Sur son territoire de prédilection, en Irak comme en Syrie, l'Etat islamique aligne les défaites et, désormais, son existence «chez lui» serait en passe d'être reléguée au rang des mauvais souvenirs. Mais, si l'on se réfère à un rapport de l'organisation non-gouvernementale International Crisis Group daté de la fin juillet dernier, il n'est pas exclu que la nébuleuse créée par Abou Bakr Al-Baghdadi trouve refuge et se régénère au Maghreb. International Crisis Group (ICG), organisme transnational reconnu partout dans le monde pour ses analyses et recommandations dans le but de prévenir et de résoudre les conflits armés, s'est fendue d'une minutieuse étude sur la montée, le déclin et la potentielle remontée au Maghreb de l'Etat islamique. Les pays du Maghreb, selon ICG, étaient considérés, dès le départ, par l'organisation terroriste d'Abou Bakr Al-Baghdadi comme des pourvoyeurs majeurs de combattants pour Daesh. Une légion étrangère de tueurs qui provenait surtout de Tunisie, rappelle le rapport comme d'autres auparavant, tels ceux du Soufan Group, spécialisé dans les questions de sécurité et de défense, ou encore d'Interpol. Pour le Maghreb, dès sa naissance, l'Etat islamique s'est fixé trois missions : le recrutement de combattants prêts à rejoindre dans l'immédiat Daesh, la constitution de groupuscules avec des dispositions pour des attentats contre des populations civiles, et la constitution d'une organisation militaire avec tous les attributs classiques d'une armée régulière. C'est à ce titre que le Maghreb a constitué et constitue encore un terrain «fertile» pour l'Etat islamique, souligne l'ICG qui consacre une bonne partie de son analyse au cas de la Tunisie, un pays qui a «relativement bien réussi sa mutation vers une démocratie tout en étant le pays d'origine de l'un des contingents les plus importants de la légion étrangère ayant rejoint l'armée de l'Etat islamique». Un état de fait surprenant pour les analystes de l'ICG qui s'interrogent, comme tous les autres spécialistes s'étant penchés sur le sujet, sur l'incapacité de l'Etat islamique à recruter dans les mêmes proportions chez les pays voisins de la Tunisie, même si la Libye a constitué un creuset de militants pour sa cause en raison du désordre qui y règne. Globalement, l'International Crisis group suggère que, pour le Maghreb, l'environnement était propice pour recruter des combattants en raison d'une forte demande de «révolutionnaires» prêts à en découdre avec l'establishment, des jeunes surtout chez qui le sentiment d'injustice est plus qu'une conviction, ou encore en raison de la déstructuration des services de sécurité, aussi bien en Tunisie qu'en Libye, ou encore la présence de réseaux actifs de djihadistes et de militants en Libye, en Tunisie et au Maroc. Ce rapport a été établi par l'ICG après un travail de recherche entamé en 2011, puis approfondi depuis 2015 à ce jour en raison du nouveau contexte. De notre pays, l'ICG estime que c'est un cas particulier du fait d'abord qu'il n'a «donné» que 78 individus, voire moins, combattant sous la bannière de Daesh, auxquels on pourrait ajouter environ 200 binationaux ayant rejoint l'Etat islamique à partir de l'Europe. «Le nombre d'Algériens affiliés à l'Etat islamique est, en tous les cas, le plus surprenant en considérant l'histoire du pays», note le rapport dont les auteurs ont agrémenté par l'avis d'un expert algérien qui a expliqué, en partie, cette «curiosité» du fait du traumatisme, encore récent, subi par les Algériens dans leur confrontation avec les groupes armés islamistes depuis 1992. «Après vingt-cinq ans de guerre et 200 000 morts, rejoindre les groupes islamistes armés n'est plus attractif (...) Il y a eu une extinction du réservoir d'extrémistes», a confié l'expert algérien à l'ICG qui, également, rapporte cette analyse selon laquelle le nombre infime d'Algériens impliqués dans la légion étrangère de Daesh s'explique aussi par les stratégies de déradicalisation mises au point en parallèle à «de rudes mesures destinées à venir à bout ou écarter les individus récalcitrants». Des mesures qui ont donné des résultats et décidées après la mise en application de la Concorde civile à l'issue de l'insurrection islamiste. Puis à l'ICG de rappeler les circonstances de la création par des dissidents de ce qui subsiste en Algérie d'Al-Qaïda au Maghreb, reclus dans les montagnes de Kabylie et à l'est du pays, du groupe ayant déclamé son affiliation à l'Etat islamique, Jund al-Khilafa. Aujourd'hui, soutiennent les analystes de l'ICG, deux groupuscules, Jund al-Khilafa et katibat al-Ghuraba, avec un effectif de moins de 100 individus, affiliés à Daesh, tentent d'opérer sur le territoire algérien où la lutte antiterroriste a pris une nouvelle tournure depuis l'attaque contre l'usine de Tiguentourine en janvier 2013. Malgré l'effort déployé pour combattre l'Etat islamique au Maghreb, comme c'est le cas en Tunisie où les ouailles d'Abou Bakr Al-Baghdadi ont entamé un long travail consistant à discréditer les partis démocratiques et où des actes terroristes sont épisodiquement commis, ou encore en Libye où sont menées continuellement des opérations contre les bastions de l'EI, l'International Crisis Group n'écarte pas l'hypothèse selon laquelle la nébuleuse venue d'Irak et du Levant s'implante dans le Maghreb. «Il est frappant de voir combien nombre de territoires à travers le Maghreb partagent des points communs», estime l'analyse qui pointe les privations dont souffrent ces populations, la marginalisation, et la violence d'Etat. Des facteurs qui donnent naissance à des régions contestataires comme c'est le cas, relève, l'ICG, au nord du Maroc, au sud de la Tunisie et des territoires de l'Est libyen. «Ces zones de conflits dans les pays du Maghreb créent les conditions idéales pour le recrutement dans les rangs djihadistes», écrivent les analystes de l'International Crisis Group avant de conclure leur vaste sujet de recherche par une conviction. Les Etats du Maghreb, qui ont eu un considérable succès dans la lutte contre l'Etat islamique, se doivent de se pencher sur les raisons qui font que leurs jeunes optent pour le djihad et à ce titre, «le défi devant lequel ils se retrouvent, c'est de canaliser leur énergie et l'éloigner des options violentes (...) Ceci requiert plus que des mesures sécuritaires venant après coup», conclut le sujet de recherche de l'International Crisis Group.