Dans un entretien accordé au Temps d'Algérie, l'architecte et expert international, Djamel Chorfi, revient sur les perspectives de la nouvelle formule du Logement locatif promotionnel (LLP), prévue pour 2019. Selon lui, cette formule sera inévitablement vouée à l'échec, dans le cas où les responsables du secteur n'élaborent pas une stratégie basée sur une étude approfondie sur le terrain. Le Temps d'Algérie : Le ministre de l'Habitat, de l'Urbanisme et de la Ville, avait annoncé la mise en place d'une nouvelle formule destinée à la relance du marché locatif. Qu'en pensez-vous? M. Chorfi : D'abord, il y a lieu de préciser que le Logement locatif promotionnel (LLP) est une formule commerciale, qui va être développée par rapport aux avancées du marché international de l'immobilier. Ce sont des logements initiés au marché locatif pour toujours, c'est-à-dire qu'il n'y aura jamais de désistement de l'Etat sur ces logements en faveur des locataires. Cette formule a été initiée par le ministre de l'Habitat, Abdelwahid Temmar, dès son arrivé au ministère, pour alléger la forte demande qui est enregistrée au niveau des grandes villes, à l'instar d'Alger, Oran et Constantine. Des villes qui, lors de ces dernières années, enregistrent une grande concentration de citoyens. Le LLP concerne les wilayas qui enregistrent une forte demande de location, et où le prix du loyer est expansif. Au niveau de la capitale, par exemple, les chiffres précisent que plus d'un million de travailleurs, ne pouvant pas louer un appartement au centre, font la navette chaque jour. D'autre part, ils ne peuvent pas adhérer à l'une des formules de logement, à cause de leur lieu d'habitation. Un autre problème générant la cherté du prix du logement a aussi été constaté par Temmar, et c'est l'absence d'un fichier national immobilier. Cette absence a généré le marché parallèle, qui n'est soumis à aucun contrôle des pouvoirs publics. Ce marché, qui a pris plus d'ampleur ces dernières années, a engendré un impact négatif sur le Trésor public, et même sur l'économie du pays. Est-ce que, selon vous, l'introduction de cette formule réglera la crise du logement en Algérie ? Notre pays souffre d'un grand déséquilibre au niveau du schéma national d'aménagement du territoire. Il démontre que seulement sept wilayas sur les 48 possèdent 90% de la population active, et c'est la preuve qu'on n'a pas su équilibrer cette force de travail sur tout le territoire national. Chaque année, beaucoup de personnes fuient leur région natale à cause du manque de travail et de moyens pour une meilleure vie. Ainsi, l'initiation d'une nouvelle formule n'est pas la meilleure des solutions pour alléger la charge dans les grandes villes. Je suis contre la politique du logement. Elle a démontré à plusieurs reprises son échec total, et ce, malgré l'importance accordée par les pouvoirs publics au secteur. Les responsables du secteur de l'Habitat gèrent seulement les chiffres virtuels, en oubliant la concrétisation des projets sur le terrain. Il existe une inadéquation entre les déclarations de ces responsables et la réalité. Ils sont dans l'urgence de la réalisation des projets, et tournent le dos à la qualité. A ce jour, aucune formule de ce secteur n'a été clôturée. Quelles sont les raisons de cet échec ? Le problème demeure dans la politique adoptée par notre pays pour ce secteur. À chaque fois, on entreprend la création d'un segment de logement, et on ne le recadre pas. Il n'existe aucun texte de loi qui englobe dans sa totalité les devoirs et les droits des bénéficiaires, ainsi que des souscripteurs de ces formules. Elle engendre, en l'occurrence, des problèmes entre les promoteurs et les bénéficiaires, et même les souscripteurs. Beaucoup d'experts ont constaté qu'avant la promulgation de la loi 11/04 en 2011 sur la promotion immobilière, le secteur du logement était connu pour le blanchiment d'argent. En cette période, l'Etat consacrait les marchés les plus importants aux promoteurs publics, et tournait le dos aux entreprises privées. Suite à ce favoritisme, les logements réalisés ont perdu de leur valeur architecturale propre à chaque région. Cela prouve, une fois de plus, l'absence d'une stratégie adaptée au marché national. Si on ne fait pas d'études fiables, qui se basent sur une étude sociologique, on ne pourra pas réussir la réalisation de logements. Les chiffres communiqués par les responsables sont virtuels. Cela ne sert à rien de dire à un citoyen, qui attend son logement depuis plus de 15 ans, que des milliers de logements vont être distribués. Le citoyen veut juste connaître la date exacte de la réception de son logement, avoir un logement digne et bien situé, dans un quartier qui dispose de tous les services, des espaces de loisir aménagés pour les familles et leurs enfants, avec plus de sécurité. Prenons l'exemple de la nouvelle ville de Sidi Abdellah, qui est le synonyme de l'échec de l'Etat. Cette ville, qui est censée être une ville intelligente, est une ville morte durant la journée. On a juste essayé de caser les gens, dans un endroit loin de la capitale, pour alléger la charge existante, oubliant que ses 50.000 habitants travaillent à Alger. Une fois de plus, la stratégie adaptée par les responsables du secteur a échoué. Si on fait les mêmes erreurs dans la mise en place de la stratégie de la formule LLP, cette dernière sera inévitablement vouée à l'échec. En Algérie, l'absence des pouvoirs publics sur le terrain engendre bon nombre de problèmes, qui, à leur tour, bloquent la relance du marché immobilier. Quelles sont les mesures à prendre pour la réussite de cette formule ? Pour réussir cette formule, il faudra d'abord mettre en place une stratégie adaptée à des études approfondies, élaborées sur le marché locatif, établir un cahier des charges et le définir dans les temps nécessaires, et définir les localités concernées par rapport à la demande. La mise en œuvre de cette formule ne peut pas se faire en un temps aussi court. Il reste quelques jours seulement pour 2019, et aucun cahier des charges n'a été élaboré. Pour les experts du secteur, cette formule sera simplement un autre «titre» inscrit dans le carnet de l'Algérie, à l'instar des précédents.