Le 5 mai 1959, l'ALN perdait non seulement un chef de wilaya exemplaire, mais aussi un homme qui faisait partie du cercle des concepteurs de la strat�gie politico-militaire qui a abouti � la lib�ration du pays. H�las, l'Alg�rie perdait �galement, en la personne de Si M�hamed Bougara un politicien avis� et surtout un d�mocrate de conviction. Son corps a �t� s�questr� par la France. Un autre s�questre d�un autre symbole de la R�volution ! Le 5 mai 1959, le colonel et chef de la Wilaya IV, Si M'hamed Bougara, de son vrai nom Ahmed Bougara, tombe au champ d�honneur � l'�ge de 31 ans. Il �tait n� le 20 d�cembre 1928 � la rue du Maroc, � Khemis-Miliana, dans l�actuelle wilaya d'A�n-Defla. Il est le troisi�me d'une famille de six enfants. Plus pr�cis�ment, le chef de la Wilaya IV a disparu lors d'une bataille qui a vu, curieusement, l'arm�e fran�aise mobiliser, ce jour-l�, et � cet endroit pr�cis�ment � le village Ouled- Bouachra, dans le sud de l�actuelle wilaya de M�d�a � de gigantesques unit�s militaires, incluant des forces a�riennes. Cela s�est pass� 38 jours apr�s la mort d�Amirouche et de Hou�s. Une co�ncidence qui laisse perplexe. Emergence d�un homme de commandement Que dire de ce chef militaire qui, � l'�ge de 31 ans, commandait l'une des plus importantes wilayas de l'ALN, sinon que c'�tait un id�aliste qui avait joint le combat au r�ve d'une libert� dans la dignit� de son peuple. Bougara �tait, non seulement un v�ritable grand chef de maquis, mais aussi un homme-cl� du FLN/ALN. Les historiens de la r�volution de Novembre ont quelque peu l�s� sa m�moire. Serait-il une autre victime de la d�sinformation ? Ferait-il de l'ombre � quelques-uns ? En tout cas, son �uvre fut d'une telle grandeur que nul ne pourra jamais l'att�nuer. M�me ses pires ennemis lui reconnaissent cette ampleur. On peut �liminer un �tre humain, mais personne n�a jamais r�ussi � �liminer une l�gende. Au vu de son parcours, il �tait de la trempe d�Amirouche. Le caract�re de ces deux g�ants de nos montagnes est fa�onn� dans le m�me moule politico-id�ologique. Ce qui a n�cessairement fait na�tre chez eux une convergence, av�r�e, sur la fa�on de mener la guerre de lib�ration et l�objectif vis�. N��taient-ils pas les deux d�fenseurs des deux principes sur lesquels devaient fonctionner la r�sistance et le futur Etat alg�rien : primaut� de l�int�rieur sur l�ext�rieur et du politique sur le militaire ? Bougara est pass� par le processus des luttes politiques ant�rieures � Novembre, qui ont produit les grands chefs de l'ALN et du FLN. Ce chahid a d'ailleurs c�toy� un grand nombre d'entre eux dans l'Alg�rois, � Belcourt (l�actuel Belouizdad) notamment. Pour certains, comme Ali Khodja et d'autres grandes figures du maquis du centre du pays, il �tait devenu tout simplement leur chef estim�, �cout� et respect�. Des Scouts musulmans au PPA/MTLD, en passant par l'OS Bougara a s�journ�, � cause de son militantisme pour la reconnaissance des droits des Alg�riens, deux fois en prison, durant les ann�es ayant pr�c�d� le 1er Novembre 1954. Alors que la division du mouvement nationaliste entre centralistes et messalistes �tait � son comble, il s��tait tenu � l��cart des querelles, attendant la v�ritable heure de l�Alg�rie. Deux �v�nements ont �t� d�terminants dans le parcours politique et militaire de Bougara : le g�nocide du 8 mai 1945 perp�tr� par les forces coloniales, qui a profond�ment bless� l��me de l�Alg�rien qu�il �tait, mais qui a renforc� sa conviction de militant, celle selon laquelle l�heure de la r�volution avait sonn�. Plus tard, sa rencontre avec Ammar Ouamrane, aux premiers jours du lancement de la guerre de lib�ration, l�a mis sur la trajectoire du commandement de la Wilaya IV. Le nom de Bougara est associ� aux plus grands �v�nements de la r�volution de Novembre. Il a particip� au Congr�s de la Soummam, et a particip� � la fameuse r�union, en d�cembre 1958, des colonels qui ont charg� Amirouche et Hou�s d�aller en Tunisie transmettre leurs vives protestations concernant l�immobilisme des arm�es des fronti�res et du GPRA. Il est, par ailleurs, intervenu en 1957 et 1958 pour redynamiser les maquis de la Wilaya V et pallier la d�fection des dirigeants de cette wilaya, install�s � Oudjda, indique sa biographie �dit�e par la Fondation de la Wilaya IV. Il a rencontr�, � deux reprises, les chefs des Zones 4 et 7 de la Wilaya V, pour y mettre de l�ordre et demander �la restitution d�un lot d�armes retenu dans la Zone 7�. A la demande du colonel Hou�s, alors chef de la Wilaya VI, Bougara a d�p�ch�, en mai 1957, deux de ses officiers dans cette wilaya. Une mission qui visait probablement � aider le nouveau chef � asseoir son autorit�. Il y �tait intervenu auparavant, en f�vrier 1957, � la suite de l�assassinat du chef de la Wilaya VI. A la Wilaya I des Aur�s, il a envoy�, en 1958, deux groupes de commandos pour renforcer les capacit�s militaires dans cette r�gion. Ces interventions renseignent sur l�envergure et le rayonnement national du chef de la Wilaya IV. Il est clair que son autorit� politique et militaire allait au-del� des fronti�res de la Wilaya IV, qui partaient des Issers dans l�actuelle wilaya de Boumerd�s, jusqu�au massif de l�Ouarsenis, en passant par la plaine de la Mitidja, les monts du Zaccar au nord et Ksar- Chellala au sud. Notons quelques observations et d�clarations de l�id�aliste, du militant d�mocrate, du chef militaire intransigeant avec sa propre personne et de l�humaniste qui a pris sous sa protection des non-musulmans : �Il faut �pouser une cause juste et lutter pour la justice, sans chercher de r�compense, sans chercher � savoir s�il y en a une. Il ne faut pas oublier un seul instant que notre R�volution n�est pas une guerre de religion. Le peuple alg�rien est musulman, chr�tien, juif, agnostique ou croyant non pratiquant. � Aux nouveaux citadins et lettr�s qui rejoignaient les maquis de l�ALN, il disait : �Vous qui venez des villes, qui avez des dipl�mes, qui disposez d�une �ducation acquise sur les bancs de l�universit� ou du lyc�e, vous serez �tonn�s de ce que vous apprendrez aupr�s de votre peuple, car l�enseignement acquis � l��cole du peuple n�est dispens� par aucune universit�. Apprenez-leur ce que vous savez, mais apprenez aussi tout ce qu�ils savent ! Vous en serez �tonn�s.� Bougara n�est pas un seigneur de guerre. C�est son parcours de militant, puis chef militaire, qui l�atteste. Il s�est battu par n�cessit�. Il l�a fait loyalement, et bien fait. Quand il fredonnait cette strophe du Chant des partisans, son aversion de la violence gratuite apparaissait : �Il y a des pays ; O� des gens au creux des lits ; Font des r�ves ; Ici, nous, vois-tu ; Nous, on marche ; Nous, on tue ; Nous, on cr�ve !� S�questration ! Au lendemain de la bataille d�Ouled-Bouachra, les moudjahidine sont revenus sur place. Ils ont fait leur constat et enterr� les morts. Nulle trace du corps du chef de la Wilaya IV. C�est ce qu�indiquent les informations disponibles. Voici ce que dit Si Mohamed Teguia, dans son t�moignage dans le livre Fr�res contemplatifs en zone de guerre : Alg�rie 1954 : 1962 Wilaya IV : �La disparition du colonel Si M�hamed, au sens propre et au sens figur�, car son corps ne fut pas retrouv�, fut un coup rude pour l��tat-major de la wilaya, dont il repr�sentait l��l�ment d��quilibre, celui qui se conformait le plus aux principes d��quit�, de sagesse ; sa perte, en ce temps trouble, ne fut pas connue par les djounoud. Un myst�re planait ; les combattants encore vivants, revenus sur les lieux de l�accrochage retrouv�rent les corps de tous leurs compagnons morts au combat, qu�ils enterr�rent, sauf celui de Si M�hamed.� Dans ce rapport, on apprend que des consignes de silence avaient �t� donn�es aux moudjahidine et que, au d�part de cette affaire, l�option du complot interne n�avait pas �t� compl�tement �cart�e par un grand nombre de combattants de l�ALN. Le r�dacteur de ce rapport a, par la suite, mis en cause les services secrets de l�arm�e fran�aise qui ont, selon lui, exploit� la disparition du chef de la Wilaya IV pour tenter de semer la discorde au sein des rangs de l�ALN. Ce rapport conclut que le colonel Bougara a �t� fait prisonnier et tortur�. Un tract fut �dit�, expliquant que si M�hamed avait �t� fait prisonnier le 5 mai 1959 � Ouled-Bou- Achra, alors qu�il avait �t� bless� dans un combat contre les troupes du colonel Challe, dont les grandes op�rations couvraient, � cette �poque, tout le territoire de la Wilaya IV. Si M�hamed, disait ce tract, �tait vivant mais bless�, et est mort sous la torture.� Son corps �tait donc n�cessairement entre les mains des troupes de Challe au lendemain de cette bataille, c'est-�-dire le 6 mai 1959. O� est-il alors ? A noter que la seule tentative faite par la Fondation de la Wilaya IV, pr�sid�e par le colonel Si Hassan aupr�s du gouvernement fran�ais pour r�clamer les restes du chahid, du temps de la mandature de Chirac, n�a re�u aucun �cho. Le commun des Alg�riens ne peut que s��tonner et s�interroger. Qu�auraient pens� les Fran�ais si le corps de Jean Moulin avait �t� s�questr� ? Pourquoi la R�publique n�a-t-elle pas hauss� le ton pour r�clamer le corps de ce symbole de la R�volution ?