement des entr�es en devises, il faudra pr�voir de nouvelles d�penses pour l�importation de ces m�mes hydrocarbures pour les besoins domestiques (l�Alg�rie a consomm� en 2008, 12% de sa production). Avec quel argent, en sachant qu�alors le p�trole atteindra des cours � peine imaginables maintenant ? Le peu d�activit� industrielle s�effondrera. Tout le reste avec� Au lieu de tenter de d�crire ce qu�il adviendra du pays dans les dix ann�es � venir avec le r�gime politique actuel, exercice l�gitime par ailleurs, posons tout simplement les conditions de notre survie future pour mieux �valuer le d�fi � relever : dans 20 ans (c�est si court dans la vie d�une nation), l�Alg�rie devra �tre capable d�exporter, en biens et services, pour l��quivalent de 50 milliards USD en valeur constante 2008 pour maintenir approximativement le niveau de vie actuel, en consid�rant que l�exportation de gaz palliera encore les urgences pendant deux autres d�cennies. Autrement dit, si l�on �talait l�effort que cela repr�sente sur 20 ans, il faudrait que l�Alg�rie puisse exporter, hors hydrocarbures, la valeur de 2 milliards USD suppl�mentaire sur chaque ann�e (2009 = 2 milliards USD, 2010 = 4 milliards USD ; 2011 = 6 milliards USD, etc.) ou, en d�autres termes, une moyenne annuelle pond�r�e de la croissance de la valeur hors hydrocarbures export�e de 20 � 25%, �tal�e sur 20 ans ! Le d�fi semble, tout simplement, impossible � tenir. En tous les cas, avec la politique actuelle, il n�y a aucun doute sur l�issue. Les sacrifices � consentir seront tels qu�un r�gime ill�gitime et fond� sur l�autoritarisme ne pourra jamais exiger de son peuple un tel effort. D�autant plus que, depuis un demi-si�cle, le pays vit sur la rente et a donc perdu des pans entiers du savoir et du savoir-faire qu�il poss�dait, se retrouve � la tra�ne dans la productivit� du travail, avec un appareil industriel obsol�te et �touff� par une bureaucratie fonci�rement corrompue. Les jeunes ne croient plus en la valeur �travail�, ne supportent pas l�effort, se d�tournent des m�tiers p�nibles, ceux de la terre, de l�industrie� Le tourisme n�cessite une culture dont nous ne poss�dons m�me pas les bases. Par ailleurs, les conflits id�ologiques, la violence g�n�rale et la perte des rep�res dispersent les �nergies nationales. Comment, alors, faire retrouver � la nation une coh�sion perdue et lui insuffler l�ambition et la volont� de se remettre � l�ouvrage ? Comment reconstruire le rapport gouvernant-gouvern�, en consid�rant que c�est au peuple de financer l�Etat et que, concomitamment, le pouvoir doit �maner de la volont� populaire � travers des urnes transparentes et honn�tes ? Comment faire fonctionner un Etat de droit, alors que les Alg�riens n�ont pas su int�rioriser sa n�cessit� ? Il n�est pas de doute, l�Alg�rie s�oriente, lentement mais in�luctablement, vers un autre choc de dimension historique : c�est � cette g�n�ration postind�pendance que revient le devoir de l�amortir et, souhaitons- le, de le d�passer ! S. D. (*) Le jeu de mots de M. Bouteflika sur l��baya de Abassi et la minijupe de Khalida est symptomatique de cet �tat d�esprit.