L'avantage – ou l'inconvénient – avec les «jours d'après», c'est que tout le monde ou presque est obligé d'y être. Dans les jours d'après, tout le monde se ressemble. Sur les visages, on peut lire indifféremment l'expression de celui qui semble soulagé que «ça se termine» finalement bien. On peut y trouver les traits sereins du guerrier au repos, la courtoise bienveillance de celui qui comprend la passion sans la partager. A moins que ce ne soit les yeux encore hagards des hommes qui ont la joie apaisée et le bonheur tranquille. Il y a enfin ceux qui veulent bien afficher une mine de blasés, et font alors tout pour essayer de convaincre leur monde qu'ils ont été au-dessus de la mêlée et qu'ils n'ont rien à voir de ce qui vient d'arriver à la foule. Mais au final, tout ce beau monde partage une chose : ils sont tous fatigués. Trop fatigués pour revenir sur la soirée de folie, tout le monde veut écouter tout le monde, juste pour ne pas avoir à parler. Pour ceux qui connaissent quelque chose au foot, ils savent d'ailleurs qu'il n'y a pas grand-chose à dire, même s'ils avaient toute la vivacité de la veille. Il y avait une qualification à la coupe du monde en jeu et l'Algérie s'est qualifiée. Le reste est pur bavardage. Ils savent que leur équipe a peut-être fait son plus mauvais match mais ils ne vont tout de même pas se faire violence. Au risque de se faire ridiculiser par le premier venu qui leur rappellera que c'est au contraire leur meilleur match, puisque le meilleur, c'est celui qui ouvre les portes du Brésil et c'est celui-là. Comme ils le pensent aussi un peu et surtout comme ils n'ont aucune intention de polémiquer dans un jour d'après, ils ont encore hoché la tête ou froncé les sourcils, selon la posture géostratégique du moment et le niveau de fatigue accumulée de chacun. Il ne faut tout de même pas comparer quelqu'un qui a été «mobilisé» plus d'une semaine durant à quelqu'un qui a été dans «le moindre effort». Il y a des «grades» et une hiérarchie à respecter, y compris dans la douce torpeur des lendemains de victoire et de liesse. Tenez, ce matin, beaucoup d'enfants ont demandé la permission de ne pas aller à l'école. Enfin, demander la permission, c'est un peu «exagéré». En fait, ils ont fait «valoir leur droit d'absence». Ils savent que personne ne leur refusera ça. D'abord parce que c'est plus facile à un père fatigué par la qualification de dire oui que de dire non. C'est pénible, on a toujours l'impression que ça manque de patriotisme, et un refus, contrairement à un acquiescement, ça demande quelques explications. Les lendemains de victoire sont faciles à vivre quand on est fatigué mais durs à vivre quand on fait semblant de ne pas l'être, histoire de ne pas paraître comme tout le monde. Voilà que même au journal on nous demande d'écrire tous sur la qualification. «Chacun comme il l'a vécue», a dit le chef. Est-il plus facile d'écrire sur la qualification ou sur autre chose, le jour d'après ? On sait seulement que c'est plus commode d'en parler parce qu'il n'y a pas grand-chose à dire. Ce doit autre aussi pour cela que le chef a dit «chacun comme il l'a vécue». Sinon, ce serait vraiment embarrassant. Slimane Laouari