Rassurons-les ces ministres en d�licatesse avec l�opinion. Ils n�auront pas � se faire du mouron au cours des semaines prochaines. Surgissant en pleine canicule, Ramadan se chargera de dissiper l�attention du pays trop occup� � je�ner le jour et prolonger les soir�es � ne rien faire. Hormis leurs pairs charg�s, respectivement, de la �foi� et de la charit� officielle, tous auront le loisir de potasser, sans pression, les oraux auxquels les soumettra le pr�sident. C�est que ce mois particulier s�accommode bien peu des sujets profanes. Ceux de la vie de tous les jours. Pr�f�rant scruter les mercuriales des prix, tous les je�neurs qui excellent dans cet exercice s�int�ressent �galement � l�exub�rance des bonnes �mes qui font de la saison de l�abstinence l�unique moment de la g�n�rosit�. Mois b�ni de la palabre, n�est-il pas propice aux f�roces r�quisitoires surtout ceux qui concerne l�ind�cente charit� dont les pouvoirs publics font �talage ? C�est que la ponctualit� de l�op�ration, en surchargeant � l�exc�s la signification de cette p�riode de d�votion, choque d�sormais le sens commun au lieu de le r�concilier avec les valeurs basiques de la spiritualit�. Une irritation ressentie comme une insulte toutes les fois (trop de fois !) o� l�intervention des pouvoirs publics prend les formes d�un discours glorificateur et d�une arithm�tique de couffins. Et c�est cet �hont� d�tournement, au profit du politique d�une culture de la solidarit� propre au peuple, qui de nos jours est devenue insoutenable. Ceci est d�autant plus vrai que la duperie a trop dur� et qu�il n�est plus permis � un gouvernement de la faillite de se rattraper sur la charit� occasionnelle quand il n�a pas su, une d�cennie durant, venir � bout de la grande pauvret�. Son monopole du �c�ur� exclusivement ramadhanesque l�accuse plus qu�il ne le d�douane. Car il est la preuve qu�il n�a jamais su administrer convenablement la cit� les jours profanes jusqu�� �tre contraint de n�gocier une bonne conscience au moment o� le sacr� est de retour. Depuis 10 Ramadans, ou presque, le m�me ministre lance la m�me op�ration en usant des m�mes arguments � (que contredit en permanence d�ailleurs la r�alit� des faits) � et jongle avec les chiffres afin de donner de la cr�dibilit� � son propos. Il est l�arch�type du bonimenteur du r�gime qui ne rate pas un seul car�me pour emboucher les trompettes de la charit� religieuse dont lui ne serait que l�ordonnateur de la bonne �uvre. Un samaritain secourant les ventres creux. Or, pire qu�une posture de bateleur de foire, son activisme porte la marque de l�imposture politique. Et pour cause� ! Par le fait m�me qu�il perp�tue cette pratique de l�aum�ne officielle, ne sait-il pas que le pouvoir, dont il est le d�l�gu�, porte implicitement atteinte � la dignit� de ceux � qui elle est destin�e ? Il n�y a pas, en principe, de charit� de l�Etat et si par malheur elle est institu�e, cela signifie que celui-ci est sorti de son r�le. Celui qui consiste � promouvoir imp�rativement une justice et une �quit� sociales. Dans les faits, c�est la justesse m�me de sa praxis politique qui est prise en d�faut. A ce propos justement, m�mes les statistiques r�cemment comment�es par la presse(1) demeurent bien en de�� de la terrible catastrophe g�n�r�e par une paup�risation mal ma�tris�e. En effet, la visibilit� de 1,2 million de m�nages d�munis, pour effrayant qu�elle est, ne refl�te pas tout � fait l��tendue du d�sastre. Inquantifiable pour le moment, une autre partie de cet iceberg de la mis�re serait tout aussi important. Sociologiquement, certaines analyses nous expliquent qu�elle est constitu�e de certaines strates �frontali�res � du d�nuement mais qui h�sitent � se manifester en tant que telles. Ce sont des mis�reux discrets � la d�tresse tellement muette qu�ils refusent de solliciter le secours ostentatoire des institutions. Cela s�appelle chez eux la dignit� dont en est d�pourvu pr�cis�ment un Etat qui instrumente m�diatiquement une impudique sollicitude. Dans un pays sombrant chaque jour dans la spirale de la pauvret�, faire de la �chorba� du je�ne ou du couffin de la honte une parade au d�sespoir s�apparente � de l�obsc�nit� politique. C'est-�-dire qu�une telle d�marche ne peut se comprendre que comme une insulte dans un contexte aussi douloureux. Face aux attentes sociales de plus en plus pressantes et grandissantes, les r�ponses sont ailleurs que dans cet assistanat saisonnier. La charit�, m�me bien ordonn�e, n�est pourtant pas une strat�gie capable de vaincre l�indigence galopante. Tout autant que le concept de solidarit� n�a pas pour corollaire exclusif ce d�testable secourisme alimentaire. En termes �conomiques, la solidarit�, lorsqu�elle est affaire de l�Etat, renvoie essentiellement � un devoir de r�gulation. Celui qui, entre autres, consiste � imposer des seuils de tol�rance entre les nantis et les d�favoris�s. Gr�ce � de multiples m�canismes juridiques, les pouvoirs publics ont toute la latitude d�effectuer, au niveau macro- financier, ce genre de transfert des plus-values scandaleuses afin de financer ailleurs des projets structurants au profit des couches sociales en question. Socialiser la richesse globale du pays au lieu de panser, � travers des aides ridicules, le malheur d�un tiers de la population n�est-il pas le seul devoir de l�Etat ? Cela dit, mais pourquoi donc ce sujet-l� revient chaque fois au c�ur du mois de Ramadan ? Simplement parce qu�il constitue un pic de la consommation des m�nages et � ce titre se r�v�le comme un bon indicateur dans l�analyse des pouvoirs d�achat. Une p�riode �parlante� pour mesurer ces fameux �carts entre les moyens de subsistance dans la population. Sauf qu�il est politiquement incorrect de la part de l�Etat de ne se manifester qu�� ce moment m�me lorsqu�il ne se contente que de financer les couffins. En effet, les pouvoirs publics privil�gient d�lib�r�ment la r�f�rence au credo religieux pour justifier une vieille politique de la solidarit� qui a d�j� montr� et ses limites et sa d�magogie dans d�autres domaines. En d�autres termes, il emprunte au discours religieux cette interpr�tation restrictive qui fait uniquement de ce moi Majuscule le moment des grands examens de conscience et de l�auto-amendement par l�aum�ne. Quitte � susciter le courroux des d�vots obtus et dans le m�me temps disqualifier l�activisme des pouvoirs publics, il ne semble pas que Dieu et la foi tout autant que les besoins permanents des d�munis ont quelque chose � faire avec ce caract�re s�lectif entre les jours �sans� et les jours �propices aux bonnes �uvres� ! Car pourquoi cette religiosit�, exacerb�e trente jours durant et dont on conna�t l�origine, a-t-elle contamin� le pouvoir d�Etat au point qu�il l�imite dans sa d�marche en redevenant invisible d�s la fin du je�ne ? La r�ponse se trouve simplement dans son inclination � tout manipuler. Friand des formules faciles et des proc�d�s incantatoires, il n�a pas trouv� mieux que ce caut�re religieux pour ferrailler sur le front de la pauvret�. Ainsi lorsqu�un r�gime consid�re que les �saisons de la foi� sont, dans ce domaine, des pistes � d�fricher pour son propre compte, il y a lieu de s�interroger sur sa v�ritable capacit� � conduire les affaires de la cit� en dehors de l�exorcisme que lui tend, comme perche, la religion. Pourtant, nul ne m�prend sur les limites de l�entraide sanctifi�e. Elle qui n�a jamais fait reculer la mis�re chronique et le ch�mage end�mique ne se donne-t-elle pas pour finalit� morale de ne plus exister ? Inutile donc de rappeler que seul Dieu �videmment et les Alg�riens en bute aux privations reconna�tront les leurs quand il s�agira de mesurer � l�aune de la bonne foi les intentions de la mosqu�e et du palais. B. H. (1) Lire le dossier consacr� � la pauvret� publi� par El Watan en date du 19 ao�t 2009.