Alger. Vendredi 29 mars. Acte 6 de la mobilisation populaire contre le système politique. Comme les vendredis passés, les tsunamis humains étaient au grand jour, et les places principales de la capitale étaient envahies par les manifestants dès les premières heures de la matinée. Ces manifestations d'envergure ont été marquées par un haut esprit de responsabilité, se déroulant dans un climat pacifique inégalé, détruisant les clichés qu'on a tenté pendant longtemps de coller aux Algériens. Des scènes formidables de solidarité et d'union ont été observées dans différents quartiers de la capitale. Désormais, l'unité du peuple est incontestable, et ceux qui ont pratiqué la politique de diviser pour régner depuis l'indépendance ont été les plus grands perdants depuis le début des manifestations, le 22 février dernier. Il y a d'abord ce slogan qu'on entend partout et en même temps : «Djeich chaab, khawa khawa», ou «Armée et peuple, nous sommes des frères». Malgré le rejet massif de la proposition de Gaid Salah, chef d'état-major de l'ANP, d'appliquer l'article 102 de la Constitution comme solution à la crise, le slogan a été entonné à gorges déployées par les manifestants. «Le rejet de la proposition de Gaid Salah ne signifie pas l'opposition à l'institution militaire. Nous voulons le départ de tout le système politique, et non seulement du chef de l'Etat, d'autant plus que le 102 constitue la meilleure offre au système politique de se maintenir, en organisant la prochaine étape avec le même personnel et le même dispositif du vote», nous explique un manifestant, rencontré à la Grande Poste. La deuxième image consacrant l'unité du peuple est celle où le drapeau algérien côtoie le drapeau amazigh, sans qu'aucune division ne soit invoquée. Depuis l'indépendance, le système a tablé sur la division du peuple pour le contrôler, en érigeant le régionalisme comme outil de gouvernance et de contrôle de la société. Or, les images que nous voyons depuis le 22 février ont démontré un peuple qu'aucune frontière ne peut plus fracturer. Cette union est exprimée aussi bien dans les slogans qu'on lance à tue-tête, que sur les banderoles géantes qui embellissent les rues devenues encore plus blanches d'Alger. Comme cette banderole qui traverse de bout en bout la rue de Belcourt, où on peut lire fièrement : «Les enfants du chahid Mohamed Belouizdad sont contre le régionalisme. Je suis musulman, arabe, amazigh, chaoui… Mon pays est l'Algérie». Le caractère pacifique et les scènes de solidarité dans les rues, donnent une autre image de la grandeur du peuple algérien, qui a émerveillé le monde et continue à le faire, tout en donnant des leçons à ceux qui le prenaient pour autre chose que ce qu'il est en vérité. Un jeune qui tentait de jeter des pierres contre les policiers à Audin, a été très vite maîtrisé par les manifestants, avant de le renvoyer sous les cris «Silmya, silmya, pacifique, pacifique» et les applaudissements. Dans ces mêmes rues, on croise des gens qui offrent nourriture et boissons aux manifestants. Les propriétaires des magasins, notamment les restaurants, cafés, fast-foods, ont préféré ouvrir leurs portes aux manifestants, faisant oublier le temps où un simple rassemblement de quelques personnes provoquait la fermeture des magasins environnants. Ces magasins sont pris d'assaut, mais aucun incident n'est à signaler, ce qui est extraordinaire, surtout lorsque l'on sait que les manifestations ont drainé non pas des centaines de milliers de personnes, mais plutôt des millions. Et pour positiver encore davantage cette merveilleuse image, des centaines de jeunes bénévoles s'occupent à nettoyer les rues à la fin des manifestations, pendant que d'autres organisent la circulation automobile, pour éviter les embouteillages monstres qu'on a enregistrés les vendredis précédents.