En ce vendredi du mois de juillet, sans le savoir, on est allé faire l'affaire à Bab El Oued où un trésor nous attendait. Ce vendredi matin, au moment où des policiers chassaient les vendeurs se trouvant au jardin de Bab El Oued, on est allé du côté du marché ou d'autres, plus rusés étalaient leurs marchandises sur le trottoir d'une petite ruelle. Notre curiosité et l'amour des anciens objets nous mena à trouver un gentil bonhomme proposant d'anciens disques 45 tours. On demande le prix. Il répond «vous voulez un seul disque ou le tout», «Beldjemla». A notre réponse pour le tout, il répondra : «300 dinars». Voyant les quelques disques de Guerouabi, Boudjemaâ El Ankis et Noura et le prix si bas, on prend le tout et on paye sans hésiter. En montant dans la voiture, on constate le trésor qu'on vient d'acquérir. Le bon cadeau Parmi les anciens disques, il y avait non seulement celui de Wafia, Noura, Akli Yahiatene et Slimane Azem, mais surtout une perle très rare : une chanson de Hadj M'hamed El Anka enregistrée à la demande de la grande entreprise de pétrole Shell. «Shell Algérie est heureuse de présenter à son aimable clientèle une chanson inédite du grand chanteur populaire El Hadj M'hamed El Anka» : «Chal El Breq Chal», peut -on lire sur le dos de la pochette du disque enregistré en 1963. Sur le dos de la pochette, on trouve également le texte de la chanson Chel El Breq Chel ( L'éclair a brillé). Il s'agissait bien d'une publicité pour Shell car le disque était offert comme cadeau dans toutes les pompes d'essence Shell à tout automobiliste qui mettait le plein. Le choix de la chanson doit revenir au rusé qu'était «El Anka» puisque le titre se prononçant exactement comme Shell était celui qui convenait le mieux. Dès qu'on rentre à la maison, on sort le vinyl de la pochette et on le met sur la platine de l'ancien tourne disque. Une voix féminine présente la chanson en arabe : «Oustouwana Mehdya Men ênd Chariket Shell», Un disque offert par la société Shell. Hadj M'hamed El Anka qui a débuté la chanson par un bel Istikhbar (prélude) avec les sons uniques de son mandole se lancera dans un rythme souple en se faisant accompagner par une chorale féminine ce qui était nouveau pour le maître connu pour son style et sa préférence pour les Qaçaid classiques. C'est vrai qu'El Anka a, depuis ses premiers enregistrements à la fin des années 1920, interprété en parallèle aux grands Qaçaids, des chansons de courte durée et plus rythmées comme «Ya Malik El Mlouk» ou «Zour El Wali Sahnoune». El Anka qui a su garder son style tout en ne refusant pas la nouveauté avait enregistré des 45 tours dont «El Hmam» et interprété «Erfed Sebbatek Ouemchi» ainsi que «El Hamdoulillah Maabqach Istiîmar fi Bledna» a quand même franchi un autre pas dans cet enregistrement exceptionnel à la demande de la célèbre firme de pétrole Shell. Grande valeur En fin artiste El Anka, aurait répondu à la demande de Shell en proposant un texte dédié à l'entreprise. Le titre, bien qu'écrit Chal, se prononce exactement comme Shell et le refrain «Chel El Breq Chel» revient dans toute la chanson écrite par le maître lui-même. Même si le texte de niveau moyen mettait en valeur le printemps, les roses et la lune, le coup de l'éclair est cité dans le refrain pour rappeler la célèbre entreprise de pétrole. Vu sa rareté, sa qualité artistique et le fait qu'il soit enregistré par le pionnier de la chanson Chaâbi Hadj M'hamed El Anka, le disque est tout de même d'une grande valeur. Il faut noter qu'El Anka n'est pas le seul artiste à avoir fait de la publicité pour une entreprise et que cela n'est pas dévalorisant comme le croient certains. Mohamed Touri avait enregistré dans les années 1940 un disque 78 tours intitulé : «La loterie algérienne». D'autres grands comédiens tels que Hassan Hassani ont fait de la publicité pour des entreprises à la télévision. Une rareté Dans un enregistrement sur Youtube, un certain Benayad, collectionneur participant à la Phonogalerie de Paris en 2012 a déclaré en présentant ce disque qu'il lui a été offert dans une pompe d'essence à Alger en 1963. Il a ajouté qu'il serait le seul à le posséder vu que ce produit publicitaire tiré à un nombre limité d'exemplaires n'a pas été gardé par les amateurs de Chaâbi. M. Benayad a précisé que la RTA ne possède pas ce disque. On ne sait pas si le défunt Mohamed Rachid le possédait. Enfin, ce vendredi matin, on a bien fait d'aller au marché de Bab El Oued car on a vraiment fait l'affaire. Le collectionneur de Paris n'est plus seul à posséder le disque rare d'El Anka. Nous avons, désormais, ce trésor dans notre collection. Pour nous faire plaisir, nous l'écouterons encore ce soir.