Les revers du Maroc au Sahara occidental se poursuivent. Non seulement sur le plan diplomatique, puisqu'il est de plus en plus isolé par la communauté internationale, mais aussi sur le plan économique et commercial : sa prétendue souveraineté sur le territoire sahraoui est de plus en plus contestée et l'exploitation de ses richesses de plus en plus empêchée. Des cours de justice invalident l'application des accords du Royaume avec ses partenaires sur l'étendue du territoire sahraoui, des marchandises exportées à partir des côtes sahraouies saisies et des entreprises mondiales renoncent à l'exploitation des richesses du Sahara au profit du Maroc. Commençant par la décision la plus récente, avant-hier, la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) a déclaré l'accord de pêche conclu entre l'UE et le Maroc «valide» dans la mesure où cet accord n'est pas applicable au Sahara occidental et aux eaux territoriales sahraouies. «L'accord de pêche conclu entre l'UE et le Maroc est valide dès lors qu'il n'est pas applicable au Sahara occidental et aux eaux adjacentes à celui-ci», a conclu la Cour européenne de justice dans son arrêt. Une décision qui marque une victoire du Front Polisario, à plus forte raison qu'elle est intervenue au moment où la RASD célèbre le 42e anniversaire de sa proclamation. La Cour de justice de l'Union européenne qui avait auparavant interdit l'application de l'accord agricole Maroc-UE au Sahara occidental pour être contraire au principe du droit international – qui accorde le droit à l'autodétermination du peuple sahraoui – a expliqué que l'inclusion du territoire du Sahara occidental dans le champ d'application de l'accord de pêche enfreindrait plusieurs règles de droit international général applicables dans les relations entre l'UE et le Royaume du Maroc, notamment le principe d'autodétermination. La Cour a jugé que, compte tenu du fait que le territoire du Sahara occidental ne fait pas partie du territoire du Royaume du Maroc, les eaux adjacentes au territoire du Sahara occidental ne relèvent pas de la zone de pêche marocaine visée par l'accord de pêche. «La zone de pêche marocaine relevant du protocole ne comprend pas les eaux adjacentes au territoire du Sahara occidental», a-t-elle précisé. La décision de la CJUE fait suite de sa saisine par la Haute Cour de justice britannique. Une ONG britannique, Western Sahara Campaign (WSC), plaidant le droit à l'autodétermination du Sahara occidental, avait déposé plainte. L'ONG accuse l'occupant marocain de piller, à travers l'accord de pêche avec l'UE, les ressources naturelles du peuple sahraoui. Phosphate et piraterie La deuxième affaire où le Maroc a essayé un échec diplomatique et commercial a eu pour théâtre l'Afrique du Sud. Ce pays, membre de l'Union africaine au même titre que le Maroc et le Sahara occidental, avait saisi une cargaison de phosphate, contestant que le Maroc soit propriétaire de la marchandise. Ce 23 février, la Haute Cour d'Afrique du Sud (Division locale Eastern Cape, Port Elizabeth) a statué que la RASD est «propriétaire de l'ensemble de la cargaison de phosphate actuellement chargée sur le navire à moteur NM Cherry Blossom». La décision de la justice a énoncé que «la propriété du phosphate n'a jamais été légalement détenue par l'Office Chérifien des Phosphates (OCP) et/ou Phosphates de Boucraa SA, et ils n'étaient et ne sont pas autorisés à vendre le phosphate à Ballance Agri-Nutrients Limited». L'affaire remonte au mois de mai 2017 lorsqu'un navire transportant 50 000 tonnes de phosphate extrait du Sahara occidental et destinées à la Nouvelle-Zélande a été arraisonné en Afrique du sud à la demande du Front Polisario. Le cargo a quitté El-Aaiun (Territoire du Sahara occidental occupé) le 13 avril 2017, a pris la route du Cap de Bonne Espérance et s'est arrêté à Port Elizabeth afin de s'approvisionner en fuel. La cargaison de phosphate était immobilisée, en attendant la décision de la justice qui a tranché en faveur du Front Polisario. Adossé au mur barbelé de la légalité internationale, le Maroc s'est tourné vers l'Algérie pour l'accuser de tous ses maux. La presse du Royaume s'est affolée à chercher des preuves non trouvées. Elle a qualifié la décision de la justice de l'Afrique du sud «d'acte de piraterie caractérisé». «C'est l'influent WSRS, (Western Sahara Resource Watch, qui défend les richesses du Sahara occidental, NDLR), commandité et grassement financé par Alger, qui est derrière ces actes de piraterie. Malheureusement, la diplomatie marocaine n'est jamais parvenue à le mettre hors d'état de nuire. Pendant que Nasser Bourita faisait des accolades à Abdelkader Messahel à Alger, le WSRS préparait minutieusement son coup», a écrit un éditorialiste. Il n'explique cependant pas comment et pourquoi la diplomatie marocaine n'est jamais parvenue à le mettre hors d'état de nuire. Fin d'activité Les décisions des justices européenne et sud-africaine confirment que le Maroc est bel et bien occupant du territoire sahraoui. Partant de ce principe, et dans le respect de la légalité internationale, des entreprises exerçant au Sahara occidental ont renoncé à leurs activités. C'est le cas de la société canadienne Nutrien, qui a décidé de mettre fin à ses activités commerciales illégales au Sahara occidental, une information rapporté le 31 janvier dernier par l'observatoire des ressources naturelles du Sahara occidental (WSRW). Cette société, plus grand importateur de minerai de phosphate du Sahara occidental dans le monde, avait annoncé que son exportation de plusieurs millions de dollars vers Vancouver (Canada) de ce minerai allait s'arrêter, ajoutant qu'elle examinait à présent les options pour remplacer le phosphate acheté au Sahara occidental par PotashCorp et exporté vers les Etats-Unis. Avant Nutrien, c'était la multinationale suisse Glencore, plus grande compagnie étrangère présente au Sahara occidental depuis 2013, qui avait annoncé sa décision de mettre fin à toutes ses activités d'explorations pétrolières dans les eaux territoriales du Sahara occidental. Le WSRW a appelé les investisseurs du monde entier à adopter la même résolution avec Nutrien. Le Polisario conforté Toutes ces décisions, en plus de celle diplomatique dans le cadre de l'UA, n'ont fait que conforter le Front Polisario dans sa quête de reconquête de la souveraineté sahraouie. Commentant la décision de la décision de la justice sud-africaine, M'hamed Khadad, coordinateur du Front Polisario avec la mission des Nations unies pour le référendum au Sahara occidental (Minurso), s'est réjouit du fait que «le jugement est final et catégorique». Et après la décision de la Cour de justice de l'UE, qui exclut les eaux territoriales du Sahara occidental de l'accord de pêche entre le Maroc et l'Union européenne, le Front s'est dit «satisfait», appelant tous les navires pêchant dans les eaux territoriales du Sahara occidental à se retirer immédiatement. Il a également appelé l'UE à cesser tout financement au Sahara occidental dans le cadre de ses accords avec le Maroc, l'invitant à engager immédiatement des négociations avec lui, en tant que représentant légitime et unique du peuple sahraoui pour des accords de pêche légaux. Dans un communiqué rendu public suite à la décision, le Front Polisario a affirmé qu'il engagera toutes les procédures juridiques, y compris les procédures judiciaires et les appels concernant les responsabilités de l'Union européenne, afin de récupérer tous les fonds versés au Maroc au cours des dernières décennies dans le cadre de ses accords bilatéraux. Presse française: Le dossier sahraoui refait surface Le dossier du Sahara occidental, longtemps occulté par les médias français, refait surface à la faveur de l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) qui a réitéré, mardi, que le Maroc n'a aucune souveraineté sur le Sahara occidental. La CJUE a estimé dans son verdict, loin d'être une surprise, que l'accord de pêche conclu entre l'UE et le Maroc, entré en vigueur le 28 février 2007, ne s'appliquait pas aux eaux du Sahara occidental, motivant sa décision par le droit des peuples à l'autodétermination. Le quotidien de l'économie et des affaires, Les Echos, a estimé que dans son arrêt, la CJUE «vide de sa substance» un accord sur la pêche de l'UE avec le Maroc, relevant que c'est une décision «lourde de conséquences». Pour lui, c'est un arrêt qui «pourrait marquer l'histoire institutionnelle de l'Union en faisant planer une épée de Damoclès autour des accords internationaux que celle-ci signe», reprenant une déclaration du secrétaire général de la confédération espagnole de la pêche et président d'Europêche, Javier Garat Perez, qui souligne que les eaux adjacentes au Sahara occidental représentent 93% des prises effectuées dans le cadre de l'accord de pêche, dont le chiffre d'affaires du côté européen est autour de 80 millions d'euros. «Certes, la Cour n'est pas allée jusqu'à déclarer invalide l'accord de pêche qui lie l'Union européenne avec le Maroc. Mais elle le vide largement de sa substance en estimant caduque la partie du texte relative au territoire du Sahara occidental ( ). Motif : celle-ci va à l'encontre du droit du peuple du Sahara occidental à l'autodétermination», écrit le journal qui relève que c'est surtout au plan du droit que ce verdict est «significatif», dans le sens où la Cour s'estime, d'après un ancien bâtonnier de Paris, «compétente pour statuer au sujet d'un pays tiers. Une jurisprudence qui pourrait s'étendre au-delà des seuls sujets relatifs à l'autodétermination des peuples». Le quotidien La Croix s'est contenté, pour sa part, de reprendre l'arrêt de la CJUE qui juge que le territoire du Sahara occidental «ne fait pas partie du territoire du Royaume du Maroc». De son côté, le quotidien Le Monde a consacré un long article dans lequel il a souligné l'arrêt de la CJUE sur l'accord de pêche UE-Maroc qui «n'est pas applicable au Sahara occidental», car «il ne respecte pas le droit à l'autodétermination», rappelant l'arrêt antérieur du 21 décembre 2016 par lequel «la plus haute juridiction européenne avait ordonné que le Sahara occidental soit exclu de l'accord de libre-échange UE-Maroc». «C'est la conclusion d'un match juridique entamé il y a des années», a écrit pour sa part Libération, qui a estimé que «le pot de terre (les associations qui défendent le droit à l'autodétermination des Sahraouis, proches du Front Polisario) a vaincu le pot de fer (le royaume du Maroc)». Pour le quotidien, les conséquences de la décision de la CJUE «vont être immédiates». «C'est terminé. Personne n'a plus le droit de pêcher dans les eaux du Sahara occidental et les tarifs préférentiels ne s'appliquent plus», a écrit le journal, citant les propos d'une source proche du dossier, qui indique que les bateaux européens «doivent arrêter leur activité et les Etats membres doivent cesser de délivrer des licences de pêche».