Samedi à Blida, la vente des billets pour le match Algérie-Burkina Faso a «tourné à l'émeute». Il y a décidément beaucoup de choses qui tournent à l'émeute dans ce pays. Y compris dans ce qui est censé être nos moments de joie, le malheur guette et le drame n'est jamais très loin. On se rappelle l'épisode égyptien, quand un commentateur cairote ricanait sur des morts signalés dans la… liesse populaire qui a suivi la qualification de l'Algérie après le match d'Omdurman : «il y aurait eu combien de morts s'ils ne s'étaient pas qualifiés?», disait le journaliste égyptien, certes avec une sacrée dose d'aigreur et de mauvaise foi. Le problème est que sa question ne manquait pas de pertinence, puisque les faits étaient vrais. Pourtant, l'arrière-pensée du journaliste égyptien n'allait pas plus loin que nos tendances à l'auto-flagellation qui insinuent que les Algériens seraient génétiquement violents. Hier à Blida, devant les guichets du stade Tchaker, ça aurait pu être la fête. Une vente de billets, même pour un match décisif pour la qualification à la coupe du monde, ne devait pas se terminer par de violents affrontements qui ont fait des dizaines de blessés. Il paraît que le pire a été «évité de justesse» comme on dit à chaque fois qu'on veut nous convaincre qu'on s'en est finalement tiré à bon compte. Et nous estimer heureux qu'il n'y ait pas eu mort d'homme au moindre mouvement de foule ! Il est vrai que nous avons appris à avoir la jubilation facile et à l'exprimer avec une incompréhensible ostentation à chaque fois que nous frôlons un drame là où d'autres ne trouvent «que du bonheur». Il est aussi vrai que nous ne sommes pas génétiquement violents. D'abord parce que personne ne l'est. Ensuite parce qu'à chaque fois que la violence s'est manifestée, la part de responsabilité de ceux qu'on a montrés du doigt pour avoir été au cœur de «l'action» a été négligeable. On ne peut naturellement pas dire la même chose des autres. Ceux qui ont la responsabilité morale et professionnelle de faire en sorte que cela n'arrive pas. Ceux dont c'est le métier, pour dire les choses simplement. Les choses étant au point où elles sont, c'est peut-être remonter un peu loin, mais sans doute que la première raison qui a fait qu'on se blesse en allant acheter un billet de stade est le fait que dans l'Algérie de 2013, la sélection nationale en soit arrivée à jouer un match de qualification à la coupe du monde dans une infrastructure aussi vétuste. Parce que 25 000 places pour un match aussi important, dans un pays aussi fou de foot, c'est déjà le péril en la demeure. Arrive ensuite ce mode de vente archaïque. Dans un monde où les billets se vendent sur le net ou dans des endroits décentralisés et humanisés, ouvrir quelques guichets pour y convoquer d'un coup toute l'Algérie est en soi une promesse de déflagration. Il y a enfin tout le reste, c'est-à-dire l'ingrédient le plus explosif de la recette. Les choses étant toujours au point où elles sont, un événement qui suscite autant d'engouement ne peut pas échapper au petit business. On a vu des déploiements musclés pour des «opportunités d'affaire» bien plus maigres que ça. Pour des billets acquis – au guichet ou par un moyen détourné – à 300 et 1000 dinars pour être revendus à 400 et 10 000, ça vaut le risque de prendre quelques coups. Et d'en donner, tant qu'à faire. C'est tellement rentable que des policiers auraient été de la partie, pour une part du «gâteau», ce qui aurait été à l'origine de l'émeute ! Et ça a dépassé la «bousculade», puisque parmi les blessés, certains auraient reçu des coups de couteau. Mais l'Algérie se qualifiera «normalement» à la coupe du monde et, suprême bonheur, il n'y a pas eu… mort d'homme. Slimane Laouari