Les conférenciers Ali Feraoun et Mohand-Cherif Aghbalou ont évoqué dans leurs communications le rapport qu'entretenait Mouloud Feraoun avec Albert Camus, ses engagements politiques et son combat identitaire. Ali Feraoun, fils de l'écrivain Mouloud Feraoun, et l ́universitaire Mohand-Cherif Aghbalou étaient hier les hôtes de la maison de la culture Ali-Zaâmoum de Bouira afin d'évoquer la vie et les œuvres de l'auteur du Fils du pauvre. Ali Feraoun, qui est également le président de la fondation dédiée à son père, mettra l'accent lors de son intervention sur la lettre de Mouloud Feraoun adressée à Albert Camus en 1951. "Albert Camus avait déjà lu Le fils du pauvre. Il avait apprécié le contenu, et Feraoun le savait par l'intermédiaire d'Emmanuel Roblès", indiquera Ali Feroun, avant de lire un extrait de ladite lettre. "Je viens de recevoir ici, à Taourirt Moussa, la visite de mon amis Roblès. Il m'a dit tout le bien que vous pensez de mon petit ouvrage (Fils du pauvre, ndlr) et m'a donné votre adresse que je désirais connaître depuis longtemps. L'hiver dernier (celui de 1950, ndlr), j'avais demandé à Pierre Martin du SCI de vous faire parvenir un exemplaire du Fils du Pauvre. Lui aussi pouvait me communiquer votre adresse mais je n'avais osé vous écrire." Ce passage, traduit selon Ali Feraoun, toute l'amitié qui existait entre les deux écrivains, et ce, en dépit de leurs antagonismes. Le conférencier soulignera également le fait que le livre étale tout sur ces oubliés "d'indigènes". "Feraoun annonce à Camus qu'il allait continuer d'écrire, de parler et de faire parler ses concitoyens tels qu'ils sont réellement." Le président de la fondation Mouloud-Feraoun notera également que cette lettre reflète "l'admiration sincère" de Mouloud Feraoun pour Albert Camus, mais aussi et surtout elle dénote selon lui de la "ferme réprobation" contre un reportage publié dans les colonnes d'Alger républicain, dont l'auteur n'était autre qu'Albert Camus et dans lequel il dénigrait les autochtones. "Mouloud Feraoun voulait casser cette tendancieuse différence farfelue installée entre les Algériens par la littérature coloniale de l'époque", explique son fils, avant de citer la réponse de son défunt père à Camus "...À mon tour d'expliquer les Kabyles et montrer qu'ils ressemblent à tout le monde, à tous les Algériens par exemple (...) Ce fossé qui s'élargit stupidement, ne faudrait-il pas essayer de le combler ? Bien entendu, il ne m'en coûtera pas d'échouer." Une réponse sous forme de "mise au point" à l'intention de l'auteur de la Peste. Pour ce qui est de l'engagement politique de son père, Ali Feraoun tiendra à souligner et surtout rappeler que "Mouloud Feraoun n'a jamais renié ses origines et a toujours dénoncé la répression aveugle, féroce et réactionnaire de l'armée française mais aussi critiquera certaines pratiques des rebelles avec lesquels il était en contact au plus haut niveau". Et d'ajouter : "Il entamera, en 1955, l'écriture du roman Le journal, qui est un témoignage très lucide de ce que fut, dans les montagnes de Kabylie, l'affrontement entre l'armée française et les maquis du FLN sur le dos des populations." Pour sa part, Mohand-Cherif Aghbalou reviendra plus en détail sur les œuvres et l'héritage culturel de l'enfant prodige de Tizi Hibel. Pour cet universitaire, la Kabylie et l'Algérie sont "redevables" à Mouloud Feraoun. "À travers ses œuvres, notamment Les chemins qui montent, le Fils du pauvre et les traductions des poèmes de Si Mohand, il a rendu la dignité littéraire qu'elle n'arrivait pas à acquérir par sa propre littérature orale", soulignera Mohand-Cherif Aghbalou. Et de conclure en affirmant que cette "dignité" lui attira des critiques de fauteurs de division entre Arabes et Berbères. Ramdane BOURAHLA