«A vous, votre religion. À moi, ma religion.» lit-on dans le Saint Coran à l'adresse des Polythéistes demeurés acharnés au tout début de l'islâm. Le fanatisme religieux ne cesse de s'exacerber. Deux ouvrages, parmi d'autres, mais très différents dans leur objectif et dans la qualité de leur exposé, essaient de présenter ce qu'il en est de ce que presque tout le monde murmure sans aller au fond de ce que recouvre l'expression «les conversions de Kabyles au christianisme». L'ouvrage Chrétiens de Kabylie, 1873-1954 (*) de Karima Direche-Slimani, spécialiste de l'histoire sociale de l'Algérie à la période coloniale et le témoignage (de propagande?) J'étais Chrétien (**) de Mohand Azouaou, jeune musulman kabyle, nous placent crûment face à une problématique identitaire extrêmement sensible et, de plus, fortement complexe. La mémoire de l'Histoire a ici de quoi multiplier les paradoxes et troubler les esprits les plus puissants. Certainement, la lecture de ces deux ouvrages donnera à réfléchir sur la gravité de la question de la foi, telle qu'elle est rituellement posée, c'est-à-dire de telle sorte que les profits des enjeux ne soient pas discutables. En 1978, à propos d'une conférence au Caire portant sur le thème «La foi commune en Dieu dans l'islamisme et le christianisme», le Père dominicain égyptien Georges Anaouati remettant sur le tapis ce que l'on savait déjà, écrivait sans ambages: «La foi en Dieu est commune à vous, chrétiens, et aux idolâtres [...]. Restons-en aux valeurs humaines qui, elles, sont communes aux chrétiens et aux musulmans [...]. La foi islamique en Dieu n'est pas semblable à la foi chrétienne.» Des jugements sévères et des conclusions hâtives Dans la seconde moitié du siècle dernier, certains spécialistes des religions, fiers de leur trouvaille «intellectuelle» donnent du grain à moudre, plus que jamais, aux détracteurs de tout bord et de toute confession. Le fait religieux a subi la violence des mécontents, des politiques, des économies et des philosophies de l'ère nouvelle que les experts occidentaux, dirigeants du monde, se sont ingéniés à enrober de l'illusoire et indéfinissable mondialisation. Il n'est point besoin d'être fort en thème pour penser, aujourd'hui, qu'à propos des religions et pour des motifs de stratégies multiformes, sont formés des jugements sévères et des conclusions hâtives qui ne peuvent, hélas! se détacher des conditions subjectives de l'être humain puisque toute religion veut s'affirmer par rapport à l'autre religion, et chacune d'elles élaborant, et sans cesse le réajustant aux exigences de l'actualité, son programme et son enseignement. Et l'islâm - disons pour caractériser une sincère humilité et rester respectueux d'autrui -, au moins aussi bien que les grandes religions monothéistes, contribue à l'élévation spirituelle et scientifique de l'humanité, c'est-à-dire ainsi que le proclament les éminents esprits religieux: «Purifier les moeurs, éclairer et concilier les consciences et les croyances, faire tomber les barrières raciales et les chauvinismes nationaux, remplacer la loi du plus fort par celle de la vérité et de la justice.» Au reste, lorsque le Prophète Mohammed (QSSSL) a convié l'empereur Héraclius de Byzance à embrasser l'islâm, en lui envoyant Abou Soufiane, le chef des Qouraïche, il l'a fait avec la conviction de celui qui était chargé seulement d'«avertir les Incroyants», de «transmettre la Révélation» pacifiquement «à tous les hommes», non par la contrainte mais par la démonstration. Evidemment, il y a longuement à discuter et à remettre à l'endroit les vrais principes de l'islâm pour autant que les coeurs et les esprits soient sans haine et parfaitement respectueux de la personne humaine...tout comme tant de versets coraniques le recommandent aux croyants. Cela sans qu'il soit besoin d'en rajouter au zèle apologétique de certains dont les intérêts n'ont aucun lien authentique avec le Coran et qui bien souvent conduisent à accréditer des niaiseries et à proclamer des inexactitudes, choses contraires à l'esprit des textes sacrés, notamment ceux que propose la parabole de la sourate «El-Mâ'ida, La Table (servie)». Or les guerres de religion en Europe auront été et le seront pour encore longtemps l'exemple même de l'usage de la violence à des fins de conversion. Toutes les conquêtes entreprises par les armées européennes - et spécialement au Moyen-Orient et en Afrique - ont été provoquées sous le couvert de la religion chrétienne. Les croisades se sont étendues du xie au xiiie siècle sous l'impulsion de la papauté pour reprendre le Saint-Sépulcre aux Musulmans puis pour défendre, affirme-t-on, le Royaume latin de Jérusalem! En réalité, relèvent les historiens, «la croisade a été un mouvement quasi permanent». Au vrai, sous d'autres formes, la même croisade ne se perpétue-t-elle pas, à nos jours? Qu'en a-t-il été des objectifs de l'expédition française en Algérie? Qu'en est-il de la France coloniale, de sa vocation de Fille Aînée de l'Eglise? Les miraculés d'un système idéologique Le travail de recherche de Karima Direche-Slimani jette un éclairage impeccable sur le rôle, inclus dans l'oeu-vre de la colonisation, de Charles de Lavigerie, évêque de Nancy nommé à l'archevêché d'Alger en 1867. Dans Les Chrétiens de Kabylie, l'auteur écrit: «Sa nomination, à Alger, lui laisse entrevoir la possibilité d'entrevoir un projet de conversion de grande ampleur; celle du continent africain tout entier. Selon lui, l'Algérie ´´n'est qu'une porte ouverte par la providence sur un continent barbare de deux cents millions d'âmes et que c'était là surtout qu'il fallait porter l'oeuvre de l'apostolat catholique´´. Dès sa nomination, il s'intéresse à la Kabylie [...]. Il fonde la Société des Missionnaires d'Afrique, plus connue sous le nom de la Société des Pères Blancs.» Dans ce livre, dont «l'objectif est de reconstituer les étapes historiques et les modalités sociologiques qui ont permis la constitution de cette communauté», on apprend dans le détail le chemin suivi et tout particulièrement que «La conversion au christianisme puis la naturalisation française a rendu leur statut encore plus incertain et les a stigmatisés dans des représentations souvent infamantes. [...] Chrétiens mais profondément attachés à leur identité kabyle, leurs descendants continuent, aujourd'hui, à chercher leurs racines.» Il s'agit là d'un ouvrage extrêmement riche en documents, très prenant par sa présentation honnête et dont la qualité générale se dégage dans ce court extrait de sa conclusion: «Produits d'une idée folle, d'un programme irréaliste et de la conversion têtue d'une poignée de kabylophiles, les Kabyles chrétiens sont les miraculés d'un système idéologique qui a voulu plier un monde à son idéal. Soumis à l'idéologisation forcenée du mythe kabyle comme à celle de l'arabo-islamisme algérien, les convertis, par le simple fait d'exister, renvoient à tous les tabous, les impensés et les interdits d'une histoire coloniale française et d'une histoire nationale algérienne.» Quant aux 64 pages sous l'intitulé J'étais Chrétien (avec une préface de Mohamed El-Hadi Hassani, de l'Association des Oulémas Musulmans, rédacteur en chef adjoint d'El Bassaïr), elles constituent un témoignage à tout le moins étonnant de Mohand Azouaou. Est-ce le nom véritable de l'auteur ou un pseudonyme? Quoi qu'il en soit, il est question d'un jeune kabyle musulman de naissance converti au christianisme, en 1995, à l'âge de 20 ans. Il explique ses motivations, fait le récit des étapes de sa conversion et son enthousiasme à être chrétien sous son initiateur, un père de famille chrétien, espérant «atteindre la purification et la sainteté.» Mais bientôt, de «la grande joie», dit-il, que lui procure la conversion, il passe, après trois ans de vie chrétienne, par une «période de doute et de conflit intérieur». Voulant vérifier le jugement porté sur la religion musulmane qu'elle aurait «comme disent les chrétiens, de mauvais fruits parce que c'est un mauvais arbre», il se met à la lecture du Coran...et devient musulman. Le témoignage de Mohand Azouaou semble avoir dépassé de nombreuses frontières si l'on se fie aux messages publiés sur Internet. Il reste, cependant, que cette «confession» si sincère, si réelle soit-elle, appelle des réserves et des corrections tant au plan du contenu et de son exposition qu'au plan de l'analyse et du jugement des textes sacrés. Toutefois, l'expérience vécue par l'auteur mérite d'être connue pour renvoyer leur image exacte à ceux qui dénient la pression évangélique en Algérie ou ailleurs sur les individus que l'histoire sociale ou politique d'une région ou même de tout un pays a écartés de la vie tout court. «Les fêlures de l'histoire», pour emprunter cette expression à Karima Direche-Slimani, sont de tous les temps et de tous les univers, ainsi que de tous les paradoxes humains dès lors que l'on s'engage dans la conquête du monde par la confrontation des religions et des civilisations. (*) Chrétiens de Kabylie (1873-1954) de Karima Direche-Slimani, EDIF 2000, Alger, 2010, 154 pages. (**) J'étais Chrétien...de Mohand Azouaou E-mail: [email protected]