La Croatie rêve d'accéder en finale de la Coupe du Monde pour la première fois et faire mieux qu'en 1998, quand la bande de Davor Suker et de Slaven Bilic avait terminé troisième de la Coupe du monde. Pour y parvenir, il lui faudra un Luka Modric au sommet lors cette demi-finale contre l'Angleterre. La route jusqu'au Real Madrid fut longue pour Luka Modric. Elle a commencé là où ne restent que les ruines calcinées d'une maison du village de Modrici, détruite durant la guerre d'indépendance de Croatie. Située sur les pentes du massif de Velebit, qui surplombe la mer Adriatique, c'était le gîte de son grand-père, un autre Luka Modric, tué par les forces serbes dans les premiers mois de ce conflit (1991-1995) qui devait faire quelque 20 000 morts. Tout près, un panneau «Danger! Mines!» rappelle ce passé. Alors âgé de six ans, Luka Modric fuit avec sa famille à 40 kilomètres, dans la ville côtière de Zadar. C'est là, dans le fracas des bombes qui s'abattent sur le petit port, que va éclore l'un des plus grands talents contemporains du football européen, qui deviendra capitaine de la Croatie. «J'avais entendu parler d'un petit garçon hyperactif qui, dans un couloir d'hôtel ne cessait de taper dans un ballon et dormait avec», se souvient Josip Bajlo, alors entraîneur du NK Zadar. Le talent du garçon apparaît comme une évidence. «Il était une idole pour ceux de sa génération, un leader, un chouchou. Les enfants voyaient déjà en lui ce que nous voyons aujourd'hui», poursuit l'entraîneur aujourd'hui âgé de 74 ans. Ambiance terrifiante Le phénomène éclot dans une ambiance terrifiante. «C'est arrivé des millions de fois que les bombes se mettent à tomber alors que nous allions à l'entraînement, nous forçant à courir vers les abris», se souvient Marijan Buljat, un camarade de Luka Modric, également formé au NK Zadar. Lui-même ancien professionnel, Buljat, 36 ans, est convaincu qu'en lui forgeant une grande force de caractère, les rigueurs de cette période furent «un des facteurs qui ont contribué à ce qu'il devienne un des meilleurs joueurs du monde». Aujourd'hui en troisième division, le NK Zadar est un club réputé pour former de grands joueurs. Josip Skoblar, le légendaire buteur de l'Olympique de Marseille, ou encore les actuels internationaux Sime Vrsaljko et Danijel Subasic, en sont sortis. Mais aux yeux des supporteurs, Luka Modric a un statut à part, même s'il n'a jamais porté le maillot de l'équipe professionnelle ? : il est parti au Dinamo Zagreb, le grand club croate, alors qu'il avait 15 ans. «Pour Zadar, Luka est un dieu du football», dit Slavko Strkalj, un métallurgiste retraité de 66 ans. La rédemption grecque L'immense popularité de Modric en Croatie a toutefois été ternie par un scandale de corruption qui ébranle le football croate. Il est accusé par la justice de son pays d'avoir livré un faux témoignage en faveur de l'ancien dirigeant Zdravko Mamic, condamné à six ans et demi de prison pour corruption, notamment lors de transferts frauduleux. C'est d'ailleurs pour marquer leur aversion de Mamic que des supporteurs ont provoqué des violences lors de l'Euro en France, en 2016. Le joueur a toutefois effacé en un match le ressentiment qui pouvait commencer à apparaître. Alors que la Croatie avait souffert le martyre en phase de qualification, sa performance contribue à faire craquer la Grèce en match de barrages pour permettre à la sélection croate de se qualifier pour le Mondial (4-1). Strkalj espère que le scandale n'affectera pas le «Petit Prince» croate, «une personne sensible». «C'est un garçon qui sait ce qu'il veut, la vie lui a enseigné ça, il a vécu des choses bien pires quand il était enfant», dit Svetko Custic, actuel dirigeant du NK Zadar, qui connaît Modric depuis l'enfance. Bajlo, lui, est préoccupé pour un joueur qui reste «perçu en Croatie comme un homme honnête et honorable, et ne méritait pas d'être ainsi maltraité. Il est mentalement très fort, mais reste fait de chair et de sang». D'une planète différente Depuis le début de la Coupe du monde, le capitaine de 32 ans a tout réussi ou presque, dans le sillage d'une incroyable saison au Real Madrid, couronnée par un troisième sacre européen consécutif. Ses performances lui ont valu les hommages de par le monde. Et en Croatie, où beaucoup voient «Lukita» mener cette génération dorée (Rakitic, Mandzukic, Perisic, etc.) sur les traces de celle de 1998, troisième du Mondial français. S'il y parvenait, il pourrait jeter un œil sur le Ballon d'or, qui semble vouloir se diriger une sixième fois de plus vers les mains de son coéquipier madrilène, Cristiano Ronaldo. «J'espère», explique le milieu Milan Badelj. «Pour moi, au milieu de terrain, il est ce que Messi est en attaque». «Ce n'est pas qu'un grand joueur, c'est un type super, c'est notre leader», renchérit Ivan Rakitic, adversaire régulier en Liga avec Barcelone. «C'est un grand défi de l'affronter en championnat, c'est encore mieux de jouer avec lui pour l'équipe nationale». Pour le joueur du Barça, Modric se compare définitivement avec l'immense Andrés Iniesta. «On a l'impression qu'ils viennent d'une planète différente et qu'ils sont descendus pour jouer avec nous, nous les mortels».