L�Afrique d�couvre les religions monoth�istes relativement tard et sa conversion se fait dans la douleur et les conflits. Il y a � peine vingt ans, en 1900, musulmans et chr�tiens constituaient des minorit�s relativement faibles dans la r�gion, cohabitant pacifiquement avec les religions traditionnelles africaines. Depuis lors, l�espace qui s�pare le Sahara du Cap de Bonne- Esp�rance (il compte 820 millions d�habitants) se convertit massivement � l�Islam (le nombre de nos coreligionnaires s�est accru de 20 fois, passant d'environ 11 millions en 1900 � environ 234 millions en 2010), tandis que le nombre de chr�tiens a connu une croissance encore plus rapide (de pr�s de 70 fois, passant d'environ 7 millions � 470 millions). L'Afrique subsaharienne abrite aujourd'hui un chr�tien sur cinq (21 %) et plus d'un musulman sur sept (15 %). L'Afrique du Nord, � majorit� musulmane, et le sud de l'Afrique, fortement chr�tien, sont s�par�s par une �ligne de faille religieuse � constitu�e d�une bande de 4 000 milles, s��talant de la Somalie � l'est au S�n�gal � l'ouest. C�est l�espace de tous les p�rils o� des conflits ethniques et sectaires provoquent �pisodiquement des effusions de sang faisant des centaines de victimes. Les p�res fondateurs de l�Unit� africaine doivent se retourner dans leurs tombes. Le regain de religiosit� est une arme � double tranchant, une source de conflit comme une source d'espoir dans la r�gion : les chefs et les mouvements religieux sont, en effet, une force majeure dans la soci�t� civile et un pourvoyeur cons�quent d�assistance et de secours pour les plus n�cessiteux, dans un contexte de d�liquescence g�n�ralis�e des �tats et d'effondrement des services publics. Mais comment les Africains subsahariens per�oivent le r�le de la religion dans leur vie et leurs soci�t�s ? Deux ONG am�ricaines, Forum Pew Research Center et la John Templeton Foundation, ont effectu� un sondage d'opinion sans pr�c�dent, r�alisant 25 000 interviews directes dans plus de 60 langues ou dialectes dans 19 pays, repr�sentant 75 % de la population totale de l'Afrique subsaharienne(*). Les r�sultats du sondage sugg�rent que de nombreux Africains profond�ment attach�s � l'Islam ou au christianisme continuent de pratiquer des rites h�rit�s des religions traditionnelles, notamment l�animisme. Beaucoup sont sinc�rement d�mocrates et d�clarent le droit pour les autres religions d��tre pratiqu�es librement. Dans le m�me temps, ils sont �galement favorables � la transformation de la Bible ou de la charia en droit positif. L'Afrique subsaharienne figure aujourd�hui clairement parmi les espaces les plus religieux du monde. Dans de nombreux pays, pr�s de neuf personnes sur dix, ou plus, affirment que la religion est �tr�s importante� dans leur vie. Un autre indice mesure ce regain de ferveur religieuse : au moins la moiti� de tous les chr�tiens des pays de la r�gion s'attendent � ce que �J�sus revienne sur terre� de leur vivant, tandis qu'environ 30 %, ou plus, des musulmans s'attendent � voir restaur� le califat, vu comme l'�ge d'or de la civilisation islamique, de leur vivant �galement. La grande majorit� des gens sont �galement pratiquants, mais ils recourent aussi aux rites, traditions et pratiques anciennes : ils croient � la sorcellerie, aux mauvais esprits, aux sacrifices des anc�tres, aux gu�risseurs traditionnels, � la r�incarnation et � d'autres �l�ments des savoirs africains. Christianisme et Islam y cohabitent cependant de moins en moins bien, m�me si beaucoup de chr�tiens et de musulmans d'Afrique sub-saharienne d�crivent les membres de l'autre communaut� comme tol�rants et honn�tes. Un nombre important de chr�tiens africains (environ 40 % ou plus dans une douzaine de pays) consid�rent que les musulmans sont violents. �Les musulmans sont beaucoup plus positifs dans leur �valuation des chr�tiens que ne le sont ces derniers dans leur appr�ciation des musulmans.� Il faut n�anmoins faire confiance aux Africains pour ne pas perdre le nord lorsqu�on les laisse d�cider librement de leur destin. Aussi sont-ils majoritaires, au sein des deux communaut�s, � classer au rang des priorit�s le ch�mage, la criminalit� et la corruption bien avant les conflits religieux. Le rapport � la d�mocratie est moins �vident. Certes, la plupart des sond�s se disent favorables � la d�mocratie et � la libert� de croyance. N�anmoins, le sondage �tablit �un soutien substantiel parmi les musulmans et les chr�tiens pour que le gouvernement soit fond� sur la Bible ou la Charia, de m�me qu�un soutien consid�rable parmi les musulmans pour l'imposition de peines s�v�res, comme la lapidation, en cas d'adult�re�. Beaucoup d'Africains sont alors pr�occup�s par l'extr�misme religieux, y compris au sein de leur propre communaut�. En effet, de nombreux musulmans se disent plus pr�occup�s par l'extr�misme musulman que par l'extr�misme chr�tien, et les chr�tiens (dans quatre pays) se disent plus pr�occup�s par l'extr�misme chr�tien que par l'extr�misme musulman. Dans l'ensemble, les chr�tiens sont moins positifs dans leurs points de vue des musulmans que les musulmans des chr�tiens ; un nombre important de chr�tiens (allant de 20 % en Guin�e-Bissau � 70 % au Tchad) pense que les musulmans sont violents. L�ignorance y est pour beaucoup dans ces pr�jug�s : dans la plupart des pays, moins de la moiti� des chr�tiens disent qu'ils savent �un peu ou beaucoup de choses� sur l'Islam, pour la m�me proportion de musulmans � l�endroit du christianisme. L�enqu�te, am�ricaine, soulignons- le, ne dit pas qui sont les commanditaires des conflits religieux et les int�r�ts fondamentaux, sonnants et tr�buchants, qu�ils recoupent. Jean Christophe Servant a, sur ce point, raison d��crire dans le Monde Diplomatique : �Au Nigeria, la f�rocit� des luttes politiques en vue de s�accaparer la meilleure part du g�teau national reste en effet la grille principale avec laquelle on doit continuer � d�coder la moindre secousse ethnicoreligieuse. �(**) On doit faire confiance aux Africains pour absorber par eux-m�mes les potentiels de violence que peuvent rec�ler les diff�rentes communaut�s et qui menacent leur coh�sion nationale, pour peu que les �mauvais esprits� ne s�en m�lent pas. Une r�cente �tude am�ricaine sugg�re quelques pistes sur d��ventuels commanditaires des conflits religieux. Les �tats-Unis comptent revoir leur approche des affaires internationales par le renforcement de leurs liens avec les communaut�s et groupements religieux pr�valant � l��chelle de la plan�te. La question est �voqu�e par un r�cent rapport au titre fort �vocateur : Prendre en compte les communaut�s religieuses de l��tranger - Un nouvel imp�ratif pour la politique �trang�re des �tats-Unis.*** En r�alit�, le fait religieux dans la politique �trang�re am�ricaine n�est pas nouveau. Samuel Huntington et son Choc des civilisations, la signature par le pr�sident Bill Clinton de l�International Religious Freedom Act en 1998, ainsi que le feu vert donn� par son successeur pour la cr�ation d��arm�es de compassion� aux fins de combler les lacunes de l��tat sur le plan socio-�conomique, sont des signes persistants et manifestes de l�intrusion grandissante du religieux dans la conduite du monde. Les r�dacteurs du rapport insistent sur �une approche renouvel�e de la part de l�Administration am�ricaine, qui prenne en compte les communaut�s religieuses et leurs repr�sentants et soutienne leurs actions�, parall�lement aux relations avec les �tats et les repr�sentants de la puissance publique. A. B. (*) Lugo Luis et Alan Cooperman, Islam and Christianity in Sub-Saharan Africa, Pew Forum on Religion & Public Life, April 15, 2010. http://pewresearch.org/pubs/1 564/islam-christianity-in-subsaharan- africa-survey (**) Jean-Christophe Servant, Au Nigeria, le retour du �g�nie du mal�, Le Monde diplomatique, jeudi 15 avril 2010. http://blog.mondediplo.net/201 0-04-15-Au-Nigeria-le-retour-dugenie- du-mal (***) Engaging Religious Communities Abroad : A New Imperative for U.S. Foreign Policy (Prendre en compte les communaut�s religieuses de l��tranger : Un nouvel imp�ratif pour la politique �trang�re des �tats-Unis). http://www.thechicagocouncil. org.