En d�pit des statistiques et des �tudes qui disent le contraire, on persiste � nous dire que le Ramadan, c'est le mois du travail. Laissons de c�t� pour l'instant la pi�t� qui est aussi visible que le nez de Cyrano au milieu de sa figure. Il est admis, une fois pour toutes, que le peuple alg�rien est pieux, surtout aux alentours de la cinquantaine. Mais le travail ? Il est constat� et prouv�, dans nos zones de pi�t� alanguie, que le travail n'est pas l'invit� d'honneur du Ramadan. Il serait m�me un h�te encombrant au vu des performances de notre outil de production. Des �chafaudages somnolents, des passants comme en surdose d'�mollients, et des Chinois, �� et l�, qui vous cassent le rythme. Ils travaillent, ces Chinois, malgr� un environnement qui incite au contraire. Ils travaillent tellement que les cigales en sont r�duites au silence. Ils ont pris la mesure du milieu dans lequel ils vivent, les Chinois, c'est pour �a qu'ils auraient demand� � vivre entre eux, � avoir leur propre �Chinatown�. Ainsi, ils ne seraient pas oblig�s de se frotter constamment, et de fa�on rugueuse parfois, aux autochtones. Tant pis pour ceux qui parient sur vari�t� r�g�n�r�e d'Alg�riens aux yeux brid�s ! C'en serait fini aussi du r�ve d'islamiser les Chinois, d'avoir en quelque sorte nous Ou�gours � port�e de main, ou de tir selon les distances. Car nous sommes bien plac�s pour le savoir : on n'est jamais aussi bien qu'entre musulmans, lorsqu'il s'agit de s'envoyer mutuellement au paradis. Tant pis pour les r�dacteurs d'entrefilets annon�ant triomphalement qu'un de nos r�sidents temporaires a rejoint la vraie religion ! Les r�dacteurs, voil� encore des victimes collat�rales du Ramadan ! Si vous n'avez jamais vu une salle de r�daction durant cette p�riode, allez-y, ne seraitce que par solidarit�. L'angoisse de la feuille blanche est d�cupl�e lorsqu'on a l'estomac trop vide ou pas assez plein. Je m'explique : dans un journal, il y a ceux qui je�nent r�ellement, des v�t�rans, en quelque sorte, et il y a ceux qui font semblant. Pour les seconds, les affres de la faim et de la soif sont pires, parce qu'ils n'ont rien aval� depuis le petit d�jeuner du matin. Impossible de placer un mot devant l'autre, tant les id�es s'�gaillent, comme des enzymes gloutonnes en qu�te de pitance. Dans un journal, � l'heure des d�jeuners manqu�s depuis longtemps, le vrai je�neur, le solide croyant est occup� � maintenir coll�es les parois de son estomac, tout en tapant sans d�semparer sur son clavier. En face de lui, son coll�gue le faux je�neur doit g�rer le modus vivendi entre un estomac vou� � la portion congrue et une t�te qui d�chante. C'est d'ailleurs nous, Alg�riens p�tillants en toute saison, qui avons invent� cet adage : �Lorsque le ventre est plein, la t�te chante.� Vous comprenez maintenant pourquoi la t�l�vision nous offre syst�matiquement des chansons apr�s chaque rupture du je�ne. Il y a d'ailleurs une fa�on radicale de d�masquer votre voisin faux je�neur. Il suffit de tendre l'oreille et d'attendre : � un moment ou � un autre, vous l'entendrez alors chantonner �Mata Nastarihou� en sourdine. C'est l'occasion que vous attendiez pour faire votre B.A. de la journ�e, il ne vous reste plus qu'� t�l�phoner � la police. Cependant, n'essayez pas de faire la m�me chose si vous �tes dans une salle de r�daction. M�me si c'est un faux je�neur, m�me si son estomac se refuse � gargouiller par dignit�, le journaliste ne chantera pas, parce qu'il n'a pas le c�ur � �a et qu'il doit dissimuler. De nos jours, la dissimulation (en Islam �takia�) est m�re de s�ret� : avouer qu'on ne fait pas la pri�re, c'est d�j� s'exposer � la vindicte publique. Reconna�tre qu'on a rompu le je�ne en plein jour, c'est poser la t�te sur le billot. Aujourd'hui, et particuli�rement en cette p�riode, ditesvous bien que chaque coreligionnaire est un inquisiteur en puissance. Plut�t que de d�fier ou d'affronter la soci�t�, agissez selon ses lois non �crites : fa�tes semblant comme tout le monde ! Il y a sans doute une autre mani�re, moins insidieuse et plus morale, de discerner, dans un journal, le vrai je�neur du faux, c'est de lire les articles publi�s. Ce n'est pas toujours tr�s facile, croyezmoi, puisque j'ai tent� personnellement l'exercice. J'ai pris, un num�ro r�cent du quotidien national Ennahar-Aldjadid. En page deux, � la rubrique �Vu et entendu�, je lis le titre suivant : �Warda Al-Djaza�ria radote !�. Ce qui n'est pas tr�s �logieux pour notre diva nationale. C'est Melhem Barakat, le compositeur libanais, qui a affirm� sur les antennes de la t�l�vision libanaise, LBC, que Warda �tait en train de radoter apr�s avoir atteint un �ge certain. Le r�dacteur, ou la r�dactrice, de l'article nous pr�cise que Melhem Barakat aurait fait ce commentaire d�sobligeant en r�action aux propos de Warda sur Abdelhalim Hafez. Sur la m�me antenne, quelques jours auparavant, la chanteuse alg�rienne avait d�clar� que Hafez �tait �narcissique�. M�me �mission, m�me compositeur, m�mes d�clarations rapport�es dans le m�me num�ro du journal, mais en derni�re page cette fois-ci, et avec une signature f�minine. Melhem Barakat affirme qu'il n'arrive pas � croire que Warda Al-Djaza�ria ait pu lui demander de composer pour elle. �Warda est la grande dame et l'un des derniers monuments de la chanson arabe et tout ce qu'elle dit est acceptable�, a-t-il dit. Et il ajoute qu'il serait heureux et fier de travailler avec Warda qu'il consid�re comme une immense artiste. Alors, qui de Melhem Barakat et de Ouarda radote et qui est plus ou moins terrass� par le Ramadan dans ce journal ? Dans le cas d'un quotidien aussi pieux, je ne m'aventurerais pas � essayer de d�busquer un faux je�neur. Je pourrais juste, au vu des deux informations apparemment contradictoires, que nous sommes en face de deux visions : l'une pessimiste et l'autre optimiste. Compte-tenu de tout ce qui a �t� dit ici sur les vrais et faux je�neurs dans la presse, je vous invite � faire votre choix. En vous rappelant que l'optimisme et le pessimisme ne sont pas forc�ment antinomiques, surtout au mois de Ramadan. C'est encore de pi�t� qu'il s'agit chez le quotidien, rival en la mati�re, Echourouk qui rebondit sur les derni�res donn�es concernant l'Islam de France. Revenant sur le sondage op�r� par l'IFOP aupr�s de la communaut� musulmane, le quotidien nous apprend que les musulmans sont plus assidus � la mosqu�e que les chr�tiens � l'�glise. Il nous annonce �galement que 55% des musulmans �engag�s�(pratiquants) consomment de la viande hallal�. 60 % d'entre eux refusent le syst�me bancaire actuel, �bas� sur l'usure�. Plus int�ressant encore, d'apr�s le sondage, 98% des musulmans �engag�s� respectent les obligations du Ramadan. Tandis que 72 % des personnes interrog�es, et �non engag�es� disent observer le je�ne. Bref, tout est dans la fa�on de le dire ou de ne pas le dire. M�me en France o� le z�le religieux rel�ve parfois de la provocation, les citoyens musulmans ne se sentent pas assez en s�curit� pour renoncer � la dissimulation. Ce qui m'am�ne � vous faire part de cette statistique personnelle, �tablie au deuxi�me jour du mois sacr� : dans le vol Alger- Paris, de fin de journ�e, au moins soixante-dix pour cent des voyageurs ont consomm� le plateau repas. Ceci, sans attendre l'heure du �f'tour�, comme on dit. Je parie que ce sont ces soixantedix pour cent que l'IFOP a interrog�s sur le je�ne � leur descente d'avion.