La générale de «Kiyass ou Labes», une comédie noire à une seule voix, sur la condition sociale des petites gens aux revenus modestes et leur droit au bonheur, a été présentée vendredi à Alger, devant un public relativement nombreux. Présenté au Théâtre national Mahieddine-Bachtarzi, ce monodrame de 65 mn, produit par la Coopérative «Le Théâtre Rocher noir» de Boumerdès et brillamment interprété par Fouzi Bayet, a été mis en scène par Abdelghani Chentouf sur un texte de Ahmed Rezzak. Répétant les mêmes gestes quotidiens dans une étuve, «El Ayachi», masseur dans un bain maure blasé par les déceptions de la vie, étale ses tourments causés par «Romana», personnage suggéré, au regard «bavard et pétillant» qu'il avait vu dans un bus, puis suivi jusqu'au domicile parental, sans pour autant pouvoir lui souffler un mot. Hypothèse transformée en idée fixe, Romana, amour imaginaire et utopique, hante la vie d'El Ayachi, qui, chaque fois qu'il se résout à lui envoyer une missive pour lui révéler sa flamme et son métier, finit par se rétracter, de peur de la perdre. Rongé par le désespoir et l'incertitude, El Ayachi se raconte, étalant quelques moments de sa vie, avec son père notamment qui lui avait appris à voir une femme comme une «bouteille de gaz» qu'il faut «bien fermer» au risque qu'elle n'explose. Déclamant un texte dense aux contours métaphoriques et allusifs, El Ayachi, va passer en revue différents secteurs de la vie, pour pointer du doigt ce qui ne va pas et établir les responsabilités, sans pour autant, approfondir son propos. «Comment allez-vous faire pour répondre de vos actes devant le Tout Puissant le jour du jugement dernier ?», a-t-il demandé, avant d'ajouter : «El Ayachi ne peut s'occuper du gommage et du décrassage de vos consciences et vos forfaits.» Dans une prestation au rythme soutenu, Fouzi Bayet s'est surpassé dans l'interprétation des différents personnages qu'il a intelligemment intégrés dans des situations comiques très appréciées par le public qui a longtemps applaudi l'artiste. La scénographie, minimaliste, est également l'œuvre de Abdelghani Chentouf, qui a judicieusement opté pour quelques accessoires du hammam, (seaux d'eau, douchettes, robinets, petits récipients, gant de crin, sabots et serviettes), accrochés à deux réseaux de tuyauterie séparées, sur un espace scénique délimité par un tas de papiers déchirés, suggérant le nombre de lettres jetées, qui témoignent de la détresse d'El Ayachi. La bande son et les bruitages, de Karim Merabet et Rafik Boukercha respectivement, ainsi que l'éclairage, feutré, latéral, vertical ou d'ensemble, ont été d'un apport concluant à la trame de ce monologue qui a beaucoup puisé dans le registre du théâtre populaire. «Le rire et la dérision, tout comme le Théâtre Populaire, demeurent parmi les seules alternatives pour espérer voir le public reprendre le chemin du Théâtre», a déclaré le metteur en scène à l'issue de la représentation. Le public a ri aux larmes, appréciant l'interprétation époustouflante de Fouzi Bayet qui a exploité tous les accessoires, sur l'ensemble de l'espace scénique. Applaudissant longtemps l'artiste, le public a regretté la «non- programmation» de «Kiyass ou la bess» pour quelques autres représentations, afin de permettre au public de s'élargir davantage !… Fondée en 2002, la Coopérative «Le Théâtre Rocher noir» de Boumerdès, présidée par le comédien, Fouzi Bayet, a d'abord voulu s'investir dans le Théâtre pour enfants, avant d'élargir son action sur le Théâtre dans la diversité de ses registres et son universalité. Comptant à son actif plusieurs projets réalisés dans le 4e Art, la Coopérative a produits entre autres pièces de théâtre, «kafilet el mahabba» (2003), «Karakou for night» (one man show- 2004), «Nesmah ou ma nensach» (2007), «Malhamet ech'chahid» (2010) et en 2014, le spectacle pour enfants, «Nadafet el mohit».