La maison de la culture Ali Zaâmoum de Bouira a abrité dans l'après-midi de mardi une rencontre littéraire autour du livre Le fils du pauvre, l'un des célèbres romans de Mouloud Feraoun, assassiné par l'OAS le 15 mars 1962 à Alger. A l'occasion de la journée nationale du chahid coïncidant avec le 18 février de chaque année, la maison de la culture Ali Zaâmoum de Bouira a organisé une rencontre autour de l'œuvre de Mouloud Feraoun. Pour remettre les choses à leur place historique et littéraire, Ali Feraoun, fils de l'écrivain et président de la fondation éponyme, et Mohamed Chérif Ghebalou, un universitaire qui a mené des recherches et écrit des articles sur l'œuvre littéraire de Feraoun, ont été invités. Pour Ali Feraoun, «pendant un demi-siècle, on a fait dire à ce livre ce qu'il n'est pas». Il souligne que plusieurs chapitres ont été enlevés par les éditions Le Seuil. «Quand Emmanuel Roblès a publié le livre en 1954, il a enlevé la moitié. Tout ce qui concerne les inégalités à l'école normale, ce qui montre la France défaite par les allemands n'a pas été publié», a déclaré Ali Feraoun, dans son intervention. Falsification Ce dernier a tenu à souligner que même les chapitres enlevés dans les années 1950 et publiés par Roblès des années après l'indépendance ont été loin de l'esprit du roman Le fils du pauvre. «Les chapitres publiés après par Emmanuel Roblès ont été enlevés de leur contexte. Ça laisse croire que le roman le fils du pauvre est plus une apologie de l'école française qu'un livre qui constate la misère et qui vous dit en fin de compte qu'il faut se battre pour être libre», affirme-t-il. D'ailleurs, c'est ce que découvre Etsuko Aoyagi, la traductrice du roman en langue japonaise. Elle a trouvé dans le texte qui est traduit, et même dans les parties qui ont été laissées, que près de 120 mots ont été changés à l'intérieur du texte pour rendre le livre plus gentil, selon le fils de l'écrivain. D'où le titre de la contribution de la traductrice présenté l'an dernier à Alger, «la falsification du fils du pauvre». «La falsification, c'est de faire un faux de manière volontaire, et c'est ce que les éditions du Seuil et Emmanuel Roblès avaient fait», dit Ali Feraoun, qui a tenu à souligner que Le fils du pauvre est le livre de la misère, et que c'est un roman qui dénonce le colonialisme français. De son côté, l'universitaire Mohamed chérif Ghebalou a tenu à démentir tous ceux qui tentent de classer l'auteur de La terre et le sang parmi les écrivains assimilationistes. «Mouloud Feraoun met en relief cette dimension révolutionnaire antagonique qui est différente de la philosophie colonialiste française. Il reprend donc en fin de compte, sur le plan littéraire, les thèses révolutionnaires de l'écrivain et penseur de la révolution Frantz Fanon, comme il met en relief la dynamique rédactionnelle, l'écriture littéraire pour constituer un fonds avec le FLN pour détruire les fondements idéologiques de la colonisation française», soutient M. Ghebalou. L'universitaire insiste sur le fait que toutes les thèses universitaires d'une manière générale sur le «profil assimilationniste de Mouloud Feraoun sont complètement dénuées de sens scientifique». «La détermination de Mouloud Feraoun est une forme de lutte. Grâce à son abnégation de mettre en évidence cette terre algérienne qui est différente de l'approche colonialiste française», a-t-il noté. Les idées de Camus Par ailleurs, pour apporter quelques éclaircissements sur les positions d'Albert Camus, prix Nobel de littérature de 1957, pour l'indépendance de l'Algérie, Ali Feraoun a lu quelques extraits de discussions entre Feraoun et Camus et qui tournaient autour de cette question. «Vous êtes une gloire algérienne, vous êtes un homme de ce pays, on vous connaît et on vous revendique. Dites quelque chose de bien sur nous», dit Feraoun à Camus en 1959. «Vous savez, pour nous, quand deux frères se battent, c'est péché de soutenir l'un ou l'autre», lui répond Camus. «Ça me gênerait beaucoup de revenir dans ce pays et qu'on me demande un passeport pour rentrer dans mon pays», dira Camus dans une autre réplique, citée par Ali Feraoun. «Cela veut dire que Camus refusait d'apporter des solutions. Et Feraoun avait compris qu'il n'y avait pas d'autre langage que celui de la violence. Même si on a dit que Feraoun est un humaniste, mais au fond de lui, c'est la seule route pour se sortir du colonialisme français. Ils nous ont occupés par la violence, ils doivent sortir par la violence», conclut Ali Feraoun.